Souvent cité mais mal connu en dehors des cercles intellectuels français familiers des pages débats des grands quotidiens, Noam Chomsky, ne trouve de véritable relais d’expression que dans les colonnes du Monde Diplomatique. Cela suffit pour beaucoup à le classer à la gauche de la gauche et, ce courant n’étant plus vraiment tendance, la cause est entendue.

Noam Chomsky est affublé de l’étiquette « radical », au sens anglo saxon du terme. Il est connu pour critiquer la politique étrangère des États-Unis, beaucoup moins celle des pays socialistes ou révolutionnaires. De ce fait, et selon les époques, il est apparu comme le défenseur des régimes khmer rouge, nord vietnamien et pourquoi pas iranien. Il a été également cité lors de l’affaire Faurisson, en tant que signataire d’une pétition pour défendre sa liberté d’expression. Les réactions en France ont été violentes, même si reconnaitre à une personne le droit d’exprimer ses opinions ne revient nullement à les partager. Élémentaire aux États-Unis, cette distinction reste parfois difficilement compréhensible en France.

Avant d’être cet intellectuel radical, Noam Chomsky est d’abord un linguiste, un spécialiste de l’étude de la formation des discours et des langages. C’est sans doute par ce biais qu’il s’engage, dans cet ouvrage comme dans les précédents, dans une critique féroce des aspects les plus discutables de la politique étrangère de son pays. Pour Chomsky, l’argument est simple. Les États-Unis empruntent à leurs adversaires les méthodes et les pratiques qu’ils ont sensés combattre. De ce fait ils se disqualifient totalement. Pire encore, et là on aura parfois du mal à le suivre, ils sont eux mêmes les principaux responsables de l’insécurité mondiale.

Responsables de l’insécurité

Ce dernier ouvrage traduit en français par Paul Chemla est, disons le clairement, difficile d’accès pour au moins deux raisons. Les chapitres au nombre de six sont longs et les notes indispensables pour la compréhension des arguments renvoyées en fin d’ouvrage. Toutefois, cet essai sur les tendances fortes de la politique étrangère des États-Unis mérite d’être découvert. Les éléments de preuve sur les manquements des Etats-Unis aux principes qu’ils sont sensés promouvoir sont multiples. Tout au plus, on pourrait aussi se demander si, sans la présence des États-Unis en tant qu’hyper puissance, et en l’absence de contre poids multilatéral crédible le monde serait plus sûr ? La réponse ne pourra pas être tranchée, et même pas par l’auteur qui apporte certes une série d’arguments qui remettent en cause la conception que son pays a eu des relations internationales sous l’angle de l’unilatéralisme mais qui ne fait pas vraiment de propositions. A sa décharge, on pourrait de toute façon objecter que personne d’autre n’est en mesure d’en faire.

En réalité, dans cet essai comme dans ses autres ouvrages, sur le même thème, et ils sont nombreux, Noam Chomsky démontre la contradiction qui existe entre la promotion de la démocratie, objectif affirmé de l’administration étasunienne et la défense des intérêts économiques des entreprises et groupes proches de cette même administration. On pense par exemple au groupe Halliburton et à ses liens avec la vice présidence de Bush et aux profits retirés par l’intervention en Irak.

Quelle démocratie ?

De la même façon, on peut se demander comment les groupes liés aux Etats-Unis qui se sont fait en Europe de l’Est et en Asie centrale les promoteurs de ces révolutions colorées, ont pu se développer ? Mais cela rend-il pour autant la promotion de la démocratie suspecte et même négative ? Après tout, la chute de gouvernements aussi peu fréquentables que les gouvernements serbe, géorgien ukrainien, kirghize aient été renversés n’est pas vraiment considéré comme une catastrophe. Mais alors, on pourrait, comme le disait Bernard Kouchner, bien avant d’accepter un portefeuille d’ouverture dans le gouvernement de François Fillon sous la houlette de Nicolas Sarkozy, considérer que la chute de Saddam Hussein était une bonne chose en soi… Ce que l’actualité dément quotidiennement.

Il n’y a rien de simple ni de tranché dans les arguments que l’on pourra trouver dans cet ouvrage. Certes, le réquisitoire contre la politique de l’administration Bush est impitoyable mais en même temps, il permet de comprendre, par le décryptage des éléments du discours qui le fonde, pourquoi cette administration a été reconduite en 2004 avec plus de soutiens que quatre ans auparavant. Les faits sont têtus… On aurait tendance d’ailleurs à reprocher à Chomsky de voir derrière ces évolutions de la société américaine les ressorts d’un complot. Il s’en approche parfois lorsqu’il parle des médias, de la façon dont les groupes religieux de la droite américaine se sont appropriés les leviers qui mobilisent l’opinion. Mais cela suffit-il pour autant ?

Si l’on transposait les réflexions de Noam Chomsky à la France, que ne pourrait-on dire ? Après tout, la mise en route d’une machine pour prendre le pouvoir, le contrôle indirect exercé sur les médias, le ralliement à la personne du Président actuel de nombreux intellectuels, la promotion d’une success story directement empruntée au modèle du clan Kennedy, tout cela incite à réfléchir. C’est l’intérêt de cet ouvrage. Après tout, il est peut-être difficile de contester cette affirmation contenue dans la postface : « Les Etats-Unis comme les autres puissances servent les intérêts des secteurs dominants de leur population tout en se réclamant des valeurs les plus hautes ». La promotion des valeurs démocratiques en prend alors un sacré coup. Toutefois, c’est dans les régimes démocratiques que les critiques sur le détournement de ces valeurs par leurs promoteurs eux-mêmes produit des effets. Pour que ces valeurs puissent être diffusées pour le bien de tous…

© Clionautes – Bruno Modica