Xavier Bernier propose dans cet ouvrage une approche extrêmement stimulante de la question des mobilités et des transports. L’ouvrage contient des annexes dont un lexique fort utile et une bibliographie. Il est directeur du laboratoire « Médiations-sciences des lieux, sciences des liens » et a également dirigé l’ouvrage collectif « Mobilités et marginalités ».

Habiter un monde d’échanges et de circulations

L’auteur s’interroge d’abord pour savoir comment appréhender un monde en mouvement. Il note que le binôme origine-destination est le socle de méthodes cartographiques ou encore de tarification. Il pointe également le morcellement disciplinaire et linguistique qui a longtemps marqué la question des mobilités et des transports. Pour aborder la question, il met en avant l’utilité du tryptique politiques, infrastructures et pratiques.

Cartographier les mouvements

La question de base est de savoir comment mettre à plat ce qui bouge ? Il faut avant tout bien identifier les objectifs visés. L’auteur explique le mobiloscope. C’est un outil de géovisualisation disponible sur Internet en science ouverte et qui permet d’explorer des données des villes américaines et françaises. Les migrations continuent de façonner le monde à toutes les échelles, même s’il ne faut pas oublier que dans 72 % des cas les réfugiés sont accueillis dans un pays voisin. L’auteur développe ensuite l’histoire de la géolocalisation, technique d’abord militaire qui s’est aujourd’hui généralisée. Il aborde également la question des voyages, qu’il s’agisse de ceux d’Ulysse ou d’Alexandre Dumas.  Ce dernier disait d’ailleurs : « le voyage, c’est vivre dans toute la plénitude du mot : c’est oublier le passé et l’avenir pour le présent ; c’est … s’emparer de la création comme d’une chose qui est sienne ».

Politiques restrictives et incitatives

L’espace aérien est un des domaines qui se prête le mieux à des politiques de cloisonnement et de fermetures. En France, les politiques d’aménagement des transports sont souvent pensées au prisme de plans de développement dont la réussite est mesurée dans une cartographie avant-après. Xavier Bernier étudie aussi la mobilité post-confinement. Le vélo connait une progression généralisée tandis qu’un achat sur cinq est réalisé en ligne. Il parle aussi des «  mobilités coupables » avec des mouvements comme les «  dégonfleurs de pneus ». Il faut quand même mesurer qu’il y a près d’1,5 milliard de voitures en circulation au moment où certains parlent de l’après automobile. Il relève aussi que l’implantation des usines spécialisées dans la production de batteries et de moteurs pour voitures électriques est paradoxalement en cours dans des pays à énergies encore fortement carbonées.

Les pratiques et leurs significations

Dès 1863, Londres avait mis en place dans le métro des dispositifs destinés aux femmes. Xavier Bernier évoque ensuite d’autres cas plus récents, mais note tout de même que l’on aurait tort de résumer les exemples cités au seul harcèlement sexuel dans l’espace public. Le risque d’un essentialisme est réel, cantonnant les femmes dans le rôle de victime et les hommes dans celui d’agresseur. L’auteur présente ensuite le mobiligramme, un graphique conçu pour cet atlas pour caractériser les registres de l’immobilité et de l’hyper mobilité. Entre autres enseignements, on peut noter que l’immobilité ne doit pas être réduite à une déclinaison forcément dévalorisée de la mobilité. Plusieurs pages traitent ensuite de la mobilité dans les villes avec des coûts qui peuvent aller de la gratuité à très cher. Dans le premier cas, expérimenté par Chateauroux, on constate qu’entre 2001 et 2016 la fréquentation a été multipliée par trois. L’auteur note enfin que les mobilités de proximité sont souvent parées de nombreuses vertus.

Pollution et perturbation

Xavier Bernier se montre critique sur des dispositifs comme les vignettes Crit’Air qui trient les circulations et les repoussent plus loin. Les embouteillages sont un autre mal des villes. Ajouter des voies de circulation pour faire face à la congestion du trafic, c’est comme desserrer sa ceinture pour soigner l’obésité. L’auteur cite quelques records d’embouteillage comme à Pékin un bouchon de 100 kilomètres pendant onze jours autour de la ville en 2010. D’autres pages traitent de l’accidentologie et des catastrophes. Les angles d’approche sont multiples allant jusqu’à la littérature. Dans « Voyage au bout de la nuit », on trouve déjà tout un spectre de représentations associées au transport dans les banlieues.

Des mouvements et des lieux

La France a eu l’objectif que tout point du territoire se trouve à 45 minutes maximum d’un échangeur d’autoroute ou d’une gare TGV. Celui-ci n’a pas été atteint. L’auteur s’intéresse également à la question de l’attente dans les aéroports ou  à la place de l’art dans ce type d’espace. Il donne aussi quelques exemples de la ponctualité des trains japonais car, depuis sa mise en service en 1964, le retard moyen du Shinkansen est de 30 secondes. De façon plus cocasse, il pointe aussi une certaine folie des ronds points en France comme à Saint-Joseph où il n’y en a pas moins de dix en 350 mètres ! L’atlas s’intéresse à la question du covoiturage : 900 000 personnes actuellement font ainsi pour aller travailler chaque jour en France.

Petit panel de documents proposés

Il faut noter que l’atlas offre de très nombreux documents qui permettent de renouveler ceux traditionnellement utilisés. On peut citer par exemple le mobiloscope de Sao Paulo, des graphiques sur la mobilité en France en fonction des classes sociales ou encore des données de synthèse sur le poids du covoiturage en France. On peut citer aussi le carnet de route d’une migrante syrienne à travers son fil WhatsApp ou un schéma sur les espaces de l’attente en gare.

En conclusion, détournant une célèbre publicité automobile, Xavier Bernier plaide pour que chacun invente la vie qui va avec les mobilités. Il met en avant notre responsabilité : à nous de partager les véhicules dans leurs usages, à nous d’inventer un espace commun.

Au final, on pourra parfois être freiné dans sa lecture par un goût de la création linguistique, mais il faut reconnaitre à l’auteur et à cet ouvrage d’offrir surtout une vision très large de la question des transports et des mobilités. La palette de documents est particulièrement intéressante et se révèle une riche source d’inspiration pour l’enseignant qui souhaite renouveler ses supports documentaires.