Agrégé et docteur en histoire, Fabrice Grenard est aujourd’hui directeur historique de la Fondation de la Résistance. Auteur d’une thèse sur le marché noir publiée en 2008, il a poursuivi ses recherches dans le même domaine en publiant Les scandales du ravitaillement. Détournements, corruption, affaires étouffées en France, de l’Occupation à la guerre froide, (Payot, 2012). Entre temps il avait abordé ses travaux sur la Résistance par la question mal connue des « maquis noirs » et des « faux maquis » (Vendémiaire, 2011). Il les poursuivit en 2014 en proposant une biographie du « premier maquisard de France », Georges Guingouin, Une légende du maquis. Georges Guingouin, du mythe à l’histoire (2ème édition revue et augmentée, Vendémiaire, 2018). Il nous livre aujourd’hui le fruit de plus de dix ans de recherches dans les fonds d’archives nationaux (Archives nationales et Service historique de la Défense) et départementaux (particulièrement les archives de l’Ain, de la Corrèze, de la Haute-Vienne et de la Haute-Savoie), complétées par de très nombreux témoignages d’anciens  maquisards (chefs et maquisards de base) et la lecture de centaines d’ouvrages et d’articles, (rassemblés dans les 18 pages de la bibliographie) : la première synthèse à l’échelle nationale de l’histoire des maquisards.

                              « Non pas seulement une histoire des maquis, mais une histoire des maquisards »

Fabrice Grenard l’affirme dès l’introduction : « Cet ouvrage constitue pour la première fois une tentative d’écrire non pas seulement une histoire des maquis, mais bien une histoire des maquisards ». Son approche anthropologique est centrée sur l’expérience du maquis vécue par des dizaines de milliers d’hommes dans les campagnes et montagnes de France en 1943 et 1944.

Cette approche se situe dans le prolongement de la démarche de l’historien britannique Harry Roderick Kedward, dont les travaux pionniers furent publiés à Londres en 1978  et traduits en français en 1989 seulement, sous le titre Naissance de la Résistance dans la France de Vichy, 1940-1942, Idées et motivations, avec une préface de J.-P. Azéma. Kedward a enquêté sur le terrain et recueilli des témoignages en divers lieux de la France méridionale, celle qui était de 1940 à 1942 la zone non occupée. A ces témoignages enregistrés s’ajoutèrent une foule d’entretiens informels. Par recoupements, en confrontant la mémoire résistante avec de multiples documents d’archives privées (journaux personnels de résistants), il forgea en s’inspirant  de la démarche anthropologique, une nouvelle approche et une nouvelle méthode et il éclaira d’un jour nouveau les débuts de la Résistance qui étaient les moins étudiés et les moins connus. Kedward remit sa méthode à l’épreuve et publia en 1993 un ouvrage dont la traduction française parut en 1999 sous le titre Á la recherche du maquis. La Résistance dans la France du Sud (1942-1944). Il mit en relief la culture « hors-la-loi » qui se construit au maquis et qui reflète l’univers viril des jeunes hommes qui le peuplent.  Fabrice Grenard se réfère aussi aux travaux de François Marcot sur La Résistance dans le Jura (Besançon, Cêtre, 1985) et à ceux de l’historien Jacques Canaud sur les maquis du Morvan, qui contribuèrent à renouveler profondément l’approche de l’histoire des maquis, longtemps essentiellement centré sur ses aspects militaires : Les maquis du Morvan, 1943-1944, Autun, Académie du Morvan, 1981, (réédition 1995) ; Le temps des maquis. De la vie dans les bois à la reconquête des cités. 1943-1944, De Borée, 2011.

« Tout en les replaçant dans leur contexte, il s’agit de comprendre les trajectoires de ceux qui ont fait le choix de « prendre le maquis », en s’attachant à la façon dont ils ont pu rejoindre un camp, au sens qu’a pu revêtir leur engagement, à leurs conditions de vie dans la clandestinité, aux relations entretenues au sein de la communauté du maquis ou avec les populations locales, aux souffrances qui ont également existé, notamment lors du terrible hiver 1943-1944 ». La contextualisation  des trajectoires des maquisards permet à l’auteur de rédiger une histoire globale des maquis qui, construite sur un plan chronologique, en présente tous les événements, avec les qualités habituelles des ouvrages de l’auteur : composition fortement structurée, introductions partielles et transitions mettant en évidence les idées directrices et permettant de suivre aisément les démonstrations, clarté de l’expression.

L’ouvrage comprend quatre parties : « Des réfractaires aux maquisards, automne 1942-automne 1943 » ; « L’apprentissage d’une vie nouvelle, printemps-automne 1943 » ; « La crise de l’hiver, décembre 1943-mars 1944 » ; « Les maquisards passent à l’action, printemps-été 1944 ». Les 60 dernières pages sont consacrées aux notes, aux sources et à la bibliographie. On peut regretter l’absence d’un index. Un cahier de huit pages propose des photographies de qualité accompagnées de légendes qui en soulignent l’intérêt historique.

                                                  Des réfractaires aux maquisards. Automne 1942-Automne 1943

Les 5 chapitres de cette première partie (100 pages) exposent les conditions historiques de la naissance des premiers maquis, montrent qu’ils furent antérieurs à la création du Service du Travail obligatoire (STO), expliquent pourquoi Londres n’y était pas favorable et pourquoi il n’était pas facile de transformer les réfractaires au STO en maquisards qui soient des combattants.

Une première génération de camps, antérieur à la création du STO. La naissance des premiers maquis est consécutive de la loi du 4 septembre 1942 qui instaure un système de réquisition de la main d’œuvre parmi les travailleurs masculins de 18 à 50 ans et les Françaises célibataires de 21 à 35 ans. Cette loi concerne essentiellement les ouvriers. Jusqu’alors, la Résistance, et les quelques résistants clandestins étaient des urbains. La loi de septembre 1942 «  inaugure une nouvelle forme de vie clandestine, collective, en milieu rural ». Campagnes et montagnes deviennent refuge pour les persécutés du régime de Vichy. Devenir réfractaire (on disait alors plutôt « défaillant »), c’est entrer dans l’illégalité, et devoir affronter les difficultés de la vie clandestine, en période de pénurie, de restrictions alimentaires et de contrôle bureaucratique. Les hommes se cachent d’abord individuellement dans les fermes qui accueillent volontiers cette nouvelle main d’œuvre. Mais l’afflux (relatif au regard de ce qu’il sera plus tard) impose aux organisations de résistance, qui l’encourage sans l’avoir prévu, de créer des camps dans des espaces isolés, néanmoins pas trop éloignés d’une ferme ou d’un hameau pour pouvoir être contactés et ravitaillés. Ainsi apparaît « une première génération de camps », sur le plateau du Vercors, en Ardèche, dans le Jura, en Haute-Savoie, dans le Cantal, au cours de l’hiver 1942-1943, presque essentiellement dans les régions montagneuses de la zone Sud. Ce sont des camps d’hébergement, des maquis refuges, sans fonction militaire. Les premiers maquisards sont des hommes dans la force de l’âge car la loi visait des ouvriers expérimentés, qui ne pensaient pas nécessairement rester bien longtemps au camp. C’est la loi du 16 février 1943 créant le Service du travail obligatoire (STO), qui va radicaliser la situation.

Le STO procure une seconde génération, plus nombreuse et plus jeune. C’est alors un changement d’échelle qui se produit. Fabrice Grenard intitule ce chapitre, « Le séisme du STO ». La loi concerne toute la société, y compris les étudiants et la bourgeoisie (les paysans sont, dans un premier temps, exemptés) et va être la cause de la rupture totale et définitive d’une majorité de Français avec Vichy. Un large mouvement de refus se manifeste dans tout le pays (les rapports préfectoraux en témoignent). Les organisations de résistance, aussi bien gaullistes que communistes, appellent à la désobéissance. Les requis se présentent à la visite médicale obligatoire, puis, surtout à partir d’avril, ils passent dans la clandestinité. Les camps refuges qui existaient dans les massifs montagneux essaiment pour absorber les réfractaires. L’auteur expose la situation dans l’Ain, la Haute-Savoie, le Vercors, le Vaucluse, la Corse, la Haute-Corrèze, les Vosges, le Morvan. Fabrice Grenard affirme que le chiffre de 30 000 maquisards souvent repris comme étant celui des effectifs en mars avril 1943, doit au moins être divisé par deux, peut-être par trois. Les maquisards sont plus jeunes, et souvent viennent de plus loin. Par contre l’auteur montre que beaucoup ne cherchent pas seulement à se cacher mais ont de fortes convictions patriotiques. Rejoindre un camp de maquisards est « une décision lourde de conséquences alors que d’autres solutions sont envisageables ».

Naissance du maquisard. Seuls le PCF et les FTP  qui en sont la branche paramilitaire ont immédiatement saisi l’opportunité que représentaient ces regroupements de jeunes pour accroitre leurs recrues et amplifier la lutte armée. Les FTP sortent des villes, étendent leur action à la zone Sud et se lancent dans la guérilla. Des maquis FTP se développent dès mars et avril 1943. Pour les autres organisations de résistance, un débat crucial s’engage sur le sort qu’il convient de réserver aux camps de réfractaires qui se multiplient. La constitution de l’Armée secrète (AS) ne devait pas s’accompagner de la création de maquis, mais reposait sur l’action de « groupes francs » réunissant des résistants « sédentaires », ayant une existence légale. Le général Delestraint est opposé à l’utilisation de maquisards dans un combat militaire. Seul le chef de Combat, Henri Frenay, présente à Londres un plan prévoyant la création de réduits montagnards, ce qui exige d’armer les maquis par des parachutages depuis l’Angleterre. Mais Londres s’y refuse et Jean Moulin applique les directives de Londres. La crise interne sera violente avant que les vues de Frenay ne finissent pas l’emporter.

Les directives du Comité directeur des Mouvements unis de résistance (MUR) en date du 1er avril 1943 annoncent leur intention de développer, d’encadrer et d’armer les maquis. Ces consignes « expriment un tournant majeur » car elles distinguent les « réfractaires », ceux qui se cachent, des « maquisards », ceux qui sont prêts à se battre. « Ceux qui rallient à partir de cette période les camps intégrés dans une organisation résistante plus large, s’engagent en toute connaissance de cause. Ce qui contredit l’idée assez répandue selon laquelle une majorité de réfractaires ayant rejoint le maquis en 1943 avaient pour motivation principale de se cacher pour échapper aux recherches, sans forcément dénoter une volonté se s’engager dans la lutte armée. » Les MUR créent un Service national maquis (SNM) qui développe des structures régionales, et une école destinée à former les cadres du maquis. Des consignes strictes sont données aux maquisards pour qu’ils respectent les populations environnant le maquis ; elles forgent une identité maquisarde qui se retrouve chez les FTP : « une personne à part, combattant désintéressé n’ayant d’autre but que la libération du pays, mû par une soif de liberté et vivant à l’écart de la société tout en étant soumis à des principes très stricts. » Le recrutement s’accélère, le nombre de maquisards double entre le printemps et l’automne 1943, passant de 10 000 hommes à environ 20 000. Prendre le maquis ne signifie plus fuir et se cacher, mais rallier une organisation combattante et disciplinée.

                                                  L’apprentissage d’une vie nouvelle. Printemps – Automne 1943

Les cinq chapitres de la seconde partie (120 pages) traitent du maquis lui-même. Ici règne vraiment l’approche anthropologique. L’auteur analyse les modalités de gagner le maquis, l’organisation du camp, la vie quotidienne du maquisard, les relations au sein du groupe et celles du groupe avec les populations locales, etc.

Gagner le maquis. Des filières fonctionnent sur l’ensemble du territoire, depuis des régions de plus en plus lointaines, vers les camps principaux de la zone Sud. Elles sont difficiles à trouver et le temps pour gagner le maquis est souvent bien long pour celui qui a décidé de s’y rendre. L’auteur s’appuie sur de nombreux témoignages écrits et trace des parcours concrets. Il montre, toujours avec des exemples précis, combien les commerçants, les prêtres, les médecins, ont joué un rôle crucial dans ces passages. On voit le maquis recruter dans les gares ; on voit des groupes gagner le maquis (clubs de gymnastique, équipes de rugby, Chantiers de jeunesse) : un basculement collectif vers le maquis qui s’observe aussi à travers les étrangers fuyant les Groupes de Travailleurs étrangers au sein desquels Vichy les avait assignés. Sont étudiés aussi les premières infiltrations d’agents à la solde de Vichy ou des Allemands.

Vivre au maquis. Les premiers maquis sont nécessairement mobiles, pour des raisons de sécurité et de ravitaillement. Les groupes se limitent à une dizaine d’hommes ; chalets, fermes, abris souterrains sont des installations temporaires. Il faut choisir les emplacements avec soin : à l’écart des hameaux et des villages, mais pas trop afin de pouvoir se ravitailler et garder le contact avec l’organisation : les premiers emplacements sur le plateau des Glières et sur celui du Vercors correspondent à ces critères. Au camp règnent l’inconfort et la précarité : « La réalité de la vie au maquis est assez éloignée de la vision quelque peu idéalisée et romantique parfois présentée à la fin de la guerre, qui insiste sur l’esprit d’aventure, l’indépendance et la vie sauvage (…) Elle se caractérise par la pénurie de tout ce qui serait indispensable pour disposer d’un confort minimal, par les multiples contraintes qu’imposent la vie clandestine et la sécurité du camp, par une certaine monotonie induite par des emplois du temps assez répétitifs au quotidien (…) Le sentiment n’en domine pas moins de participer à une aventure collective extraordinaire, totalement anormale et singulière.» Sont étudiés ici les tenues vestimentaires, les soins corporels, l’alimentation, l’organisation de la journée, les corvées, le ravitaillement et le désœuvrement et le sentiment d’ennui, les veillées (seuls moments de détente et d’animation), la culture et les relations humaines, l’attachement au chef qui est fondamental car il construit la cohésion du groupe.

Devenir un guerrier. Le défi est considérable. Les maquisards n’ont aucune expérience des armes, qui d’ailleurs sont rares, ainsi que les militaires qui acceptent de les encadrer. De plus, ces derniers ne sont pas compétents pour enseigner les techniques de la guérilla, et ceux qui sont issus de la société civile n’ont pas d’expérience militaire. La pénurie d’armes et de munitions freine la capacité d’action des maquis. Il y a peu de parachutages d’armes en 1943 car les Britanniques estiment que le risque est trop grand de voir les armes parachutées tomber directement aux mains de l’ennemi. « Les maquis ne sont donc pas opérationnels en 1943 pour mener des actions armées et une véritable guérilla (…) Les coups de mains menés sont essentiellement destinés à obtenir du ravitaillement et des équipements et n’ont que très rarement un objectif militaire. Les sabotages ou les embuscades opérés au cours de la période ne sont pas le fait de maquisards regroupés dans les camps mais des corps francs spécialisés dans  ce genre d’actions. »

Aux premiers temps du maquis, les populations environnantes sont inquiètes et méfiantes, pas nécessairement et pas immédiatement complices et solidaires : « Les relations qui s’élaborent entre maquisards et population apparaissent particulièrement complexes et ambivalents » Les populations sont déstabilisées, craignent les représailles et subissent les réquisitions. La campagne de destruction des batteuses à la fin de l’été 1943 soulève l’hostilité des paysans  attachés à la propriété privée et aux fruits du travail ; les organisations de résistance durent y mettre fin afin de ne pas braquer les populations contre les maquisards.

Gagner le soutien des populations. A partir de l’automne 1943, la Résistance s’attache à démontrer aux populations que les maquis ne sont pas source de désordre et de chaos, mais qu’ils sont l’expression d’une autorité nouvelle, capable de contrôler le territoire et de faire régner un ordre plus juste. Les maquisards ne sont pas des hors-la-loi mais ils incarnent une nouvelle légitimité. Ainsi Guingouin fait il apposer des affiches fixant les prix des denrées qu’il signe « préfet du maquis » et qui annulent la législation de Vichy. Les coups de mains nécessaires au ravitaillement des maquis  sont rigoureusement encadrés par les chefs et la loi du maquis s’applique durement aux maquisards qui désobéissent. Les organisations de résistance décident de célébrer le patriotisme et l’unité de la nation à l’occasion du 11 novembre 1943. Fabrice Grenard raconte avec précision la manifestation la plus célèbre, celle des maquis de l’Ain à Oyonnax, qui fut la plus importante (200 maquisards défilent en plein jour dans la ville), la plus risquée et la plus médiatisée. « L’opération est une réussite totale. Les hommes de Romans-Petit ont réussi à contrôler, durant une heure environ, une ville dans la France occupée ».

                                                  La crise de l’hiver. Décembre 1943-Mars 1944

Les cinq chapitres de la troisième partie (100 pages) sont consacrés  à « une période noire qui stoppe la dynamique à l’œuvre depuis le printemps 1943 et change considérablement l’expérience des maquis ». Tous les maquis y sont confrontés. Elle s’explique par la désillusion créée par l’absence du débarquement attendu pour l’automne, par les conditions hivernales qui rendent insupportables la vie dans les camps, par la répression qui s’accentue et n’est plus seulement le fait de la gendarmerie, mais aussi de la Milice et des Allemands

Face à une répression intensifiée, les populations doutent. Ce sont d’abord les Groupes mobiles de réserve (GMR) qui sont chargés par Vichy de réprimer les maquis, police mobile de type paramilitaire, bien armée et motorisée. Leurs membres sont plus déterminés que les brigades de gendarmerie au comportement ambivalent. Néanmoins certains GMR ont mauvais conscience et la Milice s’implique, radicalisant la répression et suscitant un climat de guerre civile dans certains départements à la fin de 1943. Le 13 novembre a lieu en Haute-Savoie la première opération antimaquis conduite par les Allemands, en Corrèze deux jours plus tard. Des signes de réprobation et d’hostilité apparaissent de la part de populations qui craignent les représailles depuis que les maquis sont attaqués et qui parfois deviennent hostiles aux actions des maquisards qu’elles jugent inopportunes, prématurées et inefficaces. Les premiers drames résultent de circonstances singulières, particulièrement en Haute-Savoie qui déplore ses premiers villages martyrs.

Se concentrer ou se disperser durant l’hiver. L’hiver aggrave les conditions de vie et d’approvisionnement des maquisards. La neige complique les déplacements et les rend plus visible. Les hommes ont froid et faim, tombent malades et broient du noir. Certains désertent. Les effectifs chutent. Deux solutions opposées sont alors choisies : la concentration et la dispersion. En Haute-Savoie, dans le Vercors, dans le Bugey, les maquis les mieux organisés et les mieux équipés, bénéficiant de chalets d’alpage et d’habitations isolées, les hommes sont regroupés et le maquis maintenu. Dans les autres régions on choisit le décrochage et la dislocation. L’hébergement se fait dans des fermes et les conditions restent précaires. Quelques groupes optent pour le nomadisme. Un chapitre est consacré  au rassemblement de centaines de maquisards sur le plateau des Glières en Haute-Savoie durant l’hiver 1943-1944. Cette concentration est atypique quand la tendance est plutôt à la dispersion et tient à des conditions particulières. En une vingtaine de pages, Fabrice Grenard expose les raisons et les modalités de la constitution de ce maquis

« La lutte contre les bandes ». Au début de 1944, les Allemands décident d’engager une véritable répression militaire contre les maquis dans les régions où ils ont pris une réelle ampleur, les Alpes, le Jura et le Sud-Ouest. Les maquisards, qualifiés de « bandes » et de « terroristes » ne seront pas considérés comme des combattants réguliers ; ils seront immédiatement exécutés. Reproduisant les méthodes utilisées sur le front russe, les populations civiles seront terrorisées : exécutions, déportation, incendies de fermes, hameaux et villages. L’opération Korporal vise les maquis de l’Ain et se déroule en février 1944. « Première des opérations de ratissage menées en France par les Allemands, Korporal présente certaines des caractéristiques que l’on retrouvera par la suite dans toutes les actions antipartisanes de l’occupant, notamment la tactique du cordon militaire destiné à encercler les maquis, le déploiement de Jagdkjommandos, chargés des actions de « nettoyage », l’occupation des petites communes sises à proximité de l’emplacement des camps, et la volonté de terroriser les populations en détruisant et en incendiant des habitations, mais aussi en fusillant pour l’exemple des personnes soupçonnées d’avoir apporté une aide aux maquisards.» En mars 1944, l’opération Haute Savoie vise le maquis des Glières. Le maquis décide de tenir afin de préserver les armes parachutées. Les Allemands bombardent le maquis et mènent une offensive frontale contre les maquisards qui reçoivent l’ordre de repli. 105 maquisards sont tués dans la chasse à l’homme qui s’en suit ainsi qu’une vingtaine de civils. Mais les maquisards ont tenu pendant près de deux mois, contre les Allemands et la Milice. Fin mars, l’action Brehmer est entreprise contre les maquis du Sud-Ouest, en Dordogne et en Corrèze. La répression est terrible contre les civils. Le maquis de Guinguoin adopte la stratégie du repli et de la dispersion, dure à vivre pour les maquisards, mais efficace. Des opérations sont encore menées dans le Cantal, l’Isère et le Vercors, tandis qu’une unité spécialisée dans l’infiltration des maquis, la division Brandebourg, opère dans les Basses-Alpes et le Vaucluse.

                                                  Les maquisards passent à l’action. Printemps-Eté 1944

Cette partie est la plus longue (190 pages). Elle analyse en 7 chapitres la période la plus glorieuse, la mieux connue et la plus meurtrière qui conduit les maquisards de la grande mobilisation qui fait suite au Débarquement, jusqu’aux combats et aux libérations d’août 1944.

Les maquis se renforcent au printemps 1944. Réfractaires et maquisards regagnent les bois et les montagnes redevenus protecteurs. La répression n’a pas anéanti les maquis et les populations restent solidaires. Les maquisards sont intégrés au sein des FFI qui se mettent en place en mars 1944. La stratégie reste celle du sabotage, de la guérilla et de la dispersion avant tout combat frontal. Les hommes « descendent des montagnes ou sortent des forêts, pour aller au contact des populations locales » ; ils occupent plusieurs petites villes pendant quelques heures (Cajarc dans le Lot, le 10 avril 1944), prennent le contrôle de la mairie, exécutent des collaborateurs.

Les effectifs explosent avec le Débarquement. Le débarquement de Normandie le 6 juin 1944 marque un tournant décisif ; les effectifs explosent pour aboutir à 100 000 maquisards fin juin. Les maquis participent à l’exécution des plans de sabotage mis au point à Londres et déclenchés par les messages de la BBC. Des appels à l’insurrection sont lancés et des villes sont libérées : « Cet appel à l’insurrection n’est pas seulement le fait des FTP, contrairement à une idée colportée après-guerre, quand il s’agira de critiquer des entreprises trop précoces ». Les petites brigades territoriales de gendarmerie rallient les maquis ; Fabrice Grenard insiste sur l’exagération du chiffre souvent donné de 12 000 gendarmes ayant gagné les maquis, le ramenant à 5000 ou 6000. Beaucoup de camps ne sont plus vraiment camouflés et s’adossent à des villages : c’est le cas dans le Vercors et pour le maquis de Guingouin. L’organisation de ces camps de maquisards de l’été 1944 est présentée avec de nombreux exemples.

Les maquis à l’offensive. Les plus puissants maquis vont se lancer dans des batailles frontales avec l’ennemi. Ces batailles révèlent le courage des maquisards mais aussi « leur trop grande inexpérience militaire et leurs moyens insuffisants ». La répression elle aussi franchit un cran. Fabrice Grenard expose « la tragédie de Tulle » le 9 juin 1944 (il y a par ailleurs consacré un livre), puis les combats du mont Mouchet. Un chapitre est consacré à la présence des soldats et officiers alliés dans les maquis : commandos de SAS parachutés et missions Jedburgh venus encadrer, armer et renforcer les maquis ; « ces combattants britanniques, américains ou canadiens jouèrent un rôle crucial au sein des maquis au cours de l’été 1944 ». L’auteur s’attache à présenter leur cohabitation avec les maquisards. Dans quelques villes et enclaves libérées par les maquis en juin 1944, et qui le restent de plusieurs jours à plusieurs semaines (su le plateau du Vercors par exemple), les maquisards incarnent le nouveau pouvoir. A Nantua, Henri Romans-Petit proclame la IVème République et assume à titre provisoire les fonctions de préfet ; sur le plateau du Vercors, la République est officiellement restaurée. Les maquisards sont militarisés et le maquis assure l’administration et l’épuration. La réaction des Allemands porte la répression à son plus haut niveau. Sont alors présentés l’opération Trettenfeld dans l’Ain, l’opération Bettina dans le Vercors, les combats du mont Gargan en Corrèze.

Les victoires d’août 1944. C’est le titre du dernier chapitre. « A Brive, à Toulouse, à Limoges ou à Annecy, les maquisards conquièrent « leur victoire » sur les troupes d’occupation, qui se rendent plusieurs jours, voire plusieurs semaines, avant que n’arrivent les premières unités alliées. Cela constitue une véritable revanche après les coups portés par la répression allemande au cours des mois précédents. » La stratégie choisie consiste à asphyxier les garnisons allemandes qui se rendent, d’autant plus facilement que des officiers des services secrets alliés leur permettent de ne pas se rendre directement au maquis, ce qui les terrifie. Le long de la vallée de la Seine et de la vallée du Rhône, le rôle des maquis est moins déterminant dans la libération du territoire. Des pages sont consacrées à la libération de la Haute-Savoie, de l’Ain, aux combats dans les Vosges et dans le Doubs. Les dernières pages du chapitre évoquent « les désillusions de l’amalgame » : la fusion des FFI au sein de la 1re armée de De Lattre, le retour obligatoire dans leur foyer des hommes qui ne veulent pas s’engager « pour la durée de la guerre », la déflation des grades mal vécue par les officiers des maquis.

Sans doute trop long, ce compte-rendu s’est efforcé de montrer la richesse d’un ouvrage qui fera date. Une même méthode est appliquée tout au long du livre : exposé des tendances et des idées directrices, mise en évidence des caractères novateurs de la recherche, puis développement argumenté des diverses situations géographiques et historiques. Très pédagogique, cette progression facilite la lecture, clarifie le récit et le rend très accessible. L’ensemble constitue une véritable somme.

Joël Drogland pour les Clionautes