Les élections législatives de 2013 au Groenland n’ont pas seulement mis au pouvoir pour la première fois une femme inuit, elles ont également marqué un tournant politique et économique: depuis, l’exploitation de l’uranium, jusqu’ici interdite, a été autorisée et l’extraction devrait être assurée par une entreprise britannique avec des ouvriers chinois [http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/10/25/le-groenland-ouvre-l-exploitation-de-ses-mines-de-fer-et-d-uranium_3502686_3214.html->http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/10/25/le-groenland-ouvre-l-exploitation-de-ses-mines-de-fer-et-d-uranium_3502686_3214.html]. Pour comprendre cette insertion dans la mondialisation du Groenland, dont la perspective d’indépendance se rapproche , il n’est pas inutile de consulter l’une des dernières livraisons de la collection « Intelligence stratégique et géostratégie », qui analyse les changements dans les équilibres géoéconomiques et géostratégiques de la planète. L’ouvrage sur le Groenland est rédigé par la directrice de la collection, Viviane du Castel (ISEG), spécialiste des problématiques européennes et énergétiques et par Paulo Brito, spécialisé dans les questions de défense et de sécurité.

En préambule, l’ouvrage rappelle la situation politique du Groenland. Cette île demeure sous la souveraineté du Royaume du Danemark  pour le moment , mais les lois accordant une autonomie croissante se succèdent depuis 1979. Elles ont construit un régime parlementaire capable de prendre la plupart des décisions qui ne relèvent pas de la sécurité et de la Défense, notamment, et c’est le cœur des enjeux Groenlandais, dans le domaine de l’exploitation des ressources. Pour le moment, ce petit monde de 57000 habitants dépend des aides du Danemark, des Etats-Unis, pour la base militaire de Thulé, et de l’UE qui y intervient en vertu de traités d’association, l’île ayant quitté la CEE en 1979. Mais à cette manne qui ne facilite guère l’indépendance économique, pourrait succéder celle des revenus des hydrocarbures et autres nombreuses richesses minérales du Groenland : ce basculement économique pourrait précipiter l’Indépendance politique complète du territoire, tout en aiguisant les appétits de diverses puissances.

La place du Groenland dans les territoires arctiques : entre coopérations et disputes.

La situation du Groenland est ensuite replacée dans les enjeux plus généraux de l’arctique entre conséquence des fontes des glace sur l’accès aux ressources et aux routes maritimes, disputes ravivées entre les pays riverains sur les frontières et zones d’exploitations économiques, coopérations renforcées à des échelles diverses. Dans le domaine des disputes et revendications, c’est le toujours le Danemark qui affirme le contrôle sur le plateau continental. Mais dans la perspective d’indépendance, le Groenland souhaite multiplier les liens avec les pays riverains et les communautés Inuit (notamment le Nunavut canadien), se développer grâce aux ressources tout en protégeant l’environnement. Cette volonté pourrait toutefois rencontrer le désir de contrôle ou d’influence des autres acteurs, autrement plus puissants qu’un état aussi peuplé que Monaco.

C’est pour cette raison que les auteurs explorent la piste d’un renforcement des liens entre le Groenland et l’Union européenne, voire d’une adhésion ; l’Europe communautaire « protégerait » ainsi l’indépendance Groenland, ses ressources et son environnement contre les appétits des puissances.

Les enjeux des ressources groenlandais aux échelles nationales, arctiques et mondiales: un champ de bataille entre pays occidentaux et la Chine ?

Les perspectives d’exploitation des ressources du Groenland (hydrocarbures, minerais et terres rares, ressources halieutiques, paysages pour le tourisme) sont insérées dans un double contexte par les auteurs. A l’échelle mondiale, ils rappellent les principaux acteurs et leurs stratégies pour contrôler l’accès à ces richesses dans un contexte de tension dans ce domaine entre les puissances occidentales et les pays émergents au premier rang desquels la Chine .

L’importance de l’échelle arctique dans la répartition des réserves mondiales et dans ce « grand jeu » est également soulignée avec la révolution que pourraient y apporter les changements climatiques. Porte d’entrée à l’arctique et territoire en transition politique, le Groenland est donc courtisé à la fois par les puissances déjà présentes comme les Etats-Unis et l’Europe mais aussi par les Chinois. Ces derniers nouent des liens aussi bien par le Danemark qu’avec les autorités groenlandaises, en les incluant dans la “Chinarctique”: cette stratégie de présence par le biais de coopérations scientifiques ou de partenariats dans le domaine de l’énergie, comme celui déjà signé avec les Islandais. Face à cette entrisme de Pékin, les occidentaux tentent de construire une politique de contre-influence.

Mais les perspectives pour le Groenland lui-même sont soulignées, notamment les risques de dépendance aux ressources énergétiques, les atteintes aux autres secteurs d’activités ( la pêche par la pollution) , bref le risque de construire une économie aussi déséquilibrée que celle de certains émirats du Golfe.

Main basse sur les terres rares du Groenland

L’exemple le plus remarque développé dans cette partie est celui des terres rares. Ces minerais indispensables aux technologies modernes révèlent la dépendance et la fragilité des économies occidentales dans un contexte de domination de l’approvisionnement par les chinois qui entretiennent la pénurie tout en se constituant de confortables réserves stratégiques. L’abondance de terres rares au Groenland est l’une des pistes des économies occidentales pour diversifier leur approvisionnement. Pour le Groenland, ce serait un moyen d’échapper à une trop forte dépendance des exportations d’hydrocarbures. Mais cette exploitation ne peut se faire avec la main d’œuvre groenlandaise, peu nombreuse et qui n’est pas formée pour cela : les australiens présents sur place emploient des… chinois. Or au Groenland, les occidentaux et notamment l’Union Européenne ne parviennent pas à se réserver l’accès ces ressources et à en écarter la Chine. Il est par ailleurs à noter que l’exploitation des terres rares a été l’occasion de lever une première fois l’interdiction de l’extraction de matières radioactives au Groenland. On voit ainsi la pression que la protection de l’environnement du Groenland risque de subir plus généralement.

La lecture de cet ouvrage offre donc un éclairage intéressant sur la relativité de la notion d’indépendance pour certains territoires dans le cadre des tensions de la mondialisation actuelle ; on n’en ressort pas forcément convaincu des perspectives d’une protection par l’Union Européenne du développement d’un Groenland qui deviendrait indépendant. On regrettera certes l’absence de tout support cartographique, mais c’est malheureusement une constante, du fait des contraintes de ces ouvrages de petit format sur la géostratégie par ailleurs pratiques. Au delà, Viviane du Castel et Paulo Brito offrent une étude de cas localisée efficace pour l’approche des enjeux géopolitiques de la mondialisation et du développement durable, particulièrement utile pour le chapitre de seconde consacré aux espaces arctiques.