La propagande est indissociable du personnage d’Hitler. Comme le souligne Johann Chapoutot, professeur d’Histoire contemporaine à la Sorbonne et spécialiste de l’Allemagne et du nazisme, dans son excellente préface, les deux sont liés par le « besoin d’associer la violence à la fascination et de produire une belle apparence propre à séduire ». Cette propagande prend différentes formes. En Allemagne, dès 1933, Hitler tire les ficelles de l’endoctrinement national, la manipulation des esprits orchestrée par l’Etat nazi se jouant dans le quotidien des Allemands. Parallèlement, la propagande est massivement utilisée par le camp allié pour montrer la cruauté de la doctrine du Führer, les conséquences de sa politique et tourner en ridicule le personnage.
Au travers de cette guerre des images, Hitler revêt 1000 visages. Emmanuel Thiébot, historien au Mémorial de Caen et responsable du Mémorial des Civils dans la guerre à Falaise, nous propose, dans ce très bel ouvrage, une approche renouvelée de l’histoire du nazisme. Au travers de plus de 350 documents d’archives, il analyse les mécanismes complexes de cette guerre des images. La diversité des documents utilisés (photographies, articles de presse, dessins, livres, chansons, objets divers et variés…), souvent inédits, avec, notamment des photographies censurées par les nazis, ou oubliés, montre les trésors d’imagination déployés par les propagandistes pour fabriquer l’image d’Hitler, de sa montée au pouvoir jusqu’à sa mort.
Ainsi, c’est une véritable histoire par les documents, par la photographie, par le dessin, par les objets, etc… que nous propose l’auteur, afin de mieux comprendre comment les différents acteurs ont réussi à manipuler les foules.
La fabrique de l’image du Führer du côté des nazis et de leurs alliés
Dans la préface de Prapaganda Hitler, Johann Chapoutot explique que, sous l’influence de Propaganda d’Edward Bernays, Goebbels se fixe comme mission de rendre Hitler séduisant et attractif. Cette promotion s’avère difficile car : « il s’agissait de rendre désirable, attachant et convaincant quelqu’un qui n’avait pas d’atouts à faire valoir […]. Il fallait, en un mot, sublimer Hitler en le noyant sous une nuée de mensonges ».
Dès la rédaction de Mein Kampf, Hitler s’emploie à s’inventer un passé et un destin glorieux. En déformant la réalité, il crée de toutes pièces sa propre légende et construit un récit fondateur. Dès 1933, après l’arrivée au pouvoir d’Hitler, ce récit est largement diffusé auprès de la population. Plusieurs outils sont utilisés, à commencer par le portrait du chef, sous la direction de son photographe officiel, Heinrich Hoffmann. Les photographies sont soigneusement sélectionnées et censurées. Par exemple, la photographie ci-dessous, certainement prise par un officier à bord du navire à l’insu d’Hitler, n’a pas été publiée. En effet, qui aurait pris le risque de présenter Hitler sur un tabouret afin de saluer prestement au-dessus du bastingage, pendant qu’un caméraman le filme en contre-plongée, avec, en arrière-plan, le défilé de navire de guerre ?
Dès 1933, la propagande nazie cherche à présenter Hitler comme un homme simple et accessible afin de faciliter l’identification des Allemands (voir double-page plus bas). Cette représentation contraste avec la représentation d’Hitler comme chef de guerre, montrant les différentes facettes du Führer en fonction des objectifs visés.
L’analyse des différentes éditions de Mein Kampf est très intéressante, montrant notamment comme l’ouvrage a été diffusé et adapté aux différents publics, avec des versions expurgées pour les autres pays. La propagande nazie a réussi le tour de force de s’adapter à différents publics.
Les relations entre Hitler et ses alliés (Mussolini, Franco, Staline temporairement) sont également des objets de propagande dans chacun des camps.
Fait intéressant, dans la propagande de la France occupée et dans la France de Vichy, en dehors de quelques exceptions, l’image d’Hitler est quasiment absente de la propagande. La photo de l’entrevue de Montoire est utilisée et réutilisée par les propagandistes de Vichy et leurs détracteurs.
La fabrique de l’image d’Hitler du côté des alliés
Une des forces de cet ouvrage est de présenter la fabrique de l’image d’Hitler du côté des Alliés. En effet, la vision unilatérale du monde proposée par la propagande nazie est remplie de failles et se prête au sarcasme et à la caricature. La propagande alliée occupe une place importante dans le travail proposé par Emmanuel Thiébot. Pour Johann Chapoutot, c’est aussi là que s’est jouée la défaite ultime du nazisme.
La propagande antinazie et la perception du Führer ont pris différentes formes en fonction des époques et des lieux. Ainsi, chaque acteur a sa propre méthode pour mettre en scène le dirigeant nazi, même si l’on retrouve des éléments récurrents. Ainsi, Hitler est présenté tour à tour comme un homme agité, comme une cible à abattre, comme un pantin, comme un menteur et comme un assassin. Il fait l’objet de nombreuses représentations et imitations, perçu comme un « Charlot qui joue le Siegfried ».
Que ce soit les Britanniques, les Français, les Américains, les Soviétiques… tous utilisent une rhétorique, un discours et une représentation qui est différente. Par exemple, la scatologie fait partie du répertoire humoristique américain pour ridiculiser Hitler, comme le montre la carte postale et le porte-épingles ci-dessous. Concernant ce dernier, un fabriquant américain propose cette statuette d’Hitler, les fesses tendues en guise de réceptacle. Il précise que « celui qui cherche à piquer ailleurs finira par se piquer lui-même ».
Une cinquantaine de pages est consacrée aux caricatures d’Hitler, avec quelques thématiques récurrentes : représentation en personnage du passé (Napoléon par exemple), animalisation, en peureux, en se faisant botter les fesses, etc. Ses alliés sont également les cibles des caricatures.
L’ouvrage se conclut sur les rumeurs de doublure suite à la mort d’Hitler et sur de faux testaments humoristiques.
Un bel ouvrage aux illustrations rares et inédites
Un des grands points forts de ce très bel ouvrage est la contextualisation systématique des quelques 350 illustrations. Toutes sont expliquées et mises en valeur par des textes clairs et concis qui montrent l’intense propagande à laquelle le monde s’est livré pour imposer ou combattre l’idéologie nazie. Cette contextualisation permet de totalement s’immerger dans cette fabrique de l’image d’Hitler. Emmanuel Thiébot, dans une interview à la radio, explique sa volonté de mettre le lecteur en situation, de lui donner l’impression d’avoir le document entre ses mains : « Lorsque l’on montre une photo publiée dans la presse, on présente l’article de presse en entier, tout du moins on laisse la légende d’époque. Cela fait partie d’un tout ». Le pari est réussi : C’est avec un grand plaisir que je me suis laissée immerger dans la propagande des différents camps. La mise en place aérée met parfaitement en valeur les différents documents, tout en régalant le lecteur d’anecdotes dans des encadrés.
Cet ouvrage est également une mine d’or pour les professeurs d’Histoire-géographie, de par la richesse et la diversité des documents proposés. Au-delà des photographies, des dessins officiels ou de la presse, Emmanuel Thiébot montre que les propagandistes ont utilisé tous les objets et supports possibles pour convaincre les masses : chansons, films, timbres, cartes postales, tracts, caricatures, jouets, catalogues de meubles, objets du quotidien, distribution de Mein Kampf aux jeunes mariés et adaptation de ce dernier aux différents pays de diffusion…
Cet excellent ouvrage est, selon moi, une lecture indispensable pour tous les enseignants d’Histoire-géographie et les passionnés de la Seconde Guerre mondiale. En plus d’être un réservoir d’anecdotes toutes plus passionnantes les unes que les autres, il analyse les mécanismes du culte de la personnalité et de la propagande avec beaucoup de finesse. Les documents peuvent être utilisés en classe pour des études critiques, pour illustrer les cours ou, tout simplement, pour susciter l’intérêt des élèves par des histoires originales.
La recension de ce même ouvrage par Guillaume Poulain ICI