« Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands évènements et personnages de l’histoire se produisent pour ainsi dire deux fois, mais il a oublié d’ajouter : la première fois comme une grande tragédie, la seconde fois comme une farce sordide » Marx, Dix-Huit Brumaire de Louis Bonaparte
En cette fin d’année 2021, les Editions du Détour rééditent le fascicule coordonné par Paul Vaillant-Couturier et paru originellement aux Editions Sociales en 1935 : Le malheur d’être jeune. Cette publication était le fruit d’une large concertation lancée par le journal l’Humanité, dont Vaillant-Couturier était le rédacteur en chef, en direction de la jeunesse.
Quand 1935 dialogue avec 2022
Cette réédition est accompagnée, en préambule, d’une mise en perspective de Danielle Tartakowsky. Celle-ci revient sur la situation sociale en France au cours des années 1930, et plus particulièrement sur les séquelles de la crise économique de 1929, dont les répliques se font encore sentir dans ces années. Dans ce contexte social tendu, les organes de presse ont essayé de gagner à leur cause un lectorat plus jeune, en se penchant sur leurs aspirations. Citons à cet effet France Soir ou encore l’Oeuvre (journal radical-socialiste). L’Humanité s’y essaye également sous l’impulsion de Vaillant-Couturier. Le journal veut devenir plus populaire, ouvre des rubriques littéraire, sportive ou encore historique. Cette nouvelle orientation, un temps rejetée par la direction du PC, est réaffirmée dans les années 1930 lorsque est lancée la course contre le fascisme qui pose les prémisses du Front Populaire à venir.
Vaillant-Couturier œuvre à ce niveau pour que sa « génération de feu »ancien combattant, Vaillant-Couturier a été blessé à deux reprises construise un dialogue avec la nouvelle, plus composite. L’œuvre du rédacteur en chef de l’Humanité vise à arracher la jeunesse aux mirages et chimères fascistes, et d’abattre l’Etat bourgeois et le capitalisme.
Danielle Tartakowsky rappelle que la réédition du fascicule en 2021 ne signifie en rien qu’il faille apposer sur notre société les constats et les réponses des générations précédentes. Cependant l’on notera la similitude des craintes et des peurs : Vaillant parlait du « Malheur d’être jeune », aujourd’hui l’on parle de « génération sacrifiée »étude parue dans les colonnes du Figaro : 71% des 18-30 ans se jugent sacrifiés.
Comprendre le réel, aller vers l’idéal
Le fascicule de Vaillant-Couturier prend donc la forme d’une série de petits chapitres reprenant les grandes questions soulevées par le courrier des lecteurs et mis en forme par ses soins. Incompréhensions entre générations (génération du feu et génération de la crise), espoirs et attentes déçues, Vaillant appelle les lecteurs à ne pas substituer à la lutte des classes sociales la lutte des classes d’âge. Les espoirs de cette génération doivent s’incarner dans le combat social : « La jeunesse a besoin d’actions. La jeunesse est combative. La jeunesse veut avoir un idéal dans la vie« Paul Vaillant-Couturier, Le malheur d’être jeune, 2021, page 56 Il s’agit ainsi de donner la parole aux différentes classes et composantes de la société, frappées par la crise et par les limites d’un système socio-économique (le capitalisme) jugé par l’auteur dépassé et néfaste.
La crise n’épargne personne : la campagne miséreuse pousse la jeunesse dans les bras de l’Usine qui a perdu tout sens pour ces jeunes gens, la technique étant le bras armée du profit et non du progrès (chapitre IV), les fonctionnaires sont l’objet de l’exploitation (chapitre XI), la sous-consommation fait souffrir le commerçant en bout de chaîne, l’immigré peine à subvenir à ses besoins en gagnant son pain, les étudiants également, les étudiantes sont détournées de la culture pour être renvoyées à leurs foyers et au mariage. Toutes ces difficultés du temps, Vaillant les compile, les organise dans une dialectique visant à dénoncer le piège fasciste et ses tentatives de « coups de force » sur le Parlement.
Il s’agit de mobiliser cette classe pleine d’espoirs, la conscientiser, l’amener au socialisme, seule issue à ses tourments. Au malheur que porte le capitalisme, comme la nuée porte l’orage, il faut substituer la jeunesse du monde, portée par l’URSS (chapitre XXXIV).
Ainsi le propos de Vaillant-Couturier est le témoin d’une époque. Celle où le marxisme structurait (en partie) la vie intellectuelle et politique française. Plus qu’un témoignage, le « malheur d’être jeune » offre une mise en perspective pour tout observateur des tensions sociales qui parcourent actuellement la société. Un texte dont l’écho nous parvient encore près de 90 ans après sa parution grâce aux éditions du Détour.