Après avoir représenté les évolutions de l’histoire bataille au cours du temps, et notamment de l’école anglo-saxonne, Arnaud Blin s’attache à expliquer les raisons de son choix d’étudier des batailles et non des campagnes ou opérations plus vastes. Le livre choisit d’insister sur les batailles qui sont le reflet d’un affrontement entre des adversaires hétérogènes par leur mode de vie, leur conception de la guerre, et en s’attachant également au rôle des chefs plutôt qu’en se plaçant au niveau des combattants. … Un choix qui a conduit l’auteur à étudier onze batailles, qui s’étalent chronologiquement de l’Antiquité à la Seconde Guerre mondiale.
Les grandes batailles de l’Antiquité font l’objet de trois chapitres. L’ouvrage commence avec celle de Gaugamèles (-331) qui vit s’affronter l’armée d’Alexandre et celle de Darius. Le choix permet de s’intéresser à un des conquérants les plus emblématiques, Alexandre. Les choix de celui-ci et son positionnement dans le combat sont un des éléments clefs du succès macédonien comme le démontre l’auteur. L’issue de la bataille précipite la fin de Darius et par là même de l’empire perse.
La bataille de Zama(202 av J-C) oppose Rome et Carthage lors de la deuxième guerre punique : le contraste entre une puissance terrestre et une puissance maritime. Mais c’est aussi l’opposition entre une armée légionnaire (et citoyenne) qui renaît de ses cendres malgré de nombreuses défaites et d’Hannibal, grand tacticien, mais à la tête d’une armée composée largement de mercenaires et d’alliés. Avant la victoire sur le terrain, c’est la préparation de la bataille et le renversement d’alliance numide qui permirent à Scipion de surclasser Hannibal. Désormais Carthage n’est plus un adversaire redoutable pour Rome.
Enfin, les champs Catalauniques (451) voient une armée « romaine » repousser définitivement les Huns d’Attila. Un raccourci trompeur puisque que l’armée d’Aetius comprend de nombreux contingents alliés (Alains, Wisigoths…) et que la bataille elle-même vit les cavaliers jouer un rôle déterminant, bien loin de la vision des légions romaines classiques. Compte-tenu du peu de sources sur la bataille elle-même, c’est l’analyse de la situation géopolitique de l’Occident romain qui occupe la majeure partie du chapitre.
Le Moyen-âge et ses bouleversements géopolitiques
Les 3 batailles retenues pour cette période permettent de traiter de la montée en puissance du monde musulman. En 636, à Yarmouk et Qadisya, les Arabes battent respectivement les Byzantins et les Perses. Premiers élans d’un vaste mouvement de conquête dont l’auteur s’attache à montrer les ressorts. : ceux propres au monde arabe, comme ceux liés à l’évolution des empires byzantins et perses. Si la disparition de l’empire perse est une des conséquences à court terme de ces batailles, l’empire byzantin lui va quand même encore se maintenir près de 9 siècles. Mais il a désormais définitivement perdu ces territoires et l’initiative.
A Hattin, en 1187, c’est au tour des Francs d’être défaits par Saladin. On retrouve ici une bataille souvent évoquée lorsque l’on s’intéresse à l’époque des croisades. Elle voit la défaite des forces franques du royaume de Jérusalem et des ordres militaires (Templiers, Hospitaliers). Face à eux, celui qui apparaît comme l’équivalent musulman des chevaliers d’alors, Saladin. Après Hattin, le déclin des établissements latins d’Orient est irrémédiable.
Enfin, Ayn Jalut (1260) nous amène à traiter d’un affrontement entre deux mondes moins connus : Mongols et mamelouks. L’occasion, avec les Mongols, de découvrir une civilisation peu évoquée, mais qui au-delà du seul Gengis Khan, vit la naissance d’empire territoriaux aussi vastes qu’éphémères. Cela n’empêche pas les mamelouks de porter un coup d’arrêt définitif à la volonté de conquête mongole.
Le renouveau européen
Avec l’époque moderne, l’auteur s’attache à montrer comment l’Europe reprend l’initiative. Les études de Tenochtitlan et de Lépante contiennent des informations pouvant être réutilisées dans les chapitres de 2nde. Le récit des évènements menant à la prise de Tenochtitlan (1521) permet de découvrir deux mondes très différents. L’empire aztèque qui semble puissant mais souffre d’un retard technologique et de dissensions internes. Des Conquistadores qui surent exploiter au mieux leur supériorité militaire forgée sur les champs de bataille de l’Europe. Un affrontement sans merci entre ces deux forces et qui entraîne la fin d’un des grands empires amérindiens
Lépante(1571) est la seule bataille navale de l’ouvrage. Dans ce qui est un des derniers grands affrontements de galères de l’histoire navale, on voit apparaître la supériorité de l’artillerie. Une des clés de la victoire de la sainte Ligue sur l’empire ottoman dont elle stoppe la poussée maritime.
Le passage à la guerre totale.
Dans cette partie A Blin évoque 3 grands affrontements, ceux de Lützen (1632), Borodino (1812), Stalingrad(1942). On peut s’interroger ici sur l’absence de bataille de la Première Guerre mondiale et les choix de bataille retenus pour les conflits napoléoniens et la Seconde Guerre mondiale.
La guerre de Trente Ans et son cortège de violences annonce les violences de masse des conflits mondiaux. Tandis que le déroulement de la bataille elle même rend compte de l’émergence d’un nouvel art de la guerre Lützen ne marqua pas la fin du conflit, mais vit la disparition d’un des acteurs majeurs de celui-ci, le roi de Suède Gustave Adolphe. La bataille de Borodino(1812) vit s’affronter la Grande Armée de Napoléon et l’armée russe de Koutouzov aux portes de Moscou. Cette bataille est revendiquée comme une victoire aussi bien par les Français que par les Russes. Ses conséquences sont moindres que Waterloo ou Leipzig, et plus qu’une bataille, c’est la campagne de Russie elle-même qui changea la destinée de l’empire napoléonien. Comme le résume l’auteur, c’est l’opposition entre la recherche de la bataille décisive et la guerre d’usure. Enfin, Stalingrad(1942) clôt l’ouvrage. La dimension symbolique de cette bataille demeure encore présente dans les mémoires comme le tournant de la Seconde Guerre mondiale. La lutte pour la ville qui porte le nom de Staline se termine par la capitulation de la VI° armé allemande et accentue le passage en guerre totale.
En conclusion
Si l’on peut regretter une cartographie réduite au strict minimum, et discuter de certains choix dans les batailles traitées et dans l’approche choisie, l’ouvrage permet cependant d’avoir un panorama assez complet de l’évolution de l’art de la guerre et de conflits parfois méconnus. La dimension géostratégique abordée dans chacun des chapitres par l’auteur permet cependant de se dégager de la simple histoire des batailles pour aller plus loin dans la connaissance des mondes qui s’opposèrent alors.
Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau