Ce numéro d’été de la revue Questions internationales développe une thématique qui pourrait sembler dépassée au début du XXIe siècle, celle de la constitution des Empires. Il est vrai que le siècle précédent a été comme l’affirme dans l’éditorial Serge Sur, le rédacteur en chef, leur tombeau. L’empire soviétique, le dernier en date, celui qui a inscrit son histoire dans le XX siècle a rejoint dans les poubelles de l’histoire celui d’Autriche-Hongrie ou encore le troisième Reich prévu pour durer mille ans sans parler des empires coloniaux ou de l’empire ottoman. Pour autant, le concept d’Empire, pas simplement au sens politique, reste toujours opérationnel. D’abord parce que l’impérialisme américain semble être une réalité appuyée sur la domination militaire et le refus de se soumettre aux règles multilatérales. Enduite parce qu’il existe un empire virtuel, que l’on ne soupçonne pas vraiment, l’Union européenne qui s’est étendue de par son fort pouvoir d’attraction. Le rédacteur en chef décèle dans la bureaucratie envahissante de Bruxelles, l’apparition d’une caste impersonnelle rappelant ce qui existait dans les Empires tsariste ou austro-hongrois. Une vision optimiste de la construction de l’Union permet d’espérer que ces travers contre lesquels quelques peuples, dont le français, se sont élevés, ne sont que réminiscences du passé et que l’Europe se construira sans que la coercition qui est la marque commune de toutes les constructions politiques de type impérial ne soit utilisée.
L’intérêt de ce numéro est de fournir tout au long de ce dossier une des mises aux point très précises et très synthétiques sur différents types d’Empire, en commençant par l’Empire chinois, basé à la fois sur un territoire, une succession dynastique dans laquelle s’inscrit le Parti communiste au pouvoir et une ethnie dominante.
Roland Pourtier qui a dirigé un ouvrage sur la géopolitique de l’Afrique et du Moyen Orient présenté sur le site présente également une remarquable et passionnante synthèse sur les Empires africains, mal connus, à la fois pour l’Afrique de l’Ouest avec les empires soudanais qui ont subi largement l’influence de l’Islam. Plus tardivement les empires guerriers d’Afrique Centrale en voie de constitution ont dû faire face à l’irruption coloniale comme les empires mandingue ou de Centrafrique. À l’Est Ménélik II le chef éthiopien résiste aux velléités italiennes en 1898 tandis que les Zoulous subissent les assauts des boers et des britanniques.
Cholé de Perry s’interroge, à notre sens un peu rapidement sur la perception d’un Empire américain que les néoconservateurs voudraient voir constitué. Cela peut dispenser d’une réflexion globale sur l’impérialisme dans l’acception globale du terme qui reste à poursuivre.
A ce propos il conviendra de lire attentivement et de garder en référence l’article de Pierre Grosser sur la notion d’Empire dans les différentes théories des relations internationales notamment celle de Susan Strange sur l’Empire non territorial étasunien s’appuyant sur ses investissements dans le monde. Le politologue de l’Université de Columbia Jack Snyder conteste le fait que les citoyens américains eux-mêmes aient une perception impériale et considère comme une parenthèse l’administration Bush qui ne troupe pas grâce à ses yeux. En fait d’après lui, les grandes puissances émergentes comme l’Inde ou la Chine sont les soutiens naturels de l’hégémonie américaine, les uns fournissant des débouchés et des biens à l’autre. Charles Etienne Gudin livre une réflexion très stimulante sur le lien entre Empires carolingien et européen. Évidemment, le non au référendum retarde sensiblement le processus de constitution de l’un des traits essentiels de l’Empire, à savoir une diplomatie commune.
Ce numéro permet aussi aux historiens qui voudraient développer une mise au point rapide sur les empires romains d’occident et d’Orient, ainsi que les empires coloniaux britanniques et français de trouver leur bonheur. Parmi les bonnes feuilles on appréciera aussi les quatre pages consacrées aux empires précolombiens aztèque et maya même si on aurait pu espérer que les thèses sur les causes de leurs chutes soient un peu plus évoquées.
Très largement inspiré par la thèse de Jacques Marseille, Guillaume Daudin s’interroge sur le fait de savoir si les empires coloniaux sont responsables des différences de développement. Le sujet est vaste et la polémiques pas close mais il est clair que des secteurs en ont tiré profit et que le bilan de la colonisation ne saurait être traité d’un point de vue économique sous l’angle de l’opposition entre positif et négatif.
Dans ce numéro, et en dehors du dossier central figurent également deux articles entre autres qui méritent d’être lus.
Une mise au point sur la Syrie et sur les ressorts de sa politique étrangère est rédigée par Philippe Droz-Vincent dont on attend avec impatience à la fin de l’année la parution des « vertiges de la puissance, le moment américain au moyen-orient ».
Le pays qui a suivi la Corée du Nord avec son système de république héréditaire, le fils Bachar succédant en 2000 à son père Hafez Al Assad, connaît de grandes difficultés politiques et économiques d’autant plus que la diplomatie française qui ménageait ce régime a changé d’orientation et que les Etats-Unis font pression également à partir de l’Irak.
Fabrizio Maccaglia livre également une synthèse sur les évolutions des anciennes et des nouvelles mafias en Italie. Longtemps pays d’émigration, exportant ses mafias y compris et surtout aux Etats-Unis, l’Italie s’est ouverte en tant que terre d’accueil au sud de l’Union européenne à de nouveaux réseaux, proches comme les albanais et lointains comme les nigérians. L’Etat italien sans cesse sur le métier remet son ouvrage et les coups très durs portés à la mafia palermitaine sont à recommencer à Naple avec la Camorra ou dans les Pouilles avec la sacra corona unita, la plus récente des organisations criminelles méridionales.
Au final ce numéro d’été propose de bons moments d’histoire, d’actualité et de réflexion sur les grandes questions contemporaines, de quoi préparer une rentrée studieuse.
Bruno Modica © Clionautes