Je crois que ça ne va pas être possible ?
S’il s’agit d’aborder le rapport des Français à leur représentation nationale, le sujet ne peut que susciter l’intérêt. Mais s’agit-il de représenter des minorités ou de disposer d’une représentation nationale à l’image du démos français d’aujourd’hui ? Une part non négligeable des Français d’ascendance maghrébine témoigne d’un investissement civique réel à l’échelle politique locale. L’auteur analyse d’abord les processus militants dans le contexte post-migratoire. Il enquête ensuite sur les blocages et les préjugés susceptibles d’expliquer les difficultés d’accès à la représentation nationale. Un soin particulier est apporté à l’économie des parties, des sous-parties et des passages de transition. Cependant, dans sa forme, l’ouvrage trahit très vite l’absence d’une relecture rigoureuse. La forte densité de coquilles orthographiques ou syntaxiques suscite l’agacement. La typographie entretient la confusion entre religion et aire de civilisation (islam et Islam), adeptes, adjectifs ethniques et ethnonymes. La fonction des notes de références est ignorée comme l’unité des guillemets. Les noms propres sont souvent orthographiés de façon fantaisiste et/ou sans unité. Cet aspect de l’ouvrage demeure de nature à nourrir une polémique extérieure au sujet. Premier éditeur français de sciences humaines ou premier imprimeur ?
De la représentation des minorités ?
Le poids des discriminations dans le processus d’accès à la représentation nationale fonde le constat d’une « crise profonde de la représentation des minorités (sic)». Mais la représentation nationale a-t-elle vocation à représenter des minorités dans un système qui laisse à chaque individu le soin de représenter l’ensemble du corps civique ? Rappelons que Pierre Rosanvallon« L’avènement de la femme individu » in Le Sacre du citoyen, histoire du suffrage universel en France, Gallimard, 1992, p. 393-412. a déjà souligné l’hostilité des suffragistes britanniques à l’idée d’être représentées par des hommes. Elles accédèrent en effet à la représentation nationale en vertu d’une logique politique différentialiste sexuée qui ne faisait en rien de la femme une égale de l’homme. Le principe égalitariste français contribua en revanche à interdire l’accès des femmes ou des indigènes à la représentation de l’ensemble du peuple français en arguant de différences fondant une inégalité des droits. Ajoutons que Blum, attaqué sur sa judéité, ne prétendait pas autre chose que représenter le peuple français. L’ouvrage se fonde sur une classification ethnique rarement mise en cause et pourtant plus mouvante et perméable que le genre. Pendant combien de générations est-on « franco-maghrébin » ?
Le critère de visibilité est implicite, illustré par l’absence d’un Arnaud Montebourg, ou d’un Arnaud Robinet (député-maire de Reims), qui ont pourtant des ascendances algériennes.
Plafond de verre ?
Les processus sélectifs des partis constituent évidemment une des causes principales des blocages. Comme toutes les discriminations, ils ne sont pas forcément assumés et sont souvent imputés à l’électorat ou à ce qu’on en perçoit. S’y ajoutent les ambitions des individus à profil majoritaire (quinquagénaires blancs de milieu aisé). Dans la division droite-gauche, on aurait pu davantage s’intéresser à l’élément de clivage entre notables-héritiers et militants sortis du rang. L’approche intègre pertinemment les préjugés valorisant la femme d’ascendance maghrébine au détriment de l’homme, selon une problématique qui renvoie aux travaux de Nacira Guénif-Souilamas et Éric MacéNacira Guénif-Souilamas, Éric Macé, Les féministes et le garçon arabe, Éd. de l’Aube, 2006.. Au nombre des stéréotypes nourrissant la méfiance de l’électorat, il faut mentionner la religion réelle ou présumée des candidats et prétendants. Si l’auteur intègre bien la possibilité de choix religieux privés distincts des représentations extérieures, il abuse paradoxalement du concept d’« individu de confession musulmane », s’exposant ainsi aux mêmes critiques que la notion de « préfet musulman » chère à un ancien ministre de l’Intérieur. Ces assignations à résidence identitaire nourrissent les soupçons d’essentialisme ou de culturalisme qui ont récemment concerné Hugues Lagrange.
Où est passée l’histoire de la France ?
La notion d’élite est pertinemment questionnée mais le concept de minorité ethnique ou nationale ne convainc pas. L’expression médiatique « franco-maghrébin » reste inappropriée s’agissant de citoyens français. Il eût d’ailleurs fallu rappeler que les Français nés de parents algériens peuvent n’avoir aucune autre nationalité quand ceux nés de parents marocains sont nolens volens considérés par le droit marocain comme des sujets du royaume, quel que soit leur point de vue individuel sur la question.
S’il est clair que la participation civique d’élus d’ascendance maghrébine est encore périphérique avec souvent des places de second rang, la migration semble perçue comme extérieure à l’histoire nationale française. L’histoire elle-même n’est pas distinguée de la mémoire. La pertinence de l’objet d’étude est par ailleurs desservie par des conceptions épistémologiques succinctes qui, au delà les querelles de chapelles, montrent que le propos n’inscrit pas le présent étudié dans un continuum historique.
Au plan factuel, l’ouvrage pèche par méconnaissance du contexte historique auquel il tente de se référer. Georges Pau-Langevin, personnalité francilienne depuis plusieurs décennies, élue au Palais-Bourbon en 2012, fut précédée d’Élie Bloncourt à Laon (1936) ou de Monnerville, élu de Sarlat dans l’immédiat après-guerre après l’avoir été en Guyane depuis 1932. L’auteur désigne de façon récurrente l’État actuel via l’expression ambiguë « État français » et applique au Parti radical dit valoisien l’acronyme « PRD (sic) » d’une façon qui nuit au crédit d’une expertise ayant pour objet le politique. L’ancien ministre Hamlaoui Mékachéra n’est pas un harki mais un militaire de carrière issu d’un lignage d’officiers. L’ouvrage donne par ailleurs l’impression que l’auteur connaît surtout l’IDF et peu les régions. Ainsi, le constat qu’il y a surtout des conseillers généraux d’ascendance maghrébine en IDF se fonde surtout sur l’absence apparente d’observations sérieuse hors d’IDF. Quelle est par exemple la représentativité du cas de Sabrina Ghallal, conseillère générale de la Marne pour le 4e canton de Reims ? Est-elle une exception ?
Zola sur le tard mais la gauche en recul
L’ouvrage distingue les Français d’ascendance berbère et arabe comme il différencie les naturalisés et les natifs de France, en tenant compte des immigrés arrivés jeunes. On songe ici à Najat Vallaud-Belkacem. Les différences de conceptions entre Français d’ascendance kabyle (les ascendances schleuhs ou rifaines sont absentes de l’ouvrage) et arabe trouvent un écho dans le stéréotype colonial opposant l’Arabe au Berbère mais l’électorat est-il vraiment en mesure de distinguer ces origines parmi les candidats ?
La majorité des élus et candidats est d’origine modeste et connaît le pays des parents. Le constat d’un petit nombre de mariages mixtes privilégie l’ethnicité ou le culturalisme au détriment du facteur social (des couples apparemment mixtes peuvent en fait relever d’une certaine endogamie sociologique et/ou professionnelle). Beaucoup d’élus ont rattrapé le temps perdu, lisant Zola sur le tard. Leur insertion professionnelle est effective et le militantisme associatif demeure l’élément déclencheur de l’investissement politique. Naguère plutôt mobiles à l’intérieur de la gauche, les élus et militants d’ascendance maghrébine sont aujourd’hui présents dans tout l’éventail politique, y compris à l’extrême-droite. On retrouve ici le ressentiment d’un certain nombre de Français d’ascendance maghrébine vis-à-vis d’une gauche encline à les considérer comme des électeurs ou des militants godillots. On songe à la Clermontoise Fadela Amara qui n’a cessé de revendiquer son appartenance à la gauche durant son expérience sarkozyste. Il est par ailleurs judicieux d’interroger un modèle où la droite nomme et où la gauche fait élire, à partir du scrutin de 2012.
Faire son chemin dans le mille-feuilles
On s’en doutait depuis longtemps mais cela va mieux en l’écrivant : la région et la municipalité sont plus accessibles que le conseil départemental. Les Français d’ascendance maghrébine figurent plus facilement sur les listes municipales et sur les listes départementales des élections régionales. Aux cantonales comme aux législatives, le scrutin uninominal majoritaire à deux tours les défavorise. Il y a des adjoints mais peu de maires. L’obstacle à droite n’est perçu que dans sa dimension idéologique alors qu’il pourrait aussi se révéler d’ordre sociologique à moins de postuler que la mobilité politique interne aux partis de droite reste totalement identique à celle des partis de gauche quand on sait que le militant d’ascendance maghrébine est moins souvent un notable héritier qu’un militant sorti du rang. Autre dimension absente du propos : alors que le pouvoir du parlement européen est allé croissant par rapport aux parlement nationaux, ces derniers ont davantage et paradoxalement polarisé l’investissement individuel du personnel politique. La présence d’élus d’ascendance maghrébine au Parlement européen doit donc beaucoup au scrutin de liste et au moindre investissement des poids lourds de la politique nationale dans les affaires européennes. Par ailleurs, le fait pour un parti de présenter sur des listes des candidats d’ascendance maghrébine ne peut que contraindre les adversaires à faire de même. Il y a donc un effet potentiel d’entraînement même si l’on constate une difficulté au renouvellement. Celle-ci favorise les élites traditionnelles pour qui les places sont déjà chères.
Desservi par sa forme et son inachèvement épistémologique, cet ouvrage nécessaire témoigne d’un milieu d’héritiers défavorable à la promotion sociale des minoritaires. Le paradigme vaut aussi bien pour les Français d’ascendance maghrébine que pour les Français noirs ou les femmes. Il reste toutefois des perspectives pour d’autres études sociologiques et historiques à une échelle plus fine. Aux abonnés absents lors de la relecture, l’éditeur a tout de même fait le choix fort peu pertinent de rattacher l’ouvrage à la collection « Histoire et perspectives méditerranéennes ». Il était nettement plus approprié de rattacher ce thème sociologique à l’histoire de la France contemporaine.. à moins de le regarder comme exotique.
© Dominique Chathuant – Clionautes