Fertile en événements majeurs, cette année 2011 devrait sans doute marquer un tournant dans l’histoire des relations internationales. La disparition physique du leader du mouvement Al Qaïda, les révolutions arabes, malgré les incertitudes à propos de la situation en Syrie, le retrait des troupes américaines d’Irak, et l’enlisement en Afghanistan, devraient ouvrir de larges perspectives de discussions et d’échanges à propos de la marche du monde contemporain.
Le bilan annuel associe différents auteurs qui présentent plusieurs espaces géographiques ou des thèmes qui ont fait débat pendant l’année écoulée. Il était logique que cet ouvrage ouvre sur les révolutions, du Moyen-Orient à l’Afrique du Nord, même si on comprend que certaines questions sont loin d’être réglées. Faites aucune n’est vraiment. Les révoltes dites « abouties », en Tunisie comme en Égypte, ont eu comme résultat une poussée islamiste a propos de laquelle il serait particulièrement hasardeux de faire le moindre pronostic. La transition en Égypte sous la tutelle des militaires est loin d’être achevée. On y assiste à une contestation sociale qui pourrait entraîner un retour de bâton, de la part d’une institution prétorienne qui a tout à perdre, et notamment ses privilèges, d’une véritable irruption démocratique. De ce point de vue, elle pourrait jouer la carte du « moindre mal », face a des mouvements islamistes qui sont, qu’on le veuille ou non, en position dominante dans la société égyptienne.
L’auteur de ce dossier, Eléna Aoun, dresse donc un inventaire des différentes situations, avec des révoltes qui ont dégénéré en un conflit violent comme le Yémen où la Libye, sans parler de la Syrie. À propos de la Syrie, une tendance encouragée malheureusement par l’irruption de Bernard Henri Lévy dans le dossier libyen, pourrait nous inciter à voir toute la population se dresser contre le régime de Bachar Al Assad. Les choses ne sont pas si simples, la mosaïque religieuse que le pays représente est en effet extrêmement fragile, et toute une partie de la population syrienne aurait de bonnes raisons de redouter une victoire de fait des frères musulmans, et un dérapage du pays dans la guerre civile.
Cela a pu être évité en partie en Libye, du fait de l’intervention des forces de l’OTAN, mais il n’est pas évident, au vu de la position régionale de la Syrie et du soutien de l’Iran, qu’une telle opération puisse être rééditée. Si l’option militaire n’est pas vraiment envisageable, il est à parier que les chancelleries ne s’activent pour obtenir un départ négocié du dictateur et du clan qui l’entoure.
Les monarchies du golfe sont apparues comme des éléments de stabilisation, évitant que des pressions populaires ne menacent les équilibres régionaux. On a pu constater récemment que les États-Unis réinvestissaient le golfe arabique et apportaient un soutien militaire considérable à la monarchie saoudienne avec des livraisons de matériel militaire. Montant de 60 milliards de dollars.
L’année 2011 a été également marquée par une situation particulièrement enlisée dans les affaires israélo-arabes. Les tentatives palestiniennes de bousculer cette situation ont toutes échouées ou se sont perdus dans les méandres du système onusien. L’État d’Israël a été en mesure d’infliger un camouflet aux États-Unis, refusant tout compromis sur la poursuite de la colonisation, en utilisant les ressorts traditionnels de sa diplomatie d’intervention dans la politique intérieure des États-Unis en période électorale.
Le dossier sur le terrorisme, réalisé par Aurélie Campana est également très riche. Il évoque les changements qui affectent cette forme d’action asymétrique, avec un recul de ces pratiques dans le conflit israélo-palestinien, mais leur extension dans d’autres régions du monde. C’est le cas bien entendu au Sahel ou dans la corne de l’Afrique, mais c’est aussi le cas dans la péninsule arabique et en Afghanistan. En Afghanistan, le retrait progressif de la force internationale d’assistance de sécurité favorise l’infiltration de l’armée nationale afghane par des groupes terroristes, comme la mort très récente de deux légionnaires français est venue le rappeler.
Dans le domaine du terrorisme deux nouvelles menaces ont fait leur apparition. La connexion croissante entre le terrorisme et les organisations criminelles transnationales et le développement du phénomène dans les « loups solitaires », des individus isolés susceptibles de réaliser des attentats particulièrement meurtriers, ce qui s’est passé en Suède étant venu le rappeler tragiquement. Ce terrorisme « artisanal » va très au-delà de dérives individuelles, il peut parfaitement s’inscrire dans une logique de « règlement de comptes » contre un adversaire identifié, l’État, le monde occidental, le système capitaliste, et participer d’une forme de déstabilisation susceptible de susciter des mouvements plus larges. Des mouvements informels comme les « indignés » même s’ils peuvent susciter une certaine sympathie eue égard aux formes non-violentes adoptées peuvent parfaitement être manipulés et favoriser des dérives sanglantes.
Parmi les autres sujets abordés Gérard Hervouet et Hugo Bourassa qui présentent la situation de la sécurité en Asie évoquent l’incertitude de la coopération et surtout de sourdes tensions. On rappellera notamment que parmi les objectifs qui se rapprochent de plus en plus, l’association des nations du Sud-Est asiatique avait envisagé sa transformation en communauté en 2015. Un certain nombre de conflits internes, et notamment celui qui oppose la Thaïlande et le Cambodge, les incertitudes à propos de l’évolution de la Birmanie, empêchent d’y croire véritablement.
Encore une fois, c’est bien dans la façon dont la Chine entend refuser la domination régionale des États-Unis que réside la clé de la situation régionale. Devant cette montée en puissance de la Chine, des pays comme l’Indonésie, mais aussi le Vietnam, ce qui pourrait quand même surprendre, sont désormais « demandeurs » d’un renforcement de la présence des États-Unis en Asie orientale. De ce fait, l’autre grande puissance régionale, à savoir l’Inde se retrouve courtisé simultanément par les États-Unis et par la Chine.
Le premier des « bilans stratégiques 2011 » présenté sur le site de la Cliothèque ne manque pas d’atouts. Les articles sont extrêmement accessibles à des non-spécialistes, pour certains illustrés de cartes précises en noir et blanc, et les différents chapitres sont assortis d’un appareil bibliographique comportant des références peu utilisées habituellement par les chercheurs français. On ne saurait trop conseiller la lecture de cet ouvrage aux étudiants des instituts d’études politiques, à tous ceux qui auraient des raisons de s’intéresser aux relations internationales et notamment aux préparationnaires des concours, pour la géographie des conflits avec le Capes et l’agrégation mais aussi celui de secrétaire des affaires étrangères.
Les autres bilans seront très prochainement présentés par la Cliothèque, ainsi que de nouvelles revues spécialisées dans le domaine des relations internationales qui ont fait le choix de figurer dans ces colonnes.
© Bruno Modica