Juliette Morel travaille sur les informations géographiques interdisciplinaires et elle développe une démarche critique sur les cartes. Dans ce livre très illustré, elle propose donc un guide pour aider tout à chacun à décoder les cartes. Le livre est composé de sept chapitres qui correspondent à des éléments et à des procédés qu’on trouve dans les cartes. Chaque chapitre propose un «  Pour aller plus loin ». 

Ceci n’est pas la Terre

S’appuyant sur une mappemonde classique, l’autrice rappelle d’abord que celle-ci n’est pas la Terre mais seulement une de ses images familières. La carte est construite et elle peut avoir des conséquences comme l’ont montré celles délivrées par le gouvernement pendant la crise de la Covid en séparant des départements en vert et d’autres en rouge. 

Des cartes à savoir manier

Les cartes sont de plus en plus présentes dans les médias, encore faut-il savoir comment on les fabrique. Elle rappelle les apports de Jacques Bertin et énonce clairement que son objectif est d’allier sémiologie graphique et approche critique. Il s’agit d’un véritable enjeu démocratique. De façon habile, l’autrice désamorce certaines critiques en listant tout ce qu’on ne trouvera pas dans son livre : ce n’est   pas, par exemple, un manuel de cartographie au sens où il ne s’agit pas d’apprendre à faire une carte mais de réfléchir à sa lecture.

De la Terre sphérique à la carte plate

En 1973, la projection de Peters est un évènement car elle propose un rééquilibrage entre les pays du Nord et ceux du Sud. Si le message qu’elle transmet est fondamental, il ne faut pas pour autant oublier que cette projection est, comme toutes les autres, déformée. L’autrice passe en revue quelques cartes en soulignant avantages et limites de chacune. Elle relève aussi le paradoxe qui est que les possibilités numériques ont finalement réduit la diversité des cartes que l’on voit. 

Des cartes sans dessus dessous

N’oublions jamais pour commencer que l’orientation au nord est une habitude             «  héritée de la suprématie des pays occidentaux » à un moment donné. Juliette Morel montre qu’il n’en a pas toujours été ainsi et qu’au Moyen Age, par exemple, c’était la religion qui guidait l’orientation des cartes. Elle s’attaque ensuite à la question de savoir justement pourquoi l’habitude d’orienter les cartes avec le Nord en haut s’est imposée. Cela s’explique, entre autres, en raison des usages de la carte au moment des « Grandes découvertes ». Aujourd’hui les choses ont changé et on a parfois l’impression d’une orientation des cartes qui s’explique par le tourisme comme le montre l’exemple de New York. 

Cartographier c’est simplifier

L’alternative est claire : représenter l’espace réel ou la réalité de l’espace. Le plan de métro est à ce titre un bon terrain d’étude. Il rend lisible un espace, tout en s’affranchissant de la localisation exacte des stations ou du tracé des voies. Le trait de côte est un autre exemple développé dans le livre qui permet de comprendre que la longueur des côtes françaises varie beaucoup. On aborde ensuite la dimension de la carte dans le débat car tel ou tel choix peut influencer notre perception d’un phénomène. Juliette Morel le montre à travers la question des migrants. Les cartes sur cette question gomment généralement tout l’aspect tortueux des parcours et renforcent l’idée d’une linéarité directe entre pays de départ et d’arrivée. L’autrice pose enfin la question des informations que l’on choisit de faire figurer : quel niveau de ville par exemple ? 

Nommer les lieux

Là aussi, on s’aperçoit que rien n’est anodin. Juliette Morel passe en revue quelques uns de ce qu’elle nomme des « incidents diplo-typographiques » avec par exemple le cas de la Chine particulièrement sourcilleuse sur l’apparition du nom de Taïwan sur les cartes. Une majuscule ou une minuscule ont un sens. Hier comme aujourd’hui, faire figurer un nom ou pas, c’est lui donner ou pas une réalité. Dans le cas de la Guyane, on a tenté une cartographie participative pour savoir comment nommer les lieux mais cette démarche même ne reflète-t-elle pas aussi une forme de domination larvée ? 

Les découpages de la carte

Le chapitre commence en proposant quatre cartes sur les résultats de l’élection présidentielle de 2016 aux Etats-Unis et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on n’a pas vraiment l’impression d’observer le même phénomène. La façon de représenter peut tromper comme avec cette carte qui choisit d’appliquer à l’ensemble de la surface des comtés la couleur du parti politique arrivé en tête, sans prendre en compte la population de ces comtés. Donald Trump est arrivé en tête dans 85 % des comtés (dont beaucoup de très peu peuplés) mais il n’a obtenu que 47 % des voix ! L’autrice propose des cartes sur la densité française selon trois maillages différents. Tout ceci a des conséquences sur la façon de percevoir un phénomène comme la pression hospitalière. En appliquant un calcul régional et une représentation départementale, la carte du Covid a tendance à faire passer en zone rouge des espaces sous contrôle. 

Couleur et forme

Dans cette partie, c’est l’occasion de revenir sur la sémiologie graphique et de s’interroger par exemple sur le choix des couleurs et le nombre de classes que l’on crée dans une carte. Le choix de la couleur peut être politique comme le montre l’exemple avec trois variantes sur la peine de mort dans le monde. Utiliser un dégradé rouge-orange-vert ne délivre pas la même impression que des nuances de bleu. Le chapitre aborde ensuite la question des cartes issues de la télédétection ainsi que celle du choix des pictogrammes. 

Montrer des quantités

Juliette Morel revient sur le fait que lorsqu’on généralise parfois une valeur moyenne sur l’ensemble des surfaces d’un territoire cela n’a pas beaucoup de sens. Elle évoque ensuite les anamorphoses et elle relève qu’on peut aujourd’hui facilement exécuter des cartes. Un risque inhérent à cette facilité c’est de produire des images séduisantes mais parfois trop simplifiées voire erronées. La cartographie peut donc être une arme de combat comme le montrent quelques exemples reproduits dans ce chapitre. On a ainsi sans surprise une reproduction d’une carte de Nicolas Lambert intitulée «  La Butte rouge migratoire 1993-2015 ». 

Pour s’interroger

Il s’agit de trois doubles-pages en forme d’expérimentations cartographiques. Chacune part d’une carte existante et des données utilisées et propose d’autres façons de les représenter. Cela fait clairement apparaitre l’idée de choix cartographique. Elle revient ainsi sur plusieurs points abordés tout au long de l’ouvrage comme la question de la discrétisation, de la simplification ou de l’orientation. 

Ce tour d’horizon proposé par Juliette Morel donne les outils méthodologiques pour  le consommateur de cartes afin qu’il garde une prudence dans sa lecture. En ce sens, c’est un ouvrage nécessaire et citoyen.

Jean-Pierre Costille