D’Attila au khanat de Crimée (V-XVIIIe siècle)
La steppe, cette « bande de 7000 kilomètres de long et de 1000 kilomètres de large, coincée entre déserts, montagnes et taïgas » (page 34), a été le creuset de plusieurs peuples ayant marqués la fin de l’Antiquité et le Moyen-Age en Occident : les Scythes, puis les Sarmates, les Alains, les Huns, les Göktürks, les Ghaznévides, les Khazars, les Khïtaï, et bien entendu, les Mongols. Cet ouvrage à mi-chemin entre la synthèse et l’essai géohistorique a été écrit par Arnaud Blin, historien et auteur d’une biographie de Tamerlan publiée chez Perrin en 2007.
La grande fresque d’Arnaud Blin fait des parallèles pertinents entre les civilisations des steppes et l’époque contemporaine : l’organisation en réseau (avec les groupes terroristes actuels), les stratégies militaires pour attaquer une position adverse, ou encore la création d’un mythe à travers l’Histoire secrète des Mongols dont le rôle est comparé à celui de l’Iliade ou de la Mahâbhârata indienne.
C’est d’ailleurs là le principe fondamental de tous les systèmes de gouvernance interétatique, depuis l’équilibre des puissance du système westphalien jusqu’aux systèmes de sécurité collective de la Société des nations, de l’Organisations des Nations unies ou du plus efficace – jusqu’à présent – d’entre eux, l’OTAN. L’innovation principale qui décuple la force des armées révolutionnaires et napoléoniennes est la nation armée (ou nation en armes) qui voit se démultiplier, en l’espace du temps qu’il faut pour signer le décret (la mis en oeuvre était plutôt rapide), le nombre de recrues potentielles et effectives. Phénomène unique dans l’histoire, l’appel à la nation en armes par Lazare Carnot débouche sur un résultat identique à la construction rapide de réseaux des armées des steppes, soit la multiplication instantanée du nombre de combattants. Là encore, néanmoins, les armées turco-mongoles avaient un avantage, celui de disposer de recrues aguerries et prêtes au combat qui plus est des cavaliers/archers, sachant que ces derniers étaient notoirement chers et longs à équiper et/ou à former. Mais les armées des steppes avaient un atout par rapport à leurs adversaires : leurs armées, leurs techniques et leurs stratégies n’étaient pas exportables.
Arnaud Blin, Les conquérants des steppes, Passés Composés, 2021, pages 25-26
Les peuples des steppes, bien que différents par de nombreux aspects (religion, organisation politique) sont dotés de caractéristiques communes. Chameaux, chevaux, chiens et loups sont des animaux emblématiques et récurrents. Selon l’auteur, le rôle de l’arc à double courbure est crucial pour expliquer la rapidité des conquêtes. Depuis le Nord de la Mer Noire (Scythes, Huns Hephtalites), ou depuis une région allant du lac Baïkal à la Manchourie (Xiongnu, Merkits, Tatars), ces peuples marquent les voisins par la capacité à remporter rapidement des batailles, souvent de façon violente. Extrêmement divers en matière de religion (islam, judaïsme, christianisme nestorien, bouddhisme etc.), ils s’intègrent rapidement avec les populations conquises, si bien qu’il est parfois difficile de repérer les héritages culturels mongols après deux ou trois générations.
Dans le sillage des Huns
Le premier chapitre est un prolongement de l’introduction et vise à présenter les principales caractéristiques des peuples étudiées. La religion, l’organisation militaire, l’élevage, l’organisation sociale et les manières de se ravitailler sont mises en perspective à travers l’idée de réseau. S’ensuivent le récit du périple d’Attila jusqu’à la bataille des Champs Catalauniques (451) et un court chapitre sur les empires Göktürks (anciens vassaux des Ruan-Ruan puis à la tête d’un empire de 552 à 744), Ouighours (qui prennent la suite des Göktürks autour de leur capitale située au Sud du lac Baïkal, Kara-Balgassoum, puis s’allient aux Chinois contre les Tibétains au milieu du VIIIe siècle), Khazars (dont les souverains sont juifs) et Khitaï (dont l’Empire Kara-Khitaï sera l’une des origines possibles de la légende du Prêtre Jean en Occident).
Le quatrième chapitre, nettement plus complexe malgré quelques cartes, présentent les peuples musulmans des steppes : les Karakhanides, les Ghaznévides puis les Seldjoukides s’installent dans l’Ouest de l’Asie centrale, notamment en délogeant les Samanides, en actuel Ouzbékistan. Un système d’esclaves-soldats, nommé ghulams, et analogue à celui des mamelouks d’Egypte ou des janissaires turcs, permet de contourner l’interdit religieux d’avoir des esclaves musulmans. Ensuite, l’expansion mongole du tournant du XIIIe siècle est remise en perspective dans les chapitres suivants, depuis l’union des peuples mongols autour de Temüdjin, jusqu’à l’implantation des Moghols en Inde du Nord au XVIe siècle. Dans sa conclusion, Arnaud Blin rappelle que l’historiographie actuelle est désormais « plus clémente à l’égard des peuples des steppes » (page 348) mais que les querelles internes sont à l’origine du déclin à partir du XVe siècle.
A titre d’exemple, le sommaire complet de l’ouvrage est lisible ci-dessous :
Source : Extrait tiré du livre « Les conquérants de la steppe » publié chez Passés composés, Septembre 2021, page 9
Une petite coquille a été repérée à la page 155. On doute que « l’armée mongole poursuivit sa percée, grâce notamment à Djébé, en s’emparant de points statégiques dans les passages montagneux » en … 2011 !
En conclusion, l’ouvrage dresse un large panorama des peuples steppiques du haut Moyen-Age à l’époque moderne permettant d’apprécier, sur un ton plus léger qu’un traditionnel manuel, les liens sur le temps long entre les Huns, Khazars, Ouighours, Mongols et la Horde d’or. Le tout, en insistant sur la continuité et les différences entre ces différents peuples, dont les cavaliers-archers en sont la pièce maîtresse sur les champs de bataille. L’auteur insiste à plusieurs reprises sur le rôle du royaume puis de l’Empire tibétain dans la géopolitique de la Haute-Asie entre le VIIIe et le IXe siècle. Espérons qu’une synthèse accessible d’un historien sera bientôt publiée en français !
A noter que l’auteur est à l’origine du dossier sur « Tamerlan – la terreur des steppes » dans le numéro de décembre du magazine Histoire et Civilisations.
Pour aller plus loin :
- Présentation de l’éditeur -> Lien
- L’émission StoraVoce a invité l’auteur dans une émission disponible en podcast -> Lien
Antoine BARONNET @ Clionautes génér