Marie Dejoux, Les Enquêtes de Saint Louis. Gouverner et sauver son âme, PUF, 2014, 27€

Nous célébrons en 2014 le huit-centième anniversaire de la naissance de Saint Louis, d’où l’apparition d’ouvrages et articles de qualités disparates. Celui de Marie Dejoux fait assurément partie des meilleurs: issu d’une thèse, il analyse méticuleusement les grandes enquêtes menées sous son règne.
Alors que Louis IX s’était croisé en 1244 – il partit en 1248 pour ne rentrer qu’en 1254 sur un constat d’échec – il ordonna en 1247 que soit lancée une série d’enquêtes pour réparer les torts que lui même ou ses prédécesseurs auraient causés à ses sujets. De son avènement à sa mort en 1270, il en fit mener plusieurs séries, dont l’auteure livre ici une analyse minutieuse. Elle commence par montrer que les documents traitant de ces enquêtes, redécouverts à la fin du XIXe siècle, ne sont en réalité que très partiels et ne permettent donc de tirer que des conclusions limitées sur ces entreprises, au prix d’un travail minutieux.

Le roi semble être resté assez flou dans la définition de l’objet même des enquêtes, se concentrant à l’inverse sur les conditions dans lesquelles elles étaient menées et les procédures, influencées par le droit romano-canonique. Lors de leurs tournées, les enquêteurs recevaient les plaintes contre le roi et ses ancêtres : ils ne pouvaient en revanche juger que les exactions commises par les officiers royaux, et devaient se contenter d’enquêter sur les cas impliquant le roi. Toutefois, ils acquirent progressivement la capacité de juger également les plaintes déposées contre le roi.

Les thèmes qui apparaissent divergent selon les régions et témoignent des caractéristiques propres à chaque espace : ainsi, autour d’Arras, on s’est beaucoup plaint des exactions qui accompagnèrent les campagnes militaires de Philippe Auguste, alors qu’en Languedoc, les problèmes portaient sur les nombreux changements de possession des terres intervenus dans le sillage de la conquête. Les enquêtes s’y transformèrent in fine souvent en tests de la fidélité des plaignants au roi de France…

Ces enquêteurs sont des religieux : les séculiers sont souvent des proches du rois, les réguliers, surtout des mendiants, sont désignés à l’inverse par leur ordre. Les ordres mendiants avaient en effet, en raison de leur pauvreté volontaire et de la condamnation de la thésaurisation, mené une réflexion très poussée sur l’économie et les problèmes de fixation des prix, qui trouvaient dans ces circonstances une application concrète. Leurs capacités de prédicateurs leur permettaient aussi de propager l’image d’un roi de justice, une situation qu’ils acceptèrent toutefois de plus en plus mal.

Entendre la parole du Roi

Ces tournées étaient l’occasion pour les sujets d’entendre la parole d’un roi qui demeurait largement en Île de France : elles étaient donc des opérations de communication politique de grande ampleur, visant à renforcer la présence royale sur le territoire. Cet aspect politique apparaît nettement dans l’analyse des subdivisions territoriales d’intervention : d’abord religieuses, elles sont plus en plus laïques, comme les baillages, qui s’institutionnalisent à l’époque.

L’analyse des plaintes mêmes montre que les plaignants même décrits comme « pauvres » n’étaient pas des miséreux, mais disposaient de ressources non négligeables. Ils n’étaient pas uniquement des victimes des exactions menées par des officiers royaux malhonnêtes et sans scrupules : beaucoup défendaient réellement la souveraineté et le domaine royaux, par exemple contre les plaignants labourant sur une route royale pour accroître leurs champs. Il est difficile de se prononcer de manière globale sur l’issue des procès, faute d’informations, d’autant que les plaintes jugées irrecevables étaient filtrées en amont et ne laissent pas de trace. Mais la masse est suffisante pour bien montrer que l’objectif de ces enquêtes n’était pas de remettre en cause le fonctionnement de l’administration, mais de corriger les torts, surtout d’ampleur limitée, et encore, après négociation des montants pour défendre l’intérêt du roi.

Le dernier chapitre, qui peut parfaitement être lu seul, replace ces enquêtes dans le contexte du temps. Louis IX est particulièrement marqué par la piété des mendiants et par la volonté de faire son salut grâce à ces enquêtes. C’est un homme de son temps : le conseil de Latran IV avait imposé en 1215 la confession, une forme plus intériorisée de piété, et la restitution des biens usurpés. De nombreux testaments contiennent ainsi au XIIIe siècle des clauses de restitution. En revanche, les successeurs de Louis, en particulier Philippe le Bel, lancèrent plutôt des procédures de réformation du royaume, souvent tournées contre certaines catégories d’officiers, sous l’influence de la papauté et non des ordres mendiants. Faire des enquêtes de Saint Louis l’ancêtre de toutes les procédures visant à réformer le royaume est donc une erreur.