Que dire encore de la première guerre mondiale dans un moment où les publications se multiplient ? Michel Winock choisit un angle, un pas de côté, en abordant l’avant-guerre. Ces chroniques sont précédemment parues dans le magazine l’Histoire, mais elles sont ici davantage développées.

Le livre est donc une série de dix-neuf chroniques et il comprend également une partie « que sont-ils devenus ? » ainsi que quelques dates repères et des propositions de lectures pour prolonger. Quelques documents d’époque agrémentent l’ouvrage.

Quelques précisions méthodologiques

Michel Winock profite de l’introduction pour préciser et encadrer son projet. Il identifie plusieurs risques possibles et tout d’abord celui de n’écrire qu’en fonction de la catastrophe de l’été 14. Il souligne également qu’il ne vise absolument pas l’exhaustivité, mais il s’agit plutôt de flashs, de pastilles sur un évènement. Il dit aussi combien parfois ce choix est subjectif, car ce qui a pu se révéler essentiel à moyen ou long terme n’a pas forcément été jugé digne d’intérêt à l’époque. Il est difficile aussi de proposer pour chaque mois des événements, car la vie culturelle a ses propres rythmes avec ses moments de trop plein parfois et ses vides aussi. Enfin, le francocentrisme du livre est évoqué de suite, en précisant quand même qu’à l’époque Paris donne le ton à la vie culturelle.

Du théâtre, de la danse et de la peinture

Le livre débute par un article sur la pièce « Alsace », totalement oubliée aujourd’hui, mais qui avait pour but d’exalter le caractère français de la province. Cet exemple permet de montrer que « le réarmement des esprits » est à l’ordre du jour et participe d’un climat sans céder à une vision téléologique. Michel Winock rappelle également la naissance du Vieux Colombier. Il est l’œuvre de Copeau qui, à trente-quatre ans, a décidé de fonder son théâtre. Il voulait créer un lieu rival de la Comédie Française, qui alternerait classiques et contemporains. Il réduit le décor au minimum et décide de proposer des places pas chères, innovation à l’époque. Un autre article évoque le célèbre « Sacre du printemps ». On sait que la presse fut alors sévère. Comoedia eut ce mot qui fit mal : « ce ne fut pas le Sacre, mais le massacre du printemps ». En terme de peinture, on découvrira peut-être la personnalité du marchand d’art Daniel Henry Kahnweiler qui signa un contrat avec un peintre d’avant-garde Fernand Léger. Il eut également à son actif Juan Gris ou Vlaminck. Il offrait à tous ses peintres quelque chose d’alors rare dans ce milieu artistique, à savoir la sécurité matérielle.

D’Arsène Lupin à Guillaume Apollinaire

Un livre n’est pas forcément reconnu dès sa parution. Tel est le cas d’« Alcools » qui n’est tiré qu’à quelque cinq cents exemplaires et la grande presse ne s’en fait pas vraiment l’écho. En effet, il faut se souvenir que si le nom d’Apollinaire est alors connu, c’est davantage dû au fait qu’on le soupçonne de complicité de vols de statuettes quelques années auparavant. Michel Winock évoque aussi la littérature populaire avec Arsène Lupin et l’été 1913, avec la parution du nouveau recueil des récits policiers qui ont rendu célèbre Maurice Leblanc.
Quelques mois plus tard c’est Fantômas au bal masqué. Ce personnage s’ inscrit aussi dans son époque avec le temps des Apaches On découvre ce qui parait après coup comme une injustice avec le fait qu’Alain Fournier rate le Goncourt.

Des lendemains qui déchantent
Comme d’autres livres ou expositions le rappellent, jusqu’ au bout, on n’a pas cru à la guerre. Jusqu’au 25 juillet, la presse en France ne voit pas venir le conflit armé. A l’époque, ce qui fait la une des journaux, c’est la proposition d’impôt sur le revenu. On appréciera l’épilogue où l’auteur donne des nouvelles de ce que sont devenus les personnages évoqués au fil des pages. Si certains destins sont bien connus, comme celui d’Alain Fournier ou de Guillaume Apollinaire, on en saura plus sur Jacques Copeau.

De la diversité en toutes choses

On croisera aussi au fil de ces pages des écrivains moins connus aujourd’hui comme Léon Bloy, ou des beaucoup plus célèbres comme André Gide, Charles Péguy ou Maurice Barrès. Michel Winock évoque également des exploits comme celui de Roland Garros qui réalisa la première traversée de la Méditerranée en avion et sans escale, en moins de huit heures. C’est aussi l’époque du premier tournoi des cinq nations, né en 1910, et la France était alors souvent perdante.

Voici un recueil plaisant à lire, comme toujours chez Michel Winock, qui donne à découvrir une autre histoire de l’avant-guerre. Il redonne de l’épaisseur à la vie des Français d’alors et donne à ressentir un peu de ce qu’on nomma plus tard la Belle époque.

© Jean-Pierre Costille, Clionautes.