« Un atelier de haute couture dans un camp de mise à mort ! Un tel lieu a bel et bien existé à Auschwitz et illustre parfaitement l’un des aspects du Troisième Reich : une débauche de privilèges, sur fond d’exactions, de misère et de meurtre de masse. Il a été fondé par l’épouse du commandant du camp, Hedwig Höss. Les femmes qui y travaillaient n’étaient pas toutes juives ; il y avait aussi des résistantes françaises communistes. Ces déportées endurantes autant qu’asservies créaient : elles piquaient, coupaient, enjolivaient pour Frau Höss et d’autres compagnes de SS, produisaient de magnifiques tenues pour celles-là mêmes qui les considéraient comme des êtres inférieurs et dont les maris étaient des criminels. Mais pour les couturières d’Auschwitz, c’était le seul moyen d’échapper à la chambre à gaz. En nouant de solides liens d’amitié entre elles et en faisant preuve d’une inébranlable  loyauté les unes envers les autres, elles ont pu briser les efforts des nazis pour les déshumaniser. Tandis que ronronnaient les machines à coudre, elles sont même parvenues à élaborer divers plans pour mieux leur résister, voire leur échapper. Ce livre est leur histoire. »

L’histoire singulière de celles qui animèrent un atelier de haute couture dans un camp d’extermination

Cette histoire singulière, l’historienne britannique de la mode et du costume Lucy Adlington, l’a publié à Londres en 2021 sous le titre : Les couturières d’Auschwitz. L’histoire vraie des femmes qui cousirent pour survivre ; la traduction française est parue en 2023 aux éditions Payot, qui la publient aujourd’hui en édition de poche. On pourrait croire qu’il s’agit d’un roman historique, par le nombre des personnages, l’intensité de leurs histoires personnelles, la force des sentiments qui les lient dans ce drame collectif, les violences qu’elles affrontent, et la grande qualité du récit, facile, vivant, agréable à lire malgré ce qu’il raconte. Mais les 25 pages de notes et les 15 pages de bibliographie ne laissent aucun doute sur le sérieux et la rigueur de la démarche historique.

Un tel ouvrage est le fruit d’années de travail, d’enquêtes, de voyages, de recherches dans les archives, de lectures d’innombrables ouvrages historiques. De très nombreux témoignages constituent la source essentielle. A cet égard les archives de Lore Shelley furent providentielles. Ancienne déportée, Lore Shelley avait entrepris l’histoire du block administratif d’Auschwitz et lancé une vaste enquête auprès d’anciennes déportées, fondée sur un très long questionnaire en trois langues (anglais, allemand et hébreu). Elle récolta les réponses à 1900 questionnaires, qui lui parvinrent d’Israël, des Etats-Unis, d’Europe. Exploitant les réponses, Lucie Adlington établit une liste de 25 femmes, et entreprit de patientes recherches. Elle identifia des familles, découvrit des documents nombreux, et put rencontrer en Californie, l’une des couturières, Bracha Berkovic, à la mémoire encore solide alors qu’elle avait presque 100 ans. Le livre comprend 11 chapitres et une cinquantaine d’illustrations de qualité médiocre, compte-tenu des nécessités d’une édition de poche.

Portraits croisés de jeunes filles juives en Slovaquie, et de quelques autres

Les quatre premiers chapitres sont un ensemble de biographies et de portraits croisés ; une histoire collective dans les communautés juives de Slovaquie, de Hongrie, d’Allemagne, dans les années 1920 et 1930. Le lecteur fait la connaissance des jeunes filles et des jeunes femmes qui deviendront les couturières. Le gros travail de documentation précédemment signalé, nous permet de découvrir leur enfance dans des familles nombreuses, assez pauvres mais heureuses, et devenir professionnel tourné vers la couture, par vocation ou non. Assez vite arrivent les persécutions dont les étapes politiques et institutionnelles les piègent progressivement : elles perdent leurs emplois, puis leurs domiciles, elles se cachent et ont faim. Vient alors la réquisition pour le travail forcé dans des camps, d’où des convois les conduiront à Auschwitz. Nous faisons la connaissance d’une quinzaine de jeunes filles et de leur famille, et découvrons les liens qui les constituent en une sorte de réseau. Avouons que ce n’est pas très facile au début, et qu’un tableau de récapitulation biographique serait bien utile ! Mais elles nous sont présentées de façon tellement vivante et empathique que l’immersion du lecteur se fait assez vite !

Voici donc Irène Reichenberg, qui vit à Brastilava dans une famille de huit enfants. Le père est cordonnier. Elle fait des études de sténodactylographie et de comptabilité dans un institut allemand. Quand la Slovaquie sombre dans le nationalisme agressif, son père perd sa licence professionnelle et ses revenus. Irène doit apprendre un métier ; elle choisit la couture et s’inscrit à un cours clandestin. Quand elle fréquentait l’institut allemand, elle avait pour amie René Ungar, qui elle aussi pratique la couture en secret. Elle a aussi connu Bracha Berkovic.

Bracha est une fille de la campagne, sa mère est lavandière et son père, un tailleur talentueux. Aussi part-il à Bratislava avec sa machine à coudre, où Bracha le rejoint. Ces filles parlent le yiddish, le hongrois et l’allemand à l’école. Quand vient la persécution, dont la première étape est la spoliation, le père de Bracha doit brader sa boutique de tailleur à un concurrent catholique. Bracha rejoint le cours de couture clandestin. Katka, la sœur de Bracha, est particulièrement doué pour la fabrique de manteaux.

Hunya Storch, épouse Volkmann par la suite, est un des personnages majeurs du livre. Née en 1908, sa mère l’initie à la couture et elle se montre vite très douée. Elle est engagée dans un grand atelier de couture. A la différence d’Irène, de Renée et de Bracha, elle a la vocation de la couture. Elle se rend à Leipzig où elle ouvre son propre salon de couture, mais ce n’est pas facile de travailler dans l’Allemagne nazie quand on est juive et tchèque. Elle doit travailler à domicile, transportant sa machine à coudre, ce qui n’était alors pas rare. Quand la situation n’est plus tenable, elle cherche à émigrer, mais c’est trop tard, elle est piégée. Son mari est pris dans une rafle. Elle est expulsée de son domicile, doit déménager en « secteur juif », porter l’étoile jaune et survit difficilement.

Marta Fuchs, sera la cheffe de l’atelier à Auschwitz et sauvera plusieurs filles de la mort en les inscrivant comme couturière. Née en 1918, elle épouse le frère d’Irène et emménage près de Bratislava. C’est une couturière exceptionnelle, capable de créer des modèles et de réaliser des vêtements qui feront rêver les épouses des dignitaires nazies, fort étonnées d’ailleurs qu’une juive puisse avoir de telles qualités, et prêtes à la protéger pour qu’elle continue à créer pour elles. Elle entreprend des démarches à Prague pour émigrer, mais elle aussi est piégée et retourne à Bratislava.

Des parcours différents conduiront Alida Delasalle, résistante communiste française arrêtée en février 1942 et Marilou Colombain, arrêtée elle aussi pour actes de résistance en mars 1942, à rejoindre les couturières slovaques au sein de l’atelier de couture d’Auschwitz où elles seront déportées.

En contrepoint, Lucie Adlington nous trace le portrait de celle qui aura l’idée de rassembler les couturières, Hedwig Höss. Rudolf Höss a 28 ans quand il épouse en 1929 Erna Marta Hedwig Hensel, de huit ans sa cadette. Ils sont tous deux adeptes d’un mouvement populiste qui prône une vie rurale simple. Convaincu par Himmler qu’il faut pour cela  conquérir et coloniser les riches terres de l’Est, Höss rejoint les SS en 1934. Il est d’abord affecté au camp de concentration de Dachau, puis à celui de Sachsenhausen. Il emménage avec sa famille dans le quartier SS du camp. Nazie convaincue, Hedwig est fière de son mari et des fonctions qui sont les siennes dans le système concentrationnaire.

Les jeunes filles deviennent une main d’œuvre exploitée et déportée

Avec la guerre, la persécution antisémite s’aggrave. Irène se fait enregistrer à l’Office central juif de Bratislava en septembre 1941, et doit désormais porter l’étoile. A Leipzig, Hunya aussi porte l’étoile. La spoliation a privé les familles de leurs ressources. En Slovaquie, en février 1942, les juives célibataires de plus de seize ans doivent gagner des lieux de rassemblement pour être envoyées dans des centres de production. Irène, Marta, Bracha, Renée, sont vulnérables. Se cacher est impossible pour des raisons financières et pour éviter la déportation de la famille entière. La garde fasciste conduit Edith et Irène dans une usine, le 23 mars 1942, à la périphérie de Bratislava. Les familles sont expulsées et détroussées. Des milliers d’entreprises allemandes bénéficient de cette main d’œuvre gratuite. Hunya travaille dans l’entreprise de Friedrich Rohde, qui fournit la Wehrmacht en fourrures ; d’autres produisent des manteaux en cuir ou en laine, des blousons en peau de mouton pour l’aviation, des tenues de camouflage, des chaussures et sur-chaussures. Hugo Boss exploite les Juifs pour  honorer les commandes d’uniformes du parti nazi et de la SS. C&A exploite les Juifs du ghetto de Lodz, et les riches femmes nazies s’y font conduire pour se faire habiller par des tailleurs de grande compétence qui meurent de faim.

Vint le temps où les entrepreneurs se plaignirent qu’on vide les ghettos et qu’on ne puisse donc plus y exploiter la main-d’œuvre. Ce furent les camps de concentration qui prirent le relais. Ainsi, Ravensbrück devint-il un site important d’industrie textile.

Internées dans des camps de travail forcé où elles s’épuisent, les jeunes filles sont ensuite déportées. Irène, sa sœur Edith, Marta et Olga partent dans le second convoi qui vide le camp de travail pour Auschwitz ; Bracha et sa sœur Katka partent le 2 avril 1942 ; Alida et Marilou partent le 24 janvier 1943 de France, avec 230 femmes déportées pour faits de résistance ; Hunya, « la plus forte personnalité du groupe des couturière d’Auschwitz », part de Leipzig le 15 juin 1943, avec le dernier convoi de Juifs de cette ville.

La survie au camp avant l’atelier de couture

Les chapitres 5 à 7 racontent la vie des jeunes filles et des jeunes femmes à Auschwitz, avant que l’atelier de couture ne soit créé. Plus de 6 000 Juives slovaques furent déportées dans neuf trains entre le 26 mars et le 29 avril 1942 ; elles ne connurent pas la sélection car elles étaient là, au camp principal d’Auschwitz I, pour travailler. Dans leur block, elles trouvent des déportées en majorité allemandes et non juives, transférées de Ravensbrück peu avant. Ces femmes constituent la base de la population carcérale féminine du camp. L’auteure décrit la déshumanisation et l’humiliation que subissent ces jeunes femmes, avec une empathie particulière pour les spécificités du ressenti féminin, nudité, rasage intégral, pudeur et honneur offensés, identité bafouée. C’est alors qu’arrivent Bracha et sa sœur, Hunya, Irène, Marta  Fuchs. Le baraquement grouille de poux et de lentes. On leur donne des tenues militaires dépareillées, des chaussures qui ne vont pas toujours par paires ; il n’y a pas encore de tenue de déportée. Désormais, elles ne seraient plus qu’un numéro, qui fut tatoué sur leur bras gauche durant l’été 1942.

« Raisonnablement, les femmes enfermées à Auschwitz n’avaient aucune raison d’espérer quoi que ce soit au bout de quelques mois : le système concentrationnaire les avait privées de leurs vêtements, de leur dignité, de leur identité et de leurs illusions. » On suit les jeunes femmes dans leurs diverses affectations. Plusieurs sont d’abord affectées au kommando des marécages, elles draguent les étangs, creusent des digues, consolident les berges des rivières et drainent les marécages. A demi nues, elles pataugent dans une vase infecte. Beaucoup se noient ou meurent de la malaria. Durant l’été 1942, elles sont transférées dans des blocks du camp de Birkenau, Auschwitz II. Il y existe un atelier de couture où plusieurs sont affectées. L’air est étouffant et pollué, le travail exténuant, qui consiste à réparer les uniformes des SS, à coudre des croix sur les tenues des déportés etc. Mais elles sont assises, à l’intérieur, et elles ne sont pas battues. Hunya est affectée au kommando de tissage, qui compte 3 000 femmes, où il faut dépecer, sans ciseaux et avec ses dents, de vieux vêtements pour obtenir des bandes qui sont ensuite tressées pour fabriquer des cordes. Après avoir échappé de peu au statut de cobaye des expérimentations médicales du sinistre block 10, Bracha a la chance d’être sélectionnée pour le kommando Canada, situé à Auschwitz I.

Le Canada

Des déportés privés de tout et affamés avaient baptisé ainsi l’endroit où était stocké le butin colossal soustrait à tous ceux qui arrivaient au camp pour travailler ou mourir aussitôt. C’est un immense ensemble d’entrepôts où s’affairent des centaines de déportés qui travaillent jour et nuit, occupés à diverse activités organisées autour d’une rationnelle division du travail : transport dans des charrettes de tout ce qui est pris aux arrivants, nettoyage, classement des objets, constitution d’énormes tas d’objets divers, récupération des objets de valeur. L’ensemble est hallucinant, et cependant la masse de tout ce qui est ainsi accumulé est telle,  qu’il faut ouvrir un second canada à Birkenau. Bracha, puis sa sœur Katka, puis Irène sont affectées au Canada. Avec prudence, mais avec beaucoup de risque, il est possible de détourner et de prendre des sous-vêtements, des vêtements, du savon, voire du dentifrice ou des médicaments. Ces objets pourront être l’objet de troc et aider celles qui souffrent le plus. L’horreur parfois de découvrir les vêtements d’un proche, qu’on reconnait et qui signifie qu’il est allé à la chambre à gaz : Irène tombe ainsi sur les affaires de sa sœur Frieda, gazée en juillet 1942 avec son jeune enfant. Son désespoir est immense et elle veut se suicider en se jetant sur les barbelés électrifiés. « Pour empêcher Irène de se suicider, il faudrait une chaîne d’amour et de loyauté. Et aussi de la chance… »

Hedwig Höss crée un atelier de haute couture aux créations très appréciées dans la haute société nazie

La chance pour Irène, Bracha, Katya et Hunya, porte le nom de Marta Fuchs, cette couturière talentueuse des années 1930, qui arrive au Canada pour choisir des tissus, envoyée par Hedwig Höss dont elle est devenue la couturière personnelle. Hedwig, et les SS en général pillent allègrement le Canada, alors que c’est strictement interdit par le règlement du camp. Il faut dire que l’on y trouve tout, absolument tout : tissus de soie, de coton, de laine, parfums, lingerie, mouchoirs, manteaux de fourrure etc. Parallèlement à l’univers des déportées, Lucy Adlington nous fait pénétrer dans celui de la famille Höss, Rudolf, Hedwig, leurs cinq enfants, leur domesticité prélevée dans les esclaves du camp, leur grande maison, et le superbe jardin d’agrément qui fait la fierté et la joie d’Hedwig, qui« vivait dans une maison confisquée à son propriétaire, portait des vêtements volés à des Juifs massacrés et se faisait servir par des déportés eux-mêmes menacés de mort ».

Hedwig a découvert les talents de couturière de Marta et elle l’a fait venir chez elle pour qu’elle l’aide à conserver son mode de vie privilégié. Marta intègre le personnel des Höss et Hedwig fait aménager un atelier de couture dans les combles de la villa. Dans un premier temps, Frau Höss se fournit à Auschwitz en vêtements issus du pillage, les fait transporter chez elle et retoucher par des couturières que rejoint Marta. Dans un second temps, Marta va lui créer des vêtements à la mode dont elle a dessiné les patrons. Emerveillées, les épouses des dignitaires nazies vont vouloir être elles-aussi aussi bien vêtues. Il y a en effet de fréquentes réceptions chez les Höss, et beaucoup de loisirs et de divertissements pour les SS du camp et leurs épouses : bibliothèque, casino, cinéma, théâtre, récitals etc. On aime à y paraître dans de belles tenues… dont on ne tient pas trop à dire que ce sont des esclaves juives qui les ont fabriquées. Hedwig a alors l’idée de créer une maison de haute couture à l’intérieur du camp pour fournir l’élite nazie. Marta en sera la cheffe, la kapo, et pourra désormais faire venir auprès d’elle ses amies couturières en les faisant extraire de leurs diverses affectations.

Les chapitres 8 et 9 sont centrés sur cet atelier de haute couture qui compte quinze femmes à l’automne 1943 et qui qui va croître parla suite, parmi lesquelles Irène, Bracha, Katka : les liens familiaux sont essentiels, viennent ensuite les liens amicaux.  Marta est en contact avec les déportées qui travaillent aux services administratifs, installés dans le même immeuble que l’atelier de couture, ainsi que les kommandos de blanchisserie et de repassage, les domestiques des officiers SS, un institut de beauté et un salon de coiffure pour les gardiens. La condition des déportées est très améliorée : elles ont accès à des douches, des toilettes munies de chasses d’eau, des lits ; elles peuvent parler… et rire parfois ;  mais elles sont toujours sous-alimentées. Marta Fuchs « n’avait que vingt-cinq ans en 1943, et pourtant elle était immensément respectée, aussi bien comme couturière que comme kapo. Elle n’était pas une âme sensible, mais sa détermination et son énergie étaient mues par une réelle compassion, ce qui la rendait à la fois juste et généreuse. » C’est une véritable artiste de la couture, beaucoup de ses collègues sont extrêmement douées et la réputation de l’atelier grandit dans l’élite nazie. Tous les tissus sont disponibles au Canada, soie, satin, coton fin, lin ; des machines à coudre modernes viennent équiper l’atelier. Des commandes arrivent du cœur du Reich, mais Hedwig et les épouses des SS du camp restent prioritaires ; il faut attendre six mois pour être livrées quand on n’habite pas Auschwitz. Un salon d’essayage fonctionne en permanence ; le samedi à midi, les hauts gradés du camp viennent récupérer les commandes de leurs épouses. Pour les couturières, « leur seul vrai salaire restait le droit de vivre un jour de plus ».

Sous la direction de Marta, l’atelier fut le point de départ d’actions clandestines. On écoute la BBC, la nuit dans l’atelier de reprisage, on vole des journaux dans les bureaux, on fait passer des messages à l’extérieur du camp, on fait vivre une solidarité active entre les déportées en faisant bénéficier quand on le peut, les plus démunies des avantages relatifs de l’atelier. Marta peut se déplacer dans le camp et participe à l’organisation interne de résistance, fragile et réprimée. Des tentatives d’évasion se soldent souvent par des pendaisons publiques. Le 13 septembre 1944 un raid aérien a lieu et des bombes tombent sur le camp. Quinze SS sont tués, ce qui révèle leur fragilité et encourage les couturières à commettre de petits actes de sabotage.

Revivre après avoir passé mille jours au camp d’Auschwitz

Les deux derniers chapitres sont consacrés à l’évacuation du camp, au retour des déportées et à leur devenir dans l’après-guerre. Ce sont d’abord les horreurs de l’évacuation en janvier 1945, par un froid terrible, et l’organisation des « marches de la mort ». Pour les S, c’est le sauve-qui-peut. Pour Hedwig, un réseau de soutien nazi veilla à ce qu’elle fut bien traitée : une voiture de luxe pour elle et ses enfants, suivie par un camion lourdement chargé de victuailles et de vêtements. La perte de ses privilèges et la séparation d’avec son mari la rendirent amère. Elle fut capturée en mars 1946, interrogée, se montra arrogante. Néanmoins, elle ou son frère, finirent par avouer la cache de Rudolf Höss qui fut jugé à Cracovie et pendu à Auschwitz. Jamais Hedwig ne changea de nom, ni d’opinion sur l’époque nazie. Elle fut de ceux qui nièrent la parole des survivants. Elle mourut en 1989 alors qu’elle rendait visite à sa fille Inge-Brigitt à Arlington, aux Etats-Unis.

Pour les couturières, les parcours de retour furent divers. Il fallut échapper au froid, à la faim, aux balles des SS, aux viols des libérateurs soviétiques. Le retour au pays, à Bratislava, à Prague ou ailleurs,  se fit parfois dans la joie des retrouvailles, souvent dans le chagrin causé par le constat des familles disparues dans les crématoires d’Auschwitz. Il ne fut pas facile de vivre après avoir passé mille jours à Auschwitz. Mais elles étaient  jeunes et courageuses, et la vie reprit son cours. Il fallut trouver du travail, pas toujours dans la couture. Elles firent des choix de vie divers, mais qui inclurent le mariage, la volonté d’avoir des enfants, celle de témoigner mais de devoir se taire parce qu’on ne voulait pas les écouter, puis, plus tard, de témoigner toujours et enfin d’être entendues. A Prague, Marta Fuchs fonda un atelier de couture et embaucha Bracha : la solidarité toujours. Les unes restèrent en Europe centrale, d’autres émigrèrent aux Etats-Unis, où en Israël, où Hunya fut employée dans des boutiques de mode prestigieuses.

Les couturières d’Auschwitz est un ouvrage historique parfaitement documenté et riche en informations ; c’est aussi un récit empathique, profondément humain, émouvant, parfois révoltant et déchirant, toujours passionnant,