Informer sur le bétonnage du littoral corse au détriment des lois : fait,  raconter l’histoire du mouvement nationalisme corse : fait, présenter les magouilles et autres petits arrangements si courants sur la Côte d’Azur : fait, se rendre indésirable aux yeux du seigneur de la métropole niçoise : fait. Que restait-il à Hélène  Constanty ? Etudier un petit rocher de 2km2. Un tout petit état… mais l’état « le plus riche du monde » où « un habitant sur trois est millionnaire » soit « 15 400 millionnaires pour 38 000 habitants » (p.7). C’est ce que nous propose la journaliste Hélène Constanty, aidée par Thierry Chavant, dans la bande dessinée : Monaco. Luxe, crime et corruption.

Éditée par la maison Soleil, cette bande-dessinée est un reportage graphique haletant, intriguant au point que parfois, on s’arrête dans la lecture et on s’interroge : est-ce un reportage d’investigation  ou un roman policier ?

Au cœur de deux affaires

L’auteure, Hélène Constanty met en scène sa propre enquête grâce au dessin de Thierry Chavant. S’organisant autour de deux parties, la bande dessinée raconte à la fois l’histoire de la principauté et les deux affaires retentissantes qui ont affecté le rocher ces dernières années. La première partie est consacrée à l’affaire Hélène Pastor et la seconde à l’affaire Dimitri Rybolovlev,  le patron de l’AS Monaco.  Les deux affaires ne sont pas terminées à la parution de la bande dessinée en mars 2021.  L’affaire Pastor est jugée en France car le double assassinat a eu lieu sur le territoire niçois. Hélène Pastor, riche héritière monégasque, a été tuée à Nice, avec son chauffeur, en 2014. Quant à l’affaire Rybolovlev, elle est toujours en cours. Cet oligarque russe a fait fortune dans la décennie post-soviétique des années 1990. Ayant plutôt réussi dans le dépeçage des entreprises d’état, il a cherché à mettre à l’abri les quelques 6.6 milliards amassés.  Devenu propriétaire du club de football monégasque en 2011, il s’est rendu indispensable auprès des différentes personnalités du rocher,  jusqu’au prince.

Le graal, être résident monégasque

Quel lien entre ces deux affaires ? Les auteurs parviennent à tisser la toile entre ces deux affaires (que l’on peut qualifier de polars, à certains égards) en présentant les caractéristiques de ce micro-état monégasque. Après un bref résumé de l’histoire de la principauté (p. 26-28), la bande dessinée explique pourquoi tant de personnes (riches, bien-entendu !) sont attirées par Monaco, seul paradis fiscal aussi attractif sur le continent européen. Or, pour échapper au fisc, il faut être de nationalité monégasque. Pour accéder à ce graal, il faut être dans les petits papiers du prince qui octroie la nationalité à une « poignée de privilégiés chaque année sur ordonnance souveraine » (p. 54).  Et c’est là que la famille Pastor intervient. Hélène Pastor était issue d’une riche famille italienne naturalisée monégasque qui a fait fortune grâce à l’immobilier. Devenue le premier propriétaire immobilier sur le rocher, après avoir bétonné tout le Larvotto dans les années 1970, cette famille est devenue indispensable pour toute personne souhaitant s’établir à Monaco. En effet, en devenant  locataire ou propriétaire à Monaco, on remplit la condition nécessaire au statut de résident monégasque… et si on est résident monégasque, on accède au paradis fiscal. Or, Rybolovlev, bien qu’ayant acquis les faveurs de nombreux Monégasques, n’est pas (encore ?)  parvenu à obtenir la nationalité !

Une belle représentation de la frontière … et de son exploitation

Ce récit fourni et détaillé est raconté  par une habituée des enquêtes sur la côte d’Azur et sur la Corse. Hélène Constanty, née à Marseille, connaît très bien les arcanes du pouvoir et dévoile depuis plusieurs années les affaires de la région que ce soit sous forme de livres, de bandes dessinées, d’articles de presse ou de reportage télé. Chevronnée, Hélène Constanty a mené un excellent travail d’investigation en dépit des  difficultés pour enquêter à Monaco, un territoire si petit que tout le monde se connaît.   L’oligarque russe est jugé, en effet, à Monaco où « la justice est rendue au nom du prince. C’est lui qui détient le pouvoir judiciaire et le délègue aux tribunaux » (p. 82). Elle détaille d’ailleurs ce problème, dans un de ses articles de Mediapart. Malgré son expérience, l’auteure avertit, dans son introduction, le lecteur qu’elle a reçu un « choc » lorsqu’elle est allée à Monaco la première fois ; tout comme le dessinateur, Thierry Chavant qui a eu les « yeux écarquillés » devant « cette brutalité des rapports humains » dans un écrin de « brutalité architecturale ».  

Une réussite graphique : la laideur de Monaco dans la beauté de la Riviera

Les dessins fins, précis, et les portraits fidèles des personnages publics, accompagnent le récit d’Hélène Constanty. C’est Thierry Chavant qui participe à ce beau travail, habitué lui-aussi aux bandes-dessinées d’investigation.  Le béton brut, la verticalité des tours monégasques sans âme, le côté propret (voire trop propre) de Monaco associés, paradoxalement, à de belles vues sur Monaco depuis la grande corniche ou depuis  la Tête de chien, les croquis de la gare Saint-Charles, certaines rues monégasques ou niçoises, tout le dessin montre un véritable de travail de repérage en amont de la part du dessinateur, Thierry Chavant. Cela donne un résultat très réussi. Le tout est n’est pas accompagné de couleurs criardes ou vives, on lit dans une ambiance ocre, noire, sombre, parfaite pour faire sortir cette ambiance feutrée et discrète des cabinets et des salons monégasques dans lesquels se trament les montages fiscaux et autres trafics d’influence.

D’ailleurs, le récit s’ouvre sur une vue, de nuit, sur Monaco. Thierry  Chavant met en scène Hélène Constanty, en soirée, découvrant les arcanes du pouvoir et les protocoles non écrits lors du gala de la Croix Rouge monégasque. Quelques pages plus loin, seul le rouge de l’écharpe rouge et blanche de l’AS Monaco apporte une touche de couleur, comme pour amuser la population à travers le football et laisser le reste des affaires aux initiés.

Rybolovlev, rêveur face aux lumières du port de Monaco

La réussite de Monaco. Luxe, crime et corruption réside donc dans l’alliance d’une journaliste d’investigation, très sourcilleuse dans la véracité des faits rapportés et d’un dessinateur de bande-dessinateur qui retranscrit le décor si particulier de ce micro-état.  Découvrez quelques planches… puis courez chez votre libraire préféré !