Prenant appui sur de nombreux exemples français, belges mais également de quelques autres zones du Monde, cet atlas dirigé par deux spécialistes du commerce, Michaël Pouzenc et Colette Renard-Grandmontagne, regroupe les planches d’une trentaine de géographes également impliqués dans la recherche sur cette thématique.
L’opus est découpé en trois grandes parties : « des cartes pour comprendre », « des cartes pour décider » et « des cartes pour communiquer » et n’omet pas une introduction générale qui permet de montrer la spécificité des cartographies liées au commerce. Les cartes à grande échelle dominent souvent (rues, quartiers, agglomérations) et les maillages convoqués sont souvent différents des découpages administratifs habituels.
Qu’elles soient issues de travaux académiques ou plus pratiques à destination de décideurs, les cartes contenues dans cet ouvrage sont riches d’enseignements.
Localiser des points de vente semble l’étape de départ mais parfois ceux-ci peuvent être ambulants et non sédentaires. Revenir sur les mêmes lieux après coup peut être l’occasion d’observer les évolutions au travers des taux de vacance et de la rotation des enseignes. En graphique ou en cartographie, l’exemple des boucheries-charcuteries parisiennes permet de voir que celles-ci se sont raréfiées comme les commerces de journaux ou des compagnies aériennes alors que les enseignes liées au sport, à la téléphonie ou au bio ont progressé (p 106).
Inévitable également, la question de la distribution, de la relation au client et de la zone de chalandise. Les cartes en oursins permettent d’identifier les relations entre lieux de production et lieux de distribution (p 68).
C’est finalement la polarisation qui définit ses limites territoriales et non l’inverse. A ce titre, une planche de l’ouvrage fait appel aux cartes, déjà anciennes, mais parlantes de l’ouvrage « la France à 20 minutes » de Jean-Marc Benoit, Philippe Benoit et Daniel Pucci (p 78). La zone de chalandise doit être analysée au prisme de différents moyens de transport (p 114) pour ne pas proposer de simples temps d’accès théoriques qui ne seraient pas fonction de l’offre de mobilité (p 144). Il est aussi possible de cibler des catégories de clients (exemple de la population LGBTQI+ dans le Marais de Paris, p 186).
La temporalité est mise à l’honneur. Le nombre de passants présents est fortement corrélé à l’heure d’ouverture des magasins (exemple de l’hypercentre d’Angers, p 46) de même que les heures d’ouverture sont à adapter en fonction du temps libre des clients potentiels (cas des Colruyt en Belgique, p 184).
Ces questions de temporalité permettent de visualiser des choix de figurés qui changent de l’ordinaire : cadrans orientés différemment selon l’ancienneté de la fondation d’un établissement (cas des boulangeries coopératives du Centre-Ouest français, p 24) ou cercles partagés en quatre selon la saisonnalité d’un commerce ambulant (cas des foires en Suède, p 26).
Cette incursion sur les questions méthodologiques est l’occasion de préciser que le livre accorde une belle importance à cette problématique : on trouve l’indispensable mise en garde sur le fait de mobiliser des points pour représenter des quantités et non des surfaces, celle relative au fait de ne pas considérer les territoires étudiés comme des îles en les détourant, empêchant ainsi le lecteur de faire le lien avec un environnement plus vaste, celle relative au fait de ne pas surcharger d’informations (p 162).
Attention également au « détournement de l’attention » : cas des enseignes du groupe Casino qui sont placées dans des zones justement vides sur la carte puisque la marque n’y est que peu implantée, p 170). Attention aussi au choix des plages de données et aux couleurs qui leur sont associées (p 174). Enfin, la carte topographique n’est pas à exclure car elle peut avoir des vertus stratégiques (cas des cartes IGN, p 34).
D’autres domaines sont à lire aussi dans cet ouvrage : les critères d’implantation sont fonction de lois réglementant la concurrence (cas des pharmacies en Belgique centrale, p 146) ; les entrées de ville et leur urbanisation périphérique incontrôlée (cas de la Route de la Mer au sud de Montpellier, p 96), les frontières au travers des différentiels de prix (cas de l’essence ici avec l’exemple luxembourgeois, p 28) ou des contraintes à bâtir une carte transfrontalière du fait de maillages et de seuils différents (cas de l’offre en super et hypermarchés en Belgique et en France du Nord).
Bien d’autres entrées passionnantes sont présentes au sein de ces quelques 200 pages. On appréciera les références bibliographiques et la présentation de quelques logiciels libres de cartographie. On relèvera quelques coquilles : un oubli de l’auteur Jean-Pierre Grimmeau dans la liste finale, des termes qui auraient pu être définis car n’allant pas de soi (BIMBY, « boite à chaussures »).
Une belle réussite donc et une invitation didactique à faire de cette thématique du commerce un champ d’investigation dès le jeune âge pour pouvoir parcourir la microéchelle du commerce à pied et renouer avec une géographie « de terrain » !