Le gouvernement de Vichy ayant renoncé à fonder un parti unique sur le modèle fasciste, la Légion Française des Combattants créée par la loi du 29 août 1940 fut  donc  la seule organisation de masse du régime de Vichy.

Interdite en zone occupée, elle a rassemblé, au plus fort de son développement, plus de 1,1 million de personnes en zone libre. Destinée à asseoir la popularité du Maréchal Pétain et à servir de courroie de transmission à la propagande de Vichy, l’importance numérique de la Légion et son implantation locale remarquable justifiaient qu’on  consacrât à cette organisation des recherches historiques approfondies et c’est à cette tâche qu’ Anne-Sophie AnglaretAnne -Sophie Anglaret est docteure en Histoire et a consacré sa thèse à la Légion Française des Combattants qui a reçu le prix de la Chancellerie des Universités de Paris. Au service du Maréchal? publié par les  Editions du CNRS est donc directement issu de sa thèse de doctorat, dirigée par  Alya Aglan et Nicolas Offenstadt. s’est attelée.

La Légion Française des Combattants étant un mouvement de masse à l’implantation communale  remarquable, l’un des objectifs principaux d’Anne-Sophie Anglaret était d’étudier les motivations, les opinions et les actions des  légionnaires. Pour cela, il ne fallait pas se contenter d’étudier les discours et la presse légionnaire produits par les responsables nationaux de la Légion. L’une des sources essentielles de son étude repose donc sur les bulletins d’adhésion des adhérents, dont la grande majorité a disparu. Grâce aux archives de la ville de Limoges et des départements du Tarn-et-Garonne et des Hautes Alpes, elle a créé une base de données de près de 4000 individus, un effectif  suffisant qui autorise un traitement statistique utile pour la connaissance de la Légion et des légionnaires.

L’objectif de la Légion Française des Combattants était de fondre la nébuleuse des associations d’anciens combattants de l’entre-deux -guerres dans une organisation unique au service du gouvernement de Vichy. Se pose dès lors la question essentielle de la continuité/rupture  entre la Légion nouvelle et les associations de l’entre-deux-guerres. Cette question constitue, nous semble-t-il, le fil rouge du livre  à laquelle Anne-Sophie Anglaret s’efforce d’apporter une réponse nuancée au fil des chapitres.

Les débuts

Les chapitres 1 et 2 abordent la question de la naissance et de la création des sections locales en  1940 et 1941. L’historienne montre que la mise en place de la Légion est un processus progressif qui commence à l’automne 1940 et se poursuit pendant environ un an, en 1941. L’adhésion à la nouvelle structure suscite parfois des résistances ou des réticences locales, sans constituer toutefois un mouvement de fond. L’analyse du profil des cadres de la légion aux niveaux communal et départemental fait apparaître une assez grande continuité entre d’une part les cadres de l’UNC (Union Nationale des Combattants) classée à droite, et qui était avant 1940 l’une des 2 grandes associations d’anciens combattants, et d’autre part la surreprésentation parmi les cadres d’anciens adhérents du PSF (parti social  français) du colonel de la Rocque. L’analyse des bulletins d’adhésion incite à nuancer le présupposé historiographique du maréchalisme des légionnaires, présupposé explicable par la présence systématique  des légionnaires lors des visites du Maréchal. Ces bulletins ne font pas souvent  référence à la personne de Pétain et il est probable que dans l’esprit de beaucoup de légionnaires, l’élément qui détermine l’adhésion à  la Légion est la continuité  avec l’association locale  d’anciens combattants d’avant-guerre et la sociabilité qui lui est liée.

La presse légionaire

Le chapitre 3 est consacré à l’analyse des principaux thèmes abordés par la presse légionnaire, dont l’abonnement au mensuel Le Légionnaire était obligatoire et  inclus  dans la cotisation d’adhésion à la Légion. La ligne éditoriale, le contenu et l’importance accordée à chaque thème dépendaient donc de rédacteurs nationaux. Si les thèmes de la propagande de Vichy sont bien présents (la famille, le travail, la terre), A-S Anglaret relève que la presse légionnaire demeure « une presse toujours combattante »,  par la place accordée aux sujets concernant directement  les anciens  combattants en général et les  prisonniers de guerre et leurs familles, en particulier. En revanche,  la place accordée à l’international (la guerre, la collaboration avec l’Allemagne) est très faible.  Il faut attendre la fin de l’année 1941, après l’invasion de l’URSS,  pour que l’influence idéologique de Vichy  se fasse plus pesante avec des articles hostiles aux francs-maçons, aux Juifs, aux communistes et aux gaullistes.

« la Légion dans la cité : rôle social et politique »

Le chapitre 4  met en lumière le rôle limité de la Légion dans l’administration et les affaires politiques du pays, ce qui constitue, selon l’autrice, le malentendu fondamental de la Légion dont « la masse et l’importance symbolique sont démesurées par rapport à son pouvoir véritable » (p.212), le gouvernement de Vichy souhaitant garder fermement le rênes du pouvoir. Cette subordination crée parmi les légionnaires  déception et parfois désaffection.

L’historienne aborde bien sûr la création du S.O.L (Service d’Ordre de la Légion) en  1942, à l’initiatice de Joseph Darnand, qui constitue l’exemple le plus connu de l’intervention de la Légion dans la sphère politique. Mais elle rappelle que le S.O.L prend son autonomie dès janvier 1943 en devenant La Milice et que ses membres sont recrutés parmi la petite minorité la plus active et la plus à droite de la Légion. De plus, une partie des miliciens recrutés à partir de 1944 n’ont jamais été légionnaires.

L’Action sociale

L’Action sociale constitue, selon l’autrice, « la vitrine de la Légion » et une forme efficace de propagande  en faveur du régime de Vichy. Elle permet l’engagement  des légionnaires au niveau local par la participation à des activités concrètes (collecte, ventes d’insignes, aide apportée aux familles dans le besoin), ce qui était déjà l’une des activités traditionnelles des associations d’anciens combattants d’avant guerre. Ces actions sociales, dans le contexte de pénurie de l’Occupation, répondent à une vraie nécessité. Cependant,  A-S Anglaret démontre que la part des budgets consacrés à l’action sociale reste assez modeste et rappelle que la Légion n’est pas la seule organisation à intervenir dans le domaine du social.

1943-1944

La dernier chapitre, « la déliquescence », analyse le déclin de la Légion Française des Combattants en  1943 et 1944. Ce déclin est visible dans les chiffres du nombre d’adhérents qui baisse à partir de 1943, et plus encore dans les chiffres de participation des Légionnaires aux cérémonies et défilés. Certaines sections locales, déjà peu actives, cessent même de fonctionner dans nombre  de petites communes rurales. Si les causes de ce déclin sont parfois  clairement la manifestation d’une opposition à la politique collaborationniste du gouvernement Laval (en particulier quand il s’agit de démission de cadres départementaux ou nationaux du mouvement), l’interprétation de la désaffection des simples légionnaires se révèle plus délicate, car elle a laissé peu de traces dans les sources.

À la Libération, la Légion Française des Combattants est dissoute par la loi,  le 9 août 1944. Mais elle n’est pas classée parmi les « groupements antinationaux », contrairement au S.O.L et à la Milice. Ses membres échappent donc pour l’immense majorité d’entre eux à l’Épuration, les cadres  jugés ayant en général appartenu à d’autres mouvements plus engagés dans la Collaboration. La légion disparaît donc dans une grande discrétion pendant l’été 1944 et cela est peut être la conséquence de son rôle politique modeste et secondaire sous le régime de  Vichy. À partir de 1945, le mouvement combattant épuré de ses dirigeants les plus engagés dans la Collaboration se réorganise sur la base des associations d’avant guerre.

Selon A-S Anglaret, « le facteur le plus déterminant dans le succès de l’organisation [la légion Française des Combattants] est celui de la continuité avec les anciennes associations. » (P. 301) Et c’est bien ce qui ressort à la lecture de son livre.

Un entretien avec A-S Anglaret