Snaergard de déroule au XIIIe siècle, dans la Norvège des fjords et des hauts plateaux, ainsi que dans le Sud-Ouest de la Suède.

 

Même si le récit de Vincent Wagner est totalement imaginaire, il s’insère dans un contexte historique bien réel, dans une période d’entre-deux-mondes, où ère viking révolue et ère chrétienne naissante cohabitent dans un certain chaos. A cette époque, les vikings étaient christianisés, mais les vieilles légendes n’avaient pas totalement disparu. Cette bande-dessinée mélange les genres, en associant un contexte historique assez précis, une lutte de pouvoir et du fantastique avec de vieilles légendes scandinaves.

Présentation de l’auteur

Vincent Wagner est un auteur français de bande-dessinée. Il a commencé sa carrière en faisant des illustrations jeunesse, du dessin de presse et des histoires dans paroles (ce dernier aspect se retrouve un peu dans les choix graphiques et la mise en scène de Snaergard). Il a été caricaturiste pendant la guerre en Ex-Yougoslavie. Il a également travaillé dans la publicité, puis comme marionnettiste, conteur et a animé des ateliers scolaires dans un musée et des écoles. En 2002, il décide de se consacrer pleinement à l’illustration et à la BD. Son passé de marionnettiste n’étant jamais très loin, il développe des histoires dans parole, entièrement en ombres chinoises. Cet attrait pour les ombres chinoises se retrouve dans les choix graphiques de notre BD également. Vincent Wagner est l’auteur de plusieurs BD ayant un fond historique. Il a obtenu le prix Libbylit 2008 du Meilleur Album pour sa BD Trois bons amis parue aux éditions Bayard Jeunesse.

L’intrigue

L’histoire racontée par Vincent Wagner est celle d’une rencontre inattendue et d’une amitié qui s’affranchit de destins déjà tout tracés. Le personnage principal est un adolescent nommé Pelle. Fils d’un cruel seigneur de guerre qui le méprise, Brynjar, lui et son frère sont élevés à la dure, dans la violence et la cruauté des razzias. Il a pour mission de pourchasser un loup blanc qui terrorise la population. Lors de cette chasse, il rencontre Torben. Ce mystérieux jeune homme semble lié au loup blanc. Cette rencontre est le point de départ de l’aventure.

Après un court prologue qui montre Pelle en train de fuir le château de son père, le récit est organisé en trois parties, chacune liée à un des personnages principaux : Pelle, Njal (le vrai nom de Torben) et Solveig, la sœur jumelle de ce dernier. La première partie se concentre sur la chasse de Pelle et son amitié naissante avec Njal. Dans ce premier chapitre, le secret de Njal est dévoilé : il ne fait qu’un avec le loup blanc, ayant été victime d’une malédiction. Dans cette première partie, Pelle découvre les sombres secrets de sa famille et les crimes passés de son père, responsable, par jalousie, de la malédiction qui touche Njal et sa sœur. Il choisit de tourner le dos à sa famille pour aider son ami. La seconde raconte la recherche de Solveig, transformée par la malédiction en sorcière pluri-centenaire. Enfin, la dernière partie est la quête de nos trois protagonistes pour briser la malédiction.

Un récit où s’entremêlent les genres littéraires et les destins

L’aventure est assez classique, mais très bien construite et pleine de coups de théâtre. Rapidement, la chasse de départ se transforme en une véritable quête pour retrouver la sœur de Njal et briser la malédiction ancestrale dont sont victimes les jumeaux. L’histoire est intéressante car elle entremêle plusieurs destins, certains au présent et d’autres sous la forme de flash-backs.

L’ambiance est inquiétante et violente, comme dans la Scandinavie de l’époque, où le monde semble à l’arrêt, entre un passé révolu et un avenir qui fait peur. Les personnages, seigneur de guerre, loup assoiffé de sang, sorcière, soldats… semblent refléter la violence de ce monde. Les hommes, comme les bêtes, sont en proie à la folie et à la terreur, pris dans une nuit et un froid qui glace leurs âmes.

La fin est assez ouverte et énigmatique, laissant la place à une éventuelle suite (même si l’auteur n’en fait pas mention dans le prologue). Cette fin laisse un peu sur sa faim, beaucoup d’événements restant en suspens.

Des choix graphiques au service de l’intrigue

La plupart des scènes ont lieu de nuit ou en fin d’après-midi. La neige recouvre tout, permettant un jeu entre la lumière, plaquée au sol, et l’obscurité, renforçant cette atmosphère violente et fantastique. Cette inversion des couleurs blanche (au sol) et noire (le ciel et le reste du décor), qui permet une ambiance bien particulière, évoque le Nord, où la nuit tombe à 16 heures et où la lumière semble absorbée par un tapis neigeux, omniprésent dans une grande partie de l’album. Le noir et blanc est utilisé principalement pour les scènes en pleine nature ou fantastiques. A l’inverse, lorsque les personnages rencontrent la civilisation, la palette de couleurs s’élargit et la vie semble s’animer.

Les dessins sont beaux et épurés, à mi-chemin entre l’esquisse et le réalisme, notamment pour les décors historiques. Ce choix graphique est mis au service de l’intrigue, permettant à l’auteur de d’habilement alterner entre différents genres, passant de l’aventure médiévale au récit fantastique.

Un important travail de recherche

Dans la préface, Vincent Wagner explique qu’il est fasciné par les pays du Nord. Afin de préparer sa bande-dessinée et de satisfaire sa curiosité, il a entrepris, avec sa famille, un voyage jusqu’en Suède et au Danemark. Il a notamment, dans des musées ou lors de ses explorations touristiques, eu l’occasion de voir des huttes, de déambuler dans des villages, d’observer des restes archéologique, etc. Des recherches, notamment sur l’alphabet, les pratiques, les cultures de l’époque, les légendes, lui ont permis de créer des paysages et des décors très réalistes, contrastant avec les traits épurés des personnages. Par exemple, le château d’Eiwing est un mélange de plusieurs châteaux du XIIIe siècle, l’auteur s’étant inspiré de certaines ruines alsaciennes, du château à Guédelon en Bourgogne, ainsi que d’édifices écossais et nordiques. Autre exemple, l’auteur a fait des recherches sur le vieux norrois. Un des personnages, le sorcier Adriel, ne s’exprime presque que dans cette langue. De même, le talisman du héros est gravé de runes.

Conclusion

Snaergard est un récit intéressant, qui mêle l’Histoire et le fantastique. L’intrigue, même si sa conclusion m’a laissée sur ma faim, est prenante et agréable à lire. La mise en scène est bien rodée, avec quelques rebondissements et une atmosphère sombre qui est saisissante. Le plus marquant est le style bien particulier de Vincent Wagner. Le mélange entre l’esquisse et la précision des décors historiques est particulièrement bien réalisé, de même que le travail sur les couleurs.