Dans la collection consacrée aux Compagnons de la Libération cet album, consacré au village de Vassieux-en-Vercors et plus largement à la résistance dans le Vercors, est une véritable réussite ! Jean-Yves Le Naour, habitué des scénarios historiques, et Claude Plumail pour le dessin font revivre cette page à la fois héroïque et tragique de la Résistance française qui a laissé son empreinte dans la mémoire collective de la Seconde Guerre mondiale.
L’histoire est justement basée sur cette transmission mémorielle au sein d’une famille. Le grand-père, ancien maquisard du Vercors, reçoit sa petite-fille pour les vacances. La découverte d’un vieux cliché photographique va faire ressurgir les souvenirs des années 1943-1944. C’est alors que nos deux protagonistes vont sillonner, durant quelques jours, le plateau du Vercors dans les traces des 4000 hommes qui ont pris les armes, se sont soulevés contre l’occupant nazi, ont fait revivre la République mais ont été finalement les victimes d’une répression sanglante.
Le lecteur découvre ainsi deux ambitions résistantes différentes. La première est de faire du plateau du Vercors un lieu de refuge suite à l’arrivée des premiers maquisards qui fuient l’instauration du STO en 1943. Sous la bannière du mouvement Franc-Tireur, un groupe organise plusieurs camps de refuge notamment à la ferme d’Ambel, près du col de la Bataille, et à Vassieux. La seconde est d’utiliser les falaises abruptes afin d’en faire une citadelle pouvant accueillir des terrains d’atterrissage. Ce plan ambitieux, le plan Montagnards, a pour objectif de recevoir des troupes alliées aéroportées. En 1943, Jean Moulin et les représentants de la France Libre valident ce projet. Le site de Vassieux est rapidement repéré. Ces deux ambitions fusionnent et, Francs Tireurs et Montagnards, au printemps 1943, mettent en place un encadrement afin de transformer les réfractaires en combattants.
Au fil des pages, le lecteur entre aussi dans le quotidien des maquisards durant ces quelques mois : les entraînements, l’aide indispensable apportée par les villageois, les parachutages alliés (le premier en novembre 1943), la présence d’équipes radio essayant de communiquer avec la France libre mais aussi les incursions meurtrières de l’occupant allemand et de la Milice. Bien sûr, rien n’aurait été possible sans le courage de ces centaines d’hommes et de femmes. C’est par exemple le cas du curé de Vassieux, l’abbé Gagnol, qui ose dénoncer, publiquement lors d’une messe et devant les miliciens, les atrocités commises. Le lecteur croisera aussi Henri Grouès (l’abbé Pierre) et le jeune étudiant en géographie (mais passionné d’histoire) Marc Ferro !
Le débarquement en Normandie suscite l’euphorie et des centaines d’hommes affluent vers le Vercors. Ce sont désormais 4 000 résistants qui tiennent le massif. Le 9 juin 1944, le commandement militaire régional installe son état-major dans le Vercors et il est décide de verrouiller le massif. Durant près de deux mois, le Vercors est une zone libérée et la République y est restaurée. Ce « contre-Etat » se renforce grâce aux parachutages d’armes dont le plus célèbre est celui du 14 juillet, en plein jour.
Les Allemands préparent une offensive contre le Vercors. Ils sont inquiets de cette concentration humaine qui pourrait leur barrer le passage en cas de repli si un débarquement allié avait lieu dans le Sud. L’offensive générale débute le 21 juillet 1944. La Wehrmacht, forte de 10 000, progresse rapidement sur les hauts plateaux. Les 220 soldats allemands descendus des planeurs remportent la bataille de Vassieux. Partout, les combats s’accompagnent de l’assassinat de civils. Au soir du 23 juillet, c’est le sort de toute la Résistance du Vercors qui est scellé : les résistants se dispersent et rejoignent les forêts. Leur traque s’accompagne d’incendies de fermes et d’exécutions sommaires comme à la grotte de La Luire. Le bilan est terrible : 840 résistants et civils sont tués dont 180 à Vassieux. Pour les survivants, l’amertume est grande et le sentiment d’avoir été abandonnés aussi.
Cet album réussit brillamment, et non sans émotion, à nous raconter une histoire multiple. Celle de ce maquis gonflé par la loi sur le STO, celle d’un fier plateau de montagne devenu une citadelle de la Résistance selon le plan Montagnards et celle d’hommes et de femmes qui se sont battus et restaurèrent la République avant que la répression ne s’abatte sur eux. « C’est l’histoire d’une tragédie, d’une fierté amère, d’une immense espérance transformée en un grand sacrifice » (p.3). Une BD qui a toute sa place dans nos salles de classe ainsi que dans les CDI de nos collèges et lycées.
Pour les Clionautes, Armand BRUTHIAUX