Les hommes en cherchant à acclimater des plantes venues d’ailleurs ont, à l’époque moderne, développé la technique des serres.

C’est l’objet de l’ouvrage d’Yves-Marie AllainIl est aujourd’hui à l’inspection générale de l’environnement sous l’égide du Ministère de l’Environnement et du Développement durable. Il est membre permanent de l’autorité scientifique française chargée de la Flore, dans le cadre de la conférence de Washington qui est ingénieur horticole et paysagiste, directeur du Jardin des plantes de Paris et de l’Arboretum national de Chèvreloup.

De la protection des plantes au plaisir de la société

Dès la fin des années 1560, Agostino Gallo décrit l’usage des agrumes qui croissent dans ce « jardin embelly (sic) d’une infinité de cassines, & autres pots de terre, pleins de citrons, limons & orangers »Citation p. 9.

L’auteur rappelle la « migration » des agrumes depuis l’Himalaya ou l’Indonésie et leur arrivée dans le Bassin méditerranéen au cours de l’Antiquité. Les cédratiers, les orangers et les citronniers y sont d’abord cultivés en plein air. À l’époque moderne, les jardiniers cherchent à les acclimater sous des climats moins cléments. Des techniques existaient pour d’autres plantes comme les melons : «  les graines en pot passent 24 heures dans un four à pain après la fournée, les jeunes plantes sont placées sur des couches chaudes ou « couvoirs » à base de fumier puis mises sous des cloches de verre…Citation p. 10 »

Mais c’est seulement au XVIIe siècle que l’on peut parler d’orangerie : au château de Meudon lorsque le cardinal de Lorraine, à partir de 1658 par l’architecte Louis Le Vau et à Versailles, le même Le Vau construit l’orangerie royale en 1662. L’orangerie devient rapidement un élément indispensable des grands jardins, en France, mais aussi dans toute l’Europe.

Au XVIIIe siècle, cet espace devient un lieu de réception, il perd en partie son rôle technique. On parle alors de « jardin d’hiver » comme celui de Joséphine de Beauharnais à La Malmaison. L’ouvrage de l’architecte paysagiste français Narcisse Vergnaud, L’art de créer les jardins, est publié à Paris en 1835. Il suit la mode anglaise qui gagne toute l’Europe.

Serre ou orangerie ?

Dans les ouvrages du XVIIe siècle, les deux mots sont utilisés. Ils désignent tantôt des lieux bâtis pour conserver fruits ou légumes, souvent sans fenêtre, tantôt des serres vitrées orientées au sud.

L’abbé Rozier parleDans son Cours complet d’agriculture de l’orangerie comme un lieu pour mettre à l’abri les orangers.

Au XIXe siècle, les deux ouvrages se différencient, quand la serre devient un espace complètement vitré pour protéger les plantes fragiles, mais aussi produire des légumes. L’auteur présente, grâce à des croquis, gravures d’époques, quelques exemples.

Le jardinier, « l’orfèvre de la terre »

C’est ici l’occasion de revenir sur le métier de jardinier depuis les corporations médiévales, confirmées par Henri IV et de citer quelques grands noms de la profession, passés à la postérité : Olivier de Serres, Jean-Baptiste de La Quintinie, les Noisette ou les Vilmorin.

Petit à petit, deux spécialités apparaissent : les jardiniers-pépiniéristes (multiplication d’arbres et arbustes) et les jardiniers-botanistes (plantes rares et médicinales). À noter les assez nombreux ouvrages publiés aux XVIIIe et XIXe siècles pour compléter la transmission orale des savoir-faireUn encart p. 24-25 sur la culture de l’ananas.

Les connaissances scientifiques sur la reproduction et la croissance des plantes exotiques demeurent longtemps superficielles.

1600-1820 : abris et serres chaudes

Après quelques rares essais au XVIIe sièclePremière description, en 1636, du Jardin royal des plantes médicinales de Paris par Guy de La Brosse, les premières tentatives de protection des plantes portent sur l’orientation du jardin, la protection par des murs ou des haies et l’emploi de cloche en verreTraité du jardinage, par Boyceau de La Barauderie en 1628.

L’auteur décrit les principes de construction des abris qui se développent au XVIIIe siècle : épaisseur des murs, recherche du soleil, matériaux utilisés, accessoires (paillassons, couvertures, stores, poêles et conduits de fumée, écorces de chêne ou de châtaigner – le « tan ») ; un investissement important que seuls les riches peuvent supporter.

Serre chaude adossée à une galerie technique, avec ses toiles de protection hivernale. Le plancher de la serre est chauffé par les conduits d’évacuation des fumées, tandis que le grenier est garni de foin. L’Encyclopédie, Diderot et d’Alembert, 1780 (extrait p. 43)

 

Un souci permanent de la conduite de la culture sous serre est la mesure et la contrôle de la température et de l’hygrométrie. Les premiers thermomètres apparaissent au XVIIe siècle.

D’autres types d’abris plus modestes sont décrits. Certains s’inspirent de la mode, à la fin du XVIIIe siècle, du jardin anglo-chinois : techniques efficaces de couverture des sols et d’emmaillotage des plantes.

1820-1850: la révolution des serres

Quand les scientifiques quittent le jardin botanique pour le laboratoire, les amateurs les remplacent.

Un nouvel outil apparaît dans la panoplie du jardinier : le sécateurEncart p. 68 et les pépiniéristes développent des méthodes de sélection.

D’autre part, l’évolution du regard porté sur les plantes change, le pépiniériste anglais George Loddiges critique la pratique de chauffage des serres pour les plantes exotiques. La serre change de forme ; elle cherche, par sa grande hauteur à permettre le plein développement des espèces arbustives.

Pour le premier jardinier en charge des nouvelles serres du Jardin des plantes, Joseph Neumann, en 1844, il est possible de donner lumière et température selon les exigences des plantes ; les murs disparaissent au profit des surfaces vitrées.

Jean Simon Bonnemain est l’inventeur d’un calorifère à circulation d’eau chaude utilisable pour le chauffage des serres. L’Angleterre est un passage obligé pour tout créateur de serre, certaines de leurs réalisations deviennent des exemples à copierEncart sur la grande serre de Chatsworth, p. 80.

En France, Charles Rohault de FleuryVoir les annexes est le créateur, en 1836 des plus grandes serres jamais construites au Jardin des plantes.

« La première tranche est réalisée entre 1834 et 1836, comprenant deux pavillons de 20 mètres de long, sur 12 de large et 15 de haut, ainsi que des serres courbes sur deux niveaux, présentant un développement total de 170 mètres. Il choisit pour ce nouvel ensemble la vapeur comme mode de chauffage. Rohault, malgré l’inexpérience française tant dans le domaine du chauffage que de l’emploi de structure métallique et de verre, fait construire ce qui sera pendant près d’une décennie les plus grandes serres jamais construites, avec deux pavillons de 240 mètres carrés au sol chacun et surtout une hauteur qui permet le développement harmonieux de très nombreux arbres et autres plantes, dont les palmiers ou les bambous géants. »Citation p. 82

Ce sont les innovations techniques du XIXe siècle : vapeur, constructions métalliques qui ont permis cette évolution. Le bois, moins onéreux, reste employé. Les verriers aussi innovent : « feuilles de verre très-blanc », puis verre de couleur pour protéger de la brûlure du soleil, verre dépoli et le verre strié. Le chauffage s’améliore avec l’utilisation de la technique du thermosiphon.

1850-1900: du pragmatisme au grand art

C’est la grande période de l’utilisation de la structure métallique pour la réalisation de serres de grandes dimensions, fonctionnelles et conçue de façon industrielle.

L’usage aussi change avec un agencement pittoresque des plantesComme celles du constructeur de serres Guillot-Pelletier à Orléans, par exemple la serre de la villa Jeanne.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle les serres peuvent être classées en trois catégories : des serres horticoles pour la production, des serres « commerciales » où s’organisent des expositions, des concerts et des serres d’apparat ouverte au public.

L’auteur développe ces trois catégories. Les serres de production sont plus basses et semi-enterrées pour économiser le chauffage..

Des palais de cristal

Le Crystal Palace, palais de verre et de fer fut construit à Londres en 1851 pour l’exposition universelle.

Cristal palace

L’auteur retrace l’histoire de sa construction. En France, pour l’exposition de 1855, la conception du Palais de l’Industrie entend rivaliser avec Londres, puis pour celle de 1900, ce sont les grandes verrières rénovées dernièrement du Petit Palais et du Grand Palais.

Troisième catégorie, les serres qui associent recherche architecturale, présentation évocatrice des paysages tropicaux. L’ouvrage du paysagiste français Édouard André, L’art des jardins, traité général de la composition des parcs et jardins paraît en 1879 ; il propose une vision plus intime, le jardin d’hiver, la serre-salon.

L’auteur choisit de mettre en lumière les serres royales actuelles de Laeken, en Belgique, construites en 1873.

Serres royales de Laeken
© Ji-Elle (Wikimedia Commons)

 

Vers un changement de paradigme

En ce début de XXIe siècle, le mot serre évoque des images opposées, entre la petite serre potagère du jardin et les vastes étendues uniformes sur des dizaines d’hectaresVoir les champs de serres du sud de l’Espagne.

Si la protection des plantes demeure le but, les techniques ont évolué : hydroponie, aéroponie, suivi par informatique et utilisation du plastique… On est passé de l’artisanat au productivisme. La production florale est, aujourd’hui, largement située hors d’Europe. De nouvelles formes apparaissent comme les « fermes végétales » (édifices vitrés sur les toitures-terrasses des bâtiments comme à Montréal)

En quelques chiffres : Superficie de serres pour la production de fruits et de légumes (2018)D’après La Chine et l’Espagne sont les pays qui ont le plus de serres

Europe 210 000 ha, dont : • l’Espagne (70 000 ha) ; • l’Italie (43 000 ha) ; • la France (11 500 ha) ; la Turquie (41 400 ha) ; • Israël (11 000 ha).

Asie 180 000 ha, dont : • la Chine (80 000 ha), • la Corée du Sud (52 000 ha).

Afrique 44 700 ha, dont : • le Maroc (20 000 ha) ;

Moyen-Orient 27 000 ha

Amérique du Nord et centrale, 23 000 ha

Amérique du Sud 14 000 ha

 

La serre se démocratise soit petit édifice au fond du jardin pour les légumes, mais aussi vérandas ou bow-window collés à la maison.

Les serres de la présentation des institutions scientifiques ont, au cours du XXe siècle perdu de leur fréquentation par le public. A partir des années 1980, leur caractère patrimonial assure un regain d’intérêtEncart sur la reconstruction des serres courbes du Jardin des plantes de Paris (1995-2000) p. 140 et de nouvelles installations de présentation des flores exotiques voient le jour, avec une nouvelle esthétique comme la serre consacrée aux flores méditerranéennes du monde du Jardin botanique national, Carmarthen au Pays de Galles ; une structure elliptique vitrée de 99 mètres de long et 53 de large, sans poteau, construite en 2000.

Dans l’ensemble, ces présentations reprennent le découpage climatique (tropical humide, tropical sec, méditerranéen, alpin). Elles se partagent entre serres touristiques (Parc floral Phoenix à Nice, Jardin de Chenshan à Shanghaï, pour l’exposition universelle de 2010) et serres de recherche (projet « Biosphère 2 » en Arizona).

L’auteur aborde la question de l’avenir des serres dans le contexte actuel du changement climatique, lieu de contrôle climatique et biologique total, une nature artificialisée dans des temples de verre, à l’opposé de l’agroforesterie.

 

En annexe : les comptes-rendus du premier voyage de Charles Rohault de Fleury, en Angleterre, en 1833, de son voyage en Belgique dans les années 1840, de son second voyage en Angleterre, en 1851