Pour les néophytes qui n’ont jamais mis les pieds en Haute-Vienne en général ni à Limoges en particulier, il faut rappeler quelques éléments incontournables pour ce compte-rendu.

Limoges reste liée (de manière réductrice) à deux métiers et deux couleurs politiques qui leur sont associées : la porcelaine (rouge), et la boucherie (blanche). La géographie de la ville est également marquée par ces activités. Au fil du temps, les bouchers se sont fixés principalement dans une artère spécifique, la rue du Saut-de-Bœuf qui, au cours du XIXe siècle fini par prendre le nom définitif de « boucherie ». Actuellement elle fait partie de l’une des rares rues ayant réussi à conserver son patrimoine architectural, donnant ainsi une idée de l’apparence ancienne de la ville avant sa modernisation forcée après la Seconde Guerre mondiale.

L’ouvrage de Laurent Bourdelas intitulé Les bouchers du château de Limoges est publié aux éditions de la Geste. L’étude est divisée en huit chapitres et se propose de couvrir une histoire complète des bouchers de Limoges en général et de la confrérie Saint-Aurélien en particulier de l’Antiquité à nos jours. Mais force est de constater qu’entre les promesses des premières pages et la dernière, le lecteur averti restera sur sa faim.

La préface signée Pierre Lamige, actuel premier syndic de la confrérie Saint-Aurélien parle d’un « travail de recherche considérable ». Après lecture, cette affirmation issue de la volonté de mettre en valeur le travail d’un membre de la confrérie doit être très fortement nuancée voir totalement contestée. En effet, la lecture des sources et la bibliographie auraient dû l’amener à un peu plus de modestie. Les seules archives inédites mentionnées sont celles de la confrérie Saint-Aurélien qualifiées de « riches » mais malheureusement aucun détail potentiellement glané au cours de la lecture ne permet vraiment de les identifier ni donc, de confirmer ce qualificatif. La bibliographie mentionne de manière obligée si l’on peut dire, les études devenues la base classique depuis quelques décennies, les « incontournables » sans lesquelles aucun ouvrage sur la ville et la région ne peut prétendre au sérieux : celles du père Perouas, l’ouvrage de John Merriman Limoges la ville rouge, la somme d’Alain Corbin Archaïsme et modernité en Limousin au XIXe siècle (1845- 1880) sans parler des quelques documents-sources cités et confondus, par la méthode parfois, avec les études scientifiques (je pense ici aux textes d’Henri et Paul Ducourtieux). Pour les archives, seule la mention du registre 6H des ADHV est relevable en bas de page, ce qui laisse songeur …

En réalité, ce livre ne déroge pas à une certaine règle locale : l’histoire des bouchers de Limoges a été et continue principalement d’être écrite par les familles, leurs descendants et les adoubés de l’ancienne corporation survivante qui, nous le supposons, garde encore très certainement et jalousement quelques archives familiales encore inexploitées.

Il reste que cette publication reste élégante mais demeure empreinte d’une nostalgie et d’un propos frisant souvent un entre-soi peu compatible avec la démonstration scientifique et historique et la mise à distance nécessaire pour tout historien travaillant sur un sujet avec lequel il entretient des liens intimes. Mais ce n’était peut-être pas le but de l’ouvrage.

Il est cependant significatif que les chapitres les mieux maîtrisés au niveau de l’écriture et de la synthèse sont ceux concernant la période antérieure à la Révolution française. Sont ainsi présentés les origines à la fin du Moyen-Age, le fonctionnement global, la localisation dans l’espace urbain de cette corporation qualifiée de « puissante » bien que rien ne vienne réellement étayer ce qualificatif au cours de la lecture : aucun chiffre, aucun fait politique ou économique ne vient prouver cette affirmation en particulier pour la période contemporaine.

Pour le reste, nous restons sur notre faim concernant le XIXe et surtout le XXe siècle. Le chapitre cinq consacré aux années 1887-1960 est d’ailleurs particulièrement parlant quant au vide constaté. En effet, si nous prenons la partie oh combien sensible consacrée au régime de Vichy, l’auteur se garde bien d’expliciter et de présenter la position politique des bouchers à Limoges pendant la Seconde Guerre mondiale. Certes en lisant entre les lignes, on la devine largement mais justement … il faut la deviner ! Or, la Charte du travail promulguée le 4 octobre 1941 va pourtant très largement dans le sens des attendus et de la philosophie conservatrice des bouchers de Limoges en général (mais certainement pas tous …justement ! ) et de la confrérie Saint-Aurélien en particulier qui semble résumer à elle seule le métier, mais l’auteur semble visiblement soucieux de préserver cette confrérie des pages d’histoire qui fâchent. Le chapitre reste donc d’une extrême prudence et se cantonne à un appui sur des extraits de textes officiels définissant la place et le rôle de la corporation des bouchers dans le cadre du régime de Vichy. Bien entendu, le livre ne manque pas de reproduire les photos connues de la remise des clés de la ville au maréchal Pétain lors de la venue de ce dernier. Le chapitre se cantonne à quelques événements peu parlants de la période là où on aurait pu attendre quelques développements bienvenus sur la période notamment sur le thème du rationnement durant la période. Un élargissement aurait pu être attendu dans la mesure où l’étude concerne aussi la profession de boucher en général. Or il n’est point fait mention notamment d’un épisode et d’un personnage qui a été mis en relief par les travaux de Pascal Plas et de Simon Schwarzfuchs qui ont mis en lumière l’histoire d’Abraham Deutsch[1]. Le chapitre reste très évasif, très descriptif, aucunement analytique. On n’oubliera pas de mentionner le grand saut dans le temps pratiqué à la page 159 qui passe d’un extrait du discours prononcé lors de la venue de Pétain le 19 juin 1941 à la Libération avec une formule ambigüe qui laisse songeur.

Pour ne pas rester sur une note négative, il est bon de souligner  l’intérêt du chapitre six consacré à la période 1960-2020 qui démontre, malgré lui, les aspects positifs du conservatisme. En 1969, il ne reste alors plus que quatre bouchers installés dans une rue en perdition car inadaptée aux conditions d’exercice du métier (notons au passage qu’aucune analyse ne vient nous expliquer où, pourquoi et comment les bouchers se sont délocalisés). La mairie dirigée par Louis Longequeue envisage la destruction du quartier en 1973. Ce dernier doit sa sauvegarde grâce à l’action de quelques limougeauds dont Jean Levet. La création de l’association Renaissance du vieux Limoges, décidée dans ce contexte cherche alors les moyens de la sauver. La résurrection d’une très vieille fête attachée à la corporation est entreprise : la frairie des petits ventres, qui depuis, est devenu le rendez-vous populaire gourmand de la ville non recommandé aux vegans. Le chapitre a ainsi le mérite de rappeler les ravages d’une politique de destruction du patrimoine de la ville par une municipalité non consciente des avantages de ce dernier jusqu’à une date récente comme le rappelle l’auteur.

Les chapitres sept et huit proposent certainement le meilleur pour la fin puisqu’ils mettent le lecteur en contact direct avec quelques documents sources et proposent une approche iconographique intéressante et assez inédite.

Précisons que l’auteur, Laurent Bourdelas, a étudié au centre d’études supérieures de la civilisation médiévale de Poitiers pour préparer un doctorat. Puis il s’est écarté de l’histoire et a occupé plusieurs activités allant de la SNCF à l’animation radio. On peut regretter qu’il n’ait pas su utiliser les acquis méthodologiques de sa formation initiale et se soit laissé aller à rédiger un livre qui fleure bon la nostalgie d’un ancien temps idéalisé et mythifié qui ne sert absolument pas la recherche. Mais ce n’était peut-être pas le but (je me répète). Les curieux qui découvriront cette histoire sans en vouloir plus, disposeront donc d’un ouvrage de première main qui propose une synthèse actualisée du mythe de cette corporation.

Cécile Dunouhaud

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[1]Jean Daltroff, « Plas (Pascal) et Schwarzfuchs (Simon) dir. « Mémoires du grand rabbin Deutsch : Limoges 1939-1945 « , Revue d’Alsace, 136 | 2010, 516-517. Source : https://journals.openedition.org/alsace/341