Peu avant la Libération de la France, en 1944, les rapports des Renseignements généraux affirment que Joseph Darnand est, avec Pierre Laval, l’homme le plus haï de France. Antisémite, cagoulard, collaborationniste, fondateur et chef de la sinistre Milice, violent et criminel, il poussa sa logique mortifère jusqu’à devenir officier de la Waffen SS. Condamné à mort par la Haute Cour de justice, après un procès qui ne dura que quelques heures tant les charges étaient nombreuses et sans appel,  il fut fusillé le 10 octobre 1945. Il avait pourtant été honoré et admiré comme un héros de la Grande Guerre, et encore pendant la campagne de 1940, où l’une de ses opérations commando lui avait valu la une de Paris Match.

Pourquoi et comment passe-t-on, en bien peu de temps, « de la gloire à l’opprobre » ? C’est à répondre à cette question qu’Éric Alary a consacré son dernier livre, venant combler un vide historiographique puisqu’il n’existait pas encore de biographie de Joseph Darnand, qui réponde aux critères rigoureux de la recherche historique.

Docteur en histoire de l’Institut d’études politiques de Paris, auteur d’une thèse sur La ligne de démarcation, sous la direction de Jean-Pierre Azéma,  professeur de chaire supérieure en CPGE littéraires (Tours), Président du Centre Européen de Promotion de l’Histoire, structure organisatrice des Rendez-Vous de l’Histoire de Blois, Éric Alary est l’auteur de nombreux ouvrages sur la guerre 1939-1945 (Nouvelle histoire de l’Occupation, Perrin 2019 ; L’exode. Un drame oublié, Perrin, 2010 ; Les Français au quotidien 1939-1949, avec Bénédicte Vergez-Chaignon et Gilles Gauvin, Perrin, 2006), mais pas seulement : Histoire des enfants de 1890à nos joursL’Histoire des paysans français.

« Comprendre la vie de cet homme au parcours fulgurant et contradictoire »

Les sources existent mais sur certains points, elles sont lacunaires, voire inexistantes ; ainsi il n’existe pas d’archives familiales, et si Eric Alary parvient vraiment à nous faire appréhender la personnalité et le caractère de Darnand, il ne peut dire que fort peu de choses sur sa vie familiale et privée, ce qui n’est pas nécessairement bien grave. Les sources utilisées sont le dossier d’instruction du procès Darnand, les autres archives de la Haute Cour de justice, celles de la Préfecture de police de Paris, les archives départementales des Alpes-Maritimes (fief de Darnand et de l’extrême de puis les années 1930), des témoignages et mémoires et les études historiques sur Darnand, la collaboration, et plus largement sur l’Occupation. L’une des difficultés de l’entreprise est en effet de rester dans le cadre biographique tout en exposant les données essentielles de l’évolution du gouvernement de Vichy et de l’histoire de la Milice, tant la vie de son « objet historique » se confond avec ce contexte. L’ouvrage est structuré en 14 chapitres, que viennent compléter une liste des sources, une bibliographie, et un index. Le premier chapitre inverse la chronologie puisqu’il traite du procès Darnand et de son exécution, tout en abordant une réflexion problématique plus globale sur le parcours de Darnand, un patriote tombé sous des balles françaises pour avoir massacré des Français aux ordres de l’Allemagne, un germanophobe devenu membre de la SS, un admirateur inconditionnel et fidèle du maréchal Pétain, ayant envisagé très sérieusement au printemps 1943 de gagner Londres pour combattre dans la France libre !

Le héros de la Grande Guerre

Joseph Darnand est né en 1897 « dans une famille rurale de l’Ain, où il vit une jeunesse banale, sans grand relief », avec ses quatre frères et sœurs, dans un environnement chrétien. Une promotion professionnelle conduit la famille dans la petite ville de Bourg-en-Bresse, où son père est chef de gare. Joseph est inscrit dans une institution catholique prestigieuse mais coûteuse pour les revenus modestes de la famille, qui le préserve des dangers d’une éducation laïque. Fait rare à l’époque, et encore plus dans une famille chrétienne, ses parents divorcent peu avant la guerre. Patriote fougueux et assoiffé d’aventures, il se porte volontaire pour aller combattre quand la guerre est déclarée. L’Armée le repousse car il est trop jeune, et trop maigre ! En 1914 Joseph Darnand est un chrétien nationaliste frustré « d’intelligence moyenne ».

En janvier 1916, il est enfin incorporé dans l’infanterie. « L’attente angoissée, voire humiliante, est désormais derrière lui. Il ne risque plus de passer pour un « planqué » ou un « embusqué » ». Volontaire, courageux, belliqueux, il devient caporal, puis sergent et intègre un régiment où combattent les grenadiers d’élite, appelé les « nettoyeurs de tranchées ». Les grenadiers sont chargés de missions très dangereuses, opérations nocturnes, reconnaissance des lignes ennemies, montage d’embuscades et d’opérations commando, opérations menées dans des conditions abominables et nécessitant de tuer souvent à l’arme blanche dans les tranchées ennemies de première ligne. En novembre 1917, il obtient la croix de guerre, et, bien plus rare, la médaille militaire. C’est un casse-cou ; c’est aussi un chef qui sait parler aux hommes qu’il commande et qui dispose d’un charisme incontestable. Il lui faut agir, il réfléchit peu.

Le 14 juillet 1918, le sergent Darnand trouve la gloire sur le front de Champagne. A la tête de ses hommes, il doit préparer puis conduire une opération commando pour collecter des renseignements précieux derrière les lignes allemandes. Ils franchissent 400 mètres en plein jour et se battent au corps à corps. Darnand parvient à se saisir de sacoches d’officiers, d’armes, de carnets de notes, et il fait sauter le PC du régiment avant de se replier. Il fait 27 prisonniers, ce qui est exceptionnel, qui vont parler et fournir de précieux renseignements. Les résultats de l’opération sont au-dessus de toutes les espérances, l’offensive ennemie est prévue et elle sera un échec. Les répercussions stratégiques et humaines de l’opération de Darnand sont considérables : il est devenu un héros national. Le 31 août 1918, Pétain le reçoit et lui remet la médaille militaire, distinction exceptionnelle. Il termine la guerre avec le grade d’adjudant, deux blessures et sept citations.

Frustration et errance à l’extrême droite

Il souhaite rester dans l’armée. Ses chefs le lui refusent, estimant « sans doute qu’il n’a pas les capacités intellectuelles requises pour entrer dans le corps des cadres militaires ». Frustré et vexé, il appréhende une vie quotidienne banale. Il se marie avec la nièce de son patron qui sera toujours une femme réservée et dévouée à son héros, qui lui donnera un fils, Philippe, et qu’il trompera très vite, et souvent. Il change d’emploi et très vite sa préoccupation principale devient le militantisme politique à l’extrême-droite. Il adhère à l’Action française : « Son patriotisme est satisfait par les propos de Maurras et cela lui suffit (…) Il ne manie pas les théories et les pensées complexes : il veut combattre (…) Il espère en découdre avec les communistes qu’il déteste (…) La violence ne lui fait pas peur ». Il devient directeur adjoint de la succursale de Nice de l’entreprise qui l’emploie, et rejoint les Camelots du roi dont il devient chef de secteur et porte-drapeaux. Il fait la connaissance et se lie d’une amitié profonde avec Félix Angély et Marcel Gombert. Il fonde sa propre entreprise, Transports Joseph Darnand et Cie. A la fin des années 1920 il emploie quinze personnes. Le 7 avril 1927, on lui remet la Légion d’honneur, dans la cour des Invalides à Paris.

Assez vite il s’ennuie à l’Action française qu’il trouve trop attentiste alors qu’il veut une action brutale et violente contre la République. Il est convoqué àPparis par les chefs nationaux de la ligue. En présence de Charles Maurras, il les traite de « vieux cons »… et adhère à la ligue des Croix de feu. « Il est impatient, autoritaire, prétentieux et de plus en plus audacieux ». Mais l’attitude du colonel de la Rocque et des Croix de feu le soir du 6 février 1934 le déçoit terriblement. Il se sent proches des fascistes italiens, mais La Rocque n’est pas Mussolini ! Sa dérive continue : il abandonne le Parti social français, avatar des Croix de feu, pour la Cagoule.

Il adhère à Nice aux Chevaliers du glaive, « association clandestine dominée par Darnand (qui) se réunit la nuit dans des docks désaffectés. Les membres respectent un rituel avec le port d’une cagoule et une réunion dans une salle éclairée aux flambeaux ». Cette association antisémite, anticommuniste, antirépublicaine et, profasciste, est affilié au CSAR, communément appelé la Cagoule. Mais Darnand n’a jamais été une tête pensante de la Cagoule (on comprend à la lecture de cette étude que Darnand n’a jamais vraiment pensé), contrairement à Deloncle, Corrèze, ou même au tueur Filliol. Les Alpes-Maritimes deviennent le bastion de la Cagoule, et plus largement de l’extrême-droite profasciste. Le Parti populaire de Doriot y est puissant et Darnand y fait un court passage : la dimension physique et violente lui convient, mais il y a trop d’anciens communistes !

Cagoulard, « il franchit encore un cap vers la collusion avec les fascistes italiens, la haine et la violence ». Deloncle fait de lui le chef de la Cagoule dans les Alpes-Maritimes. Il a pour adjoint ses amis Agnély et Gombert et fait la connaissance de Jean Filliol, tueur et homme des basses besognes de Deloncle. Utilisant les camions de son entreprise de transports, Darnand se lance dans le trafic d’armes nocturne avec les fascistes italiens ; il trempe aussi dans des assassinats. En novembre 1937, Marx Dormoy, ministre de l’Intérieur entreprend le démantèlement de la Cagoule. Deloncle est arrêté, Filliol fuit en Espagne, Darnand, que la police surveillait, est arrêté, accusé de complot contre la République et écroué à Nice le 14 juillet 1938, puis à la prison parisienne de la Santé. Un comité des amis de Joseph Darnand se constitue, qui exige sa libération. Il est traduit devant la justice ; Xavier Vallat, son avocat, obtient un non-lieu. Il sort de prison le 17 décembre 1938. La République est plus que jamais son ennemi à détruire, avec le communiste, le juif et le franc-maçon.

Le héros de la nouvelle guerre

La guerre lui convient. Il ne se pose pas la question de sa proximité idéologique avec le fascisme. Il est germanophobe et ravi de reprendre les armes. Il demande à être affecté à une unité combattante et, avec son copain Agnély, demande et obtient la création d’un corps franc. Ils ont pour mission d’opérer des coups de main et des patrouilles en Moselle. Le 8 février 1940, son groupe reçoit une mission de renseignement sur les lignes allemandes : il va pouvoir rejouer le coup du 14 juillet 1918. Mais l’affaire tourne mal. La mission coûte la vie à huit hommes, et quatre autres sont faits prisonniers ou disparus. Son copain Agnély est tué. Darnand ramène ses hommes, puis repart chercher le cadavre d’Agnély. Cet acte de bravoure lui vaut de faire la une de Match, le 21 mars 1940. Dans les milieux militaires et anciens combattants, il est au sommet de sa gloire. Il va jusqu’à séduire un homme aussi fin et cultivé que le RP Bruckberger qui devient son ami et qui l’admire. Il continue de se battre, réalise des actes admirables, est fait prisonnier et s’évade, fait retomber toute la responsabilité de la défaite sur la République et les responsables élus.

Admirateur et serviteur du maréchal Pétain

Après la défaite, l’armistice et l’occupation, il regagne Nice. Quitter la France pour Londres serait pure lâcheté. Il faut désormais suivre Pétain qui est resté en place pour défendre l’honneur du pays et qui, il n’en doute pas, prépare la revanche. Il abandonne de plus en plus la marche de son entreprise à son adjoint, délaisse sa femme et son fils, et se lance à corps perdu dans l’action politique, dont il ne semble pas se rendre compte toujours qu’elle est politique, car il n’a guère de conscience politique. Xavier Vallat lui demande de créer et de présider la Légion française des combattants dans les Alpes-Maritimes. Il recrute d’autant plus facilement que son charisme et sa réputation attirent nombre d’anciens combattants des deux guerres. Il entend soutenir Pétain et préparer la revanche ; il participe d’ailleurs à la création de stocks d’armes avec des hommes dont certains deviendront résistants : ainsi il fréquente beaucoup le colonel Groussard, ancien cagoulard, qui deviendra résistant, canal anticommuniste : Eric Alary écrit justement « Groussard a donc plutôt servi l’Etat vichyste en tentant de mettre en place une véritable police politique dont les cibles principales, finalement, n’étaient pas les Allemands ».

 

« Versatile et prêt à tout », Darnand joue en 1941 le rôle de serviteur zélé du maréchal Pétain. Il fait de la Légion des combattants des Alpes-Maritimes, un véritable modèle : un Français sur cinq dans ce département appartient à la Légion. Mais certains éléments font peur par leurs actions violentes et inquiètent la population. Il est reçu par Pétain qui réside souvent dans sa propriété de Villeneuve-Loubet. Il est donc conduit à défendre désormais la collaboration, sans trop voir dans un premier temps que la revanche n’est pas à l’ordre du jour et que la germanophobie est difficile à concilier avec la collaboration. Son ami Bruckberger attire son attention sur ce fait. « Au printemps 1941, Darnand (…) bascule franchement dans l’engrenage de la collaboration et oublie progressivement sa haine des Allemands ». Il souhaite « créer un groupe d’hommes motivés et à la pointe du combat pour favoriser la Révolution nationale. C’est ainsi que naît le Service d’ordre légionnaire (SOL). Les légionnaires niçois sont donc des pionniers ». Le SOL est officialisé en janvier 1942. L’auteur observe alors que Darnand « semble avoir progressivement perdu toute forme d’humilité ». « Complexé par son manque de culture, il s’emploie à faire ce qu’il sait faire de mieux : monter des équipes de choc ». Le SOL est doté d’un hymne et d’une devise ; Darnand l’implante en dehors de Nice et s’installe lui-même à Vichy. Si les 16 premiers points du programme du SOL, résumés dans le serment que doivent prêter ses membres, sont le reflet de la doctrine de la Révolution nationale (Travail. Famille. Patrie), les cinq derniers affirment l’antisémitisme, l’antigaullisme, l’anticommunisme et l’antimaçonnisme. Le SOL accroît ses violences, couvertes par Vichy ; c’est bien plus qu’un service d’ordre, « la dérive fasciste ne fait pas alors de doute ».

La dérive fasciste

« En 1942, Darnand est désormais entré dans les sphères du pouvoir politique national, et sa mue politique continue (…) Bientôt, il dérive vers le crime et le nazisme  (…) Il devient un collaborationniste discipliné autant qu’opportuniste. La Milice (une autre de ses créations) est « l’instrument » qui lui permet d’accomplir ses crimes et d’assouvir sa haine et sa violence. » Il a opéré un glissement irréversible, son objectif est désormais la lutte contre le bolchevisme. Il est également prêt à sacrifier son ancien idéal patriote et revanchard pour poursuivre son ascension sociale. Il est fier de fréquenter les milieux gouvernementaux et il est aussi très influençable. Il devient donc un fervent défenseur de la collaboration franco-allemande. Si Darnand n’est pas directement impliqué dans la rafle des Juifs de Nice les 26 et 27 août 1942, son ancienne entreprise y participe par le prêt de ses camions et il est parfaitement informé ; son « antisémitisme haineux » en est satisfait.

Pour lutter contre les Alliés qui débarquent en Afrique du Nord en novembre 1942, il fonde la Phalange africaine à Tunis. Les phalangistes sont armés par les Allemands et prêtent serment à Hitler. Le SOL se détache de la Légion des combattants et devient la Milice en janvier 1943, police supplétive dotée d’un gros budget, organisée comme le parti nazi, avec une Franc-Garde armée et encasernée.

Curieusement, c’est alors que Darnand doute et hésite : il essaie de rallier la France combattante après avoir rencontré Groussard, qui est désormais dans la Résistance, et Bruckberger qui l’est aussi. Un télégramme de Jean Moulin du 4 juin 1943, informe le BCRA que Darnand pourrait rallier la France libre avec ses hommes et leurs armes. C’est « délirant et irréel pour nombre de résistants ». La cause profonde de cet apparent revirement est la déception qu’il ressent devant sa difficulté à obtenir des armes pour ses miliciens, que Pétain et Laval lui refusent. Darnand est « un opportuniste qui ne renonce à aucun retournement ». Londres répond à Moulin que cette proposition est « moralement inacceptable ». Les Allemands lui proposent alors d’armer la Milice, à condition qu’il accepte de se battre à leur côté, dans une lutte européenne. Darnand n’hésite pas, il s’engage avec 300 hommes dans la Waffen SS et se rend en Allemagne pour rencontrer les dirigeants du Reich. Il est fait officier de la Waffen SS et prête serment au Führer. Darnand est désormais l’homme des SS en France.

« L’engrenage infernal de compromissions et de crimes »

En janvier 1944, les occupants imposent l’entrée au gouvernement de Henriot et de Darnand, puis de Déat. Darnand a le titre de secrétaire d’Etat au Maintien de l’ordre, puis, en juin, de secrétaire d’Etat à l’Intérieur, tout en restant secrétaire général de la Milice, qui s’installe en zone Nord.  Il s’agit de mettre en place un régime milicien pronazi qui combatte la Résistance avec violence et détermination. Désormais les miliciens surveillent les ministres, les préfets, les gendarmes, les policiers, les habitants.

Des cours martiales de la Milice condamnent et exécutent les résistants par milliers. Aux côtés des Allemands, la Milice attaque les maquis, en commençant par celui des Glières et février 1944. Tortures, massacres et exactions de tous ordres : c’est le règne de la terreur. Darnand couvre, et participe à l’occasion. Il en profite pour régler de vieux comptes avec les hommes politiques de la IIIème République : ce sont des miliciens qui exécutent Victor Basch, président de la Ligue des droits de l’Homme et l’un des organisateurs du Front populaire, et son épouse ; ce sont des miliciens qui exécutent Jean Zay, ministre de l’Education nationale du Front populaire ; ce sont  eux encore qui exécutent Georges Mandel ; et s’ils n’exécutent pas Léon Blum et Paul Reynaud, c’est parce que les Allemands y ont finalement renoncé. Ce n’est pas Darlan qui a donné l’ordre de ces exécutions, mais il est informé et acquiesce.  Quand Laval lui donne connaissance d’une lettre cinglante et sans appel de Pétain s’insurgeant contre les crimes et les exactions de la Milice, Darnand laisse éclater sa colère et son amertume.

Les trois derniers chapitres racontent les ultimes étapes de la dérive collaborationniste et mortifère de Darnand, qui s’inscrivent dans les derniers soubresauts du régime de Vichy, de Belfort à Sigmaringen. Darnand, et il n’est pas le seul, refuse de voir la réalité et veut encore combattre. Pétain se considérant comme prisonnier des Allemands, les ultras de la collaboration se déchirent entre eux pour un pouvoir qui n’existe plus, au sein d’un cabinet fantoche. Darnand tombe complètement dans la main des Allemands, qui le manipulent et l’humilient. Ses miliciens sont incorporés pour la plupart dans les Waffen SS au sein d’une division Charlemagne, les autres sont envoyés travailler en Allemagne. « Il est alors plus que jamais pris dans un engrenage infernal de compromissions et de crimes. »

Quand il lui faut bien admettre que tout est perdu, Darnand fuit en Italie, où il se bat encore quelques jours conte la Résistance, sous les ordres d’un général SS, et où il espère échapper à la justice française. Alors qu’il se dirige vers Milan, le 25 juin 1945, il est arrêté par un officier de l’Intelligence Service. Livré à la sécurité militaire française, il est transféré à Nice puis à Fresnes.

Son procès devant la Haute Cour de justice ne dura que cinq heures et les délibérations du jury, un quart d’heure. Darnand ne montra aucune émotion à l’annonce de sa condamnation à mort. Il ne demanda pas de recours en grâce, ce que son avocat fit pour lui. De Gaulle la rejeta. Darnand lui écrivit pour plaider la cause des miliciens. De Gaulle ne lui répondit pas directement mais dit à l’avocat : « Dites-lui en tout cas que je suis obligé de le faire fusiller par raison d’Etat, mais que de soldat à soldat, je lui garde toute mon estime ». Curieux hommage partiel. De Gaulle voit en Darnand un patriote « victime de la forfaiture d’un régime » qui a « détourné un jour les hommes de bons chemins de la patrie ». Le RP Bruckberger, ex aumônier des FFI, resta auprès de son ami jusqu’au dernier moment, et lui ferma les yeux après le coup de grâce.

© Joël Drogland pour les Clionautes