Alors que le Haut conseil de l’éducation vient de publier son rapport, particulièrement critique sur les résultats de l’école primaire, l’ouvrage de Joël Bodin intitulé « Révolution scolaire » vient dresser un bilan particulièrement sombre du système scolaire, de la maternelle aux classes de terminales. La critique de l’auteur épargne les grandes écoles et les universités et ses descriptions sont concentrées au secondaire, principalement les lycées. L’auteur a passé l’essentiel de son activité autour du système éducatif qu’il connait bien. Il a été enseignant et chef d’établissement avant d’embrasser une carrière d’expert dans les domaines de l’éducation.
Certes le constat de Joël Bodin est difficilement contestable. Les effets pervers et cumulés de la crise économique, de la persistance d’un taux de chômage élevé, les évolutions sociétales autour des familles ont des effets négatifs sur le fonctionnement du système scolaire. Il apparaît à l’évidence comme une machine à exclure et certainement plus comme cet élément de l’ascenseur social qui permettait la promotion des élèves issus des catégories les plus modestes. Dans les deux premières parties de l’ouvrage, tableaux noirs et verrous et tabous, l’auteur évoque à plusieurs reprises les effets néfastes de la cogestion du système éducatifs par l’administration centrale et les syndicats. Au passage, ces syndicats qualifiés de proches de l’ultra gauche sont à la fois très puissants et en même temps victimes d’une désaffection que ceux qui sont présents effectivement dans les établissements peuvent aisément constater. Comprenne qui pourra !
Statut remis en cause ?
Les effets sont faciles d’ailleurs à propos de l’entassement des réformes qui ne sont que très partiellement appliquées mais au bout du compte, on se demande finalement si cela fait vraiment avancer les choses. De ce point de vue, la réflexion de l’auteur sur l’isolement de l’enseignant, dans sa classe, un praticien libéral selon lui, qui n’est même pas tenu à l’obligation de résultat, n’est pas dénuée d’intérêt. Au-delà du constat des différents échecs du système qui n’est pas spécialement original dans cet ouvrage c’est sans doute sur les enseignants que porte l’essentiel des projets de réforme préconisés par l’auteur. Il n’hésite pas à remettre en cause les concours de recrutement et même le statut de fonctionnaires. Ici aussi les références aux modèles étrangers ne sont pas ici aussi très originales. Les recrutements pas les chefs d’établissements et les collectivités territoriales sont en effet pratiqués dans la plupart des pays développés. Sauf que ces derniers ne sont pas satisfaits forcément de la qualité de leur système éducatif et qu’à ce niveau les comparaisons sont difficiles à faire. La Finlande citée comme le modèle est un petit pays, avec une population homogène et les mesures mises en place sur ce territoires seraient difficilement transposables dans l’hexagone.
Une révolution ? pas vraiment
L’auteur ne s’y risque d’ailleurs pas et, choisit de mettre l’accent, dans la troisième partie sur les statuts des personnels et l’autonomie des établissements. Ici aussi rien de bien original. Sans afficher clairement la couleur, Joël Bodin inscrit ses propositions dans le courant libéral de l’opinion. Lors d’un entretien diffusé par le webpedagogique il parle des mesures de Nicolas Sarkozy comme allant dans le bon sens mais trop lentement. On retrouve d’ailleurs dans cet ouvrage la vieille division entre les courants de pensée. La gauche qui préconise le « toujours plus » de moyens et la droite qui entend laisser aux familles et aux établissements plus d’autonomie, dans le cadre d’une décentralisation voulue par la gauche en 1982 mais que nul ne conteste plus vraiment.
Le propos de ce compte rendu de lecture n’est évidemment pas de diaboliser l’auteur ni même les propositions des différents courants d’opinion, simplement de pointer quelques suggestions qui méritent d’être étudiées. La création effective de bassins de formation dans un cadre régional, ce qui ferait échapper les collèges aux conseils généraux n’est pas dénuée de pertinence. Cette division est sans doute cartésienne sur le papier mais dans la pratique n’apporte rien d’autre qu’une multiplication des services et des dépenses afférentes. De la même façon, on pourrait adhérer à la régionalisation des services associés à l’école, comme la restauration ou la maintenance. Ses propositions dans le sens d’un recrutement régional seraient par contre plus discutées. Il écarte les risques de constitutions de féodalités locales d’un revers de main, en disant que ces effets pervers sont le prix de la liberté, mais cela peut apparaitre insuffisant, tout comme la prééminence donnée au chef d’établissement lourde de dangers aux yeux de beaucoup d’enseignants.
Des réformes de structures ?
Faut-il pour autant se satisfaire du système actuel, lourd, centralisé à l’extrême, pléthorique dans ses effectifs et favorisant l’irresponsabilité que la gauche défend becs et ongles ? Pour autant le laisser faire en matière d’éducation est-il compatible avec les objectifs affirmés d’égalité des chances qui font consensus ?
Les réponses ne sont pas faciles à trouver et, malgré le titre de l’ouvrage, l’auteur ne propose pas de révolution scolaire, tout au plus des aménagements qu’il considère comme profitables à tous à commencer par les enseignants eux-mêmes dont il veut multiplier les heures de présence…
Dans cet ouvrage également la question des TICE est évoquée, peut-être un peu trop rapidement. Ces dernières permettent pourtant, sans que les temps de présence que l’on va différencier du temps de travail des enseignants selon l’auteur, ne soient augmenté. Une piste à creuser. On pourrait envisager les regroupements de classes, les séances en grands groupes associées à des travaux menées avec des effectifs réduits. Mais cela supposera forcément une réorganisation des rythmes scolaires, des vacances, des emplois du temps, des formations également. Bref, l’ouvrage ouvre des pistes à partir d’une critique documentée, mais elles ne sont pas forcément nouvelles. Cela n’est pas pour autant un défaut. Après tout, des mesures de bonne gouvernance pourraient peut-être s’appliquer sans que l’on soit pour autant un chantre du libéralisme en matière éducative, ce dont l’auteur se défend, ni un ringard concevant l’entreprise et les liens de l’école avec l’économie comme le mal absolu.