Cet ouvrage se concentre sur les femmes de Louis XVIII, mais attention il ne s’agit pas des femmes exclusivement au sens concubines, mais toutes les femmes qui l’ont entourée. Nous avons donc sa mère Marie-Josèphe de Saxe, ses sœurs Mesdames Clotilde et Élisabeth, sa nièce Marie-Thérèse Charlotte de France, son épouse Marie-Joséphine Louise de Savoie et sa belle-sœur Marie-Antoinette ; il y a également ses favorites la comtesse de Balbi et la comtesse du Cayla.
Ces femmes ont toutes un rôle, notamment politique. C’est ainsi que Louis XVIII, souvent décrit comme calculateur, a parfaitement compris comment il fallait « s’en servir » pour arriver à ses fins.
L’auteur
Matthieu Mensch est docteur en histoire, diplômé de l’université de Strasbourg et de l’université de Naples – Frédéric II. Il est également chercheur associé au sein du laboratoire ARCHE (Arts, civilisations et histoire de l’Europe) de l’université de Strasbourg.
L’ouvrage
Cet ouvrage est remarquablement écrit et extrêmement documenté. Vous retrouverez à la fin toutes les sources sur lesquelles s’est appuyé l’auteur, avec précisément les cotes que l’on peut d’ailleurs retrouver aux archives nationales ou aux archives départementales (à voir au cas par cas). De manière très rigoureuse, toutes ces sources sont classées par catégories : sources manuscrites, sources iconographiques, imprimées, journaux, mémoires et souvenirs, pamphlets, textes contemporains. Elles sont suivies par la bibliographie et l’index richement garnis également.
Il est dommage de ne pas trouver une seule image dans cet ouvrage de 352 pages alors que l’on parle d’iconographies ou encore de portraits et bustes. Il aurait été intéressant d’en ajouter même s’il on peut toujours faire des recherches.
L’ouvrage commence par une longue introduction suivie d’un prologue ayant étonnement pour titre « Marie-Antoinette une si encombrante belle-sœur ». A la lecture, nous comprenons que sa belle-sœur est une femme au caractère fort qui fut autant aimée que détestée par Louis-Stanislas. Il est connu qu’ayant repoussée ses avances, elle subit la rage de son beau-frère qui n’hésita pas à lancer des pamphlets qui contribuèrent à l’augmentation du mécontentement envers la reine de France. Nous pouvons dire qu’elle représentante à elle seule toutes les femmes qui ont subit les ambitions de cet homme lorsqu’elle était vivante mais aussi une fois morte. Il s’appuie sur la nostalgie de la monarchie pour réhabiliter son frère Louis XVI mais surtout la reine Marie-Antoinette afin de légitimer son pouvoir lors de la chute de Napoléon. Il fit faire des recherches pour retrouver leurs dépouilles et fit construire la Sainte-Chapelle à Paris à leur mémoire. Il fit également ériger leurs statues dans ce lieu mais aussi dans la basilique St-Denis. Etait-ce vraiment sincère ou uniquement calculé pour asseoir ses propres ambitions ? Au regard de leurs relations de leur vivant, ils semblent que Louis XVIII fut un grand calculateur et hypocrite afin d’obtenir le pouvoir en ayant la légitimité des partisans des Bourbons. Cependant, je vous laisse découvrir la réponse de l’auteur dans la conclusion de l’ouvrage…
A l’image d’un jeu de 7 familles, les chapitres sont composés de la manière suivante :
La mère, Marie-Josèphe de Saxe, le modèle
La mère de trois souverains fut « un modèle de souffrance et de résignation presque divine » d’après une biographie de la dauphine éditée en 1817 au début du règne de Louis XVIII. Il utilisa sa mère pour inscrire sa dynastie dans une forme de continuité d’un passé glorieux mais surtout avec une filiation vertueuse de par sa mère jugée irréprochable dans un monde où la Cour était avide de plaisirs et de commérages.
L’auteur revient sur le choix des secondes noces du dauphin, alors jeune veuf, à qui on ne laisse pas le temps du deuil pour trouver la candidate idéale le plus rapidement possible. Cette jeune femme de venu de Saxe fut la nouvelle dauphine de France en 1747. Son époux eut du mal à se montrer sympathique envers elle, tant il regrettait sa première épouse qu’il adorait. Mais elle fit preuve de patience et de compassion. Avec le temps, leur union fut fertile : après plusieurs fausses couches, ils eurent huit enfants : Marie-Zéphyrine née en 1750, le duc de Bourgogne né en 1751, le duc d’Aquitaine né en 1753, le duc de Berry (futur Louis XVI) né en 1754, le comte de Provence (futur Louis XVIII) né en 1755, le comte d’Artois (futur Charles X) né en 1757, Clotilde (future reine de Sardaigne) née en 1759 et Elisabeth née en 1764.
Lorsqu’elle meurt de la tuberculose en 1767, le comte de Provence n’a que douze ans.
Les sœurs. Madame Clotilde et Madame Élisabeth, les saintes princesses
Après la naissance des premiers garçons du couple delphinal, deux filles naissent. La première est Clotilde, née en 1759. Elle a grandi avec son frère Louis Stanislas jusqu’à ses 7 ans, âge auquel les garçons quittent leur gouvernante. Ils étaient très proches. Cette femme fut la seule des filles à être mariée. A l’âge de 15 ans elle épousa Charles-Emmanuel de Savoie, fils aîné du roi de Sardaigne. Malheureusement le couple n’eut pas d’enfants malgré une union solide. L’auteur souligne bien que, comme ses frères, Madame Clotilde soufra d’obésité durant sa jeunesse. Ce fut un sujet sensible concernant la fertilité du couple ; elle perdit donc beaucoup de poids et subit différents régimes alimentaires mais tout ceci causa une mauvaise santé. A 30 ans, elle n’avait déjà plus de dents ! Elle fut touchée par la Révolution française car les troupes françaises dirigées par le général Bonaparte envahirent le comté de Nice et le duché de Savoie. Le comte de Provence prit de ses nouvelles régulièrement durant les troubles révolutionnaires de son royaume et sembla sincèrement bouleversé. Elle trouva refuge dans différentes cités, dont Cagliari en Sardaigne, mais termina son périple à Naples où elle mourut du typhus en 1802. Elle fut terriblement affligée par la mort de sa chère soeur, guillotinée en 1794, l’ultime coup fatal de son existence après les morts successives de son frère Louis XVI et de sa belle-soeur la reine Marie-Antoinette.
Madame Elisabeth est le dernier enfant à naître du couple delphinal (un an avant la mort de son père). Elle est née en 1764 et mourut en 1794, guillotinée à Paris. Elle resta auprès de son frère Louis XVI et sa belle-soeur Marie-Antoinette jusqu’au départ de la reine à la Conciergerie. Elle resta auprès de sa nièce Madame Royale dans la Prison du Temple.
A la différence de sa soeur, elle côtoya moins son frère Louis-Stanislas en raison de leur écart d’âge. Ils commencèrent surtout à se fréquenter dans les années 1780, lorsqu’elle est associée à la vie de cour. C’est à ce moment que son frère se fait éducateur, il aime discuter avec elle et à superviser certaines de ses leçons. Des projets de mariages eurent lieu : avec le frère de la reine, Joseph II et l’infant Joseph, fils de la reine Marie Ire de Portugal afin de contrer l’influence anglaise dans ce royaume. Mais elle reste célibataire, n’ayant ni de souverains célibataires ni de prince appelé à régner correspondant à son statut de Fille de France.
Son frère Louis XVI lui offre en 1781 le domaine de Montreuil, cependant elle ne pouvait pas y rester la nuit avant sa majorité fixée à 25 ans. Elle y développe une ferme et distribue le lait ainsi que des légumes de sa production aux habitants alentour.
Lorsque la Révolution éclate, elle reste fidèle à ses convictions et ses valeurs et reste aux côtés du roi et de la reine. Elle correspond régulièrement, y compris aux Tuileries, avec sa soeur Clotilde, qui a accueilli son frère le comte d’Artois (futur Charles X) ainsi que son épouse et sa maîtresse qui bouscule la cour de Sardaigne austère. Elle correspond également avec ses frères avec lesquels elle démontre une force de caractère admiré par ces derniers. Elle se fâcha avec le roi qu’elle trouvait laxiste et « malade » en raison de ses concessions mais continua d’être fidèle. Elle chercha à trouver son salut et celui de la monarchie auprès des nobles en exil. Elle s’enfuit avec le couple royal et leurs deux enfants, et comme eux, elle fut arrêtée à Varennes-en-Argonne le 21 juin 1791. Un an plus tard, le palais des Tuileries est envahi et les émeutiers parviennent jusqu’aux appartements du roi où elle se trouve ; elle est confondue avec la reine et est sauvagement insultée. Elle resta digne et courageuse. Après la prise du palais le 10 août 1792, elle fut enfermée au Temple et on l’a décrite « amaigrie et modestement vêtue ». Elle n’est alors plus que l’ombre d’elle-même. Elle fut la seule à rester avec sa nièce quand Marie-Antoinette fut enfermée à la Conciergerie puis guillotinée. A son tour, le 10 mai 1794, elle est conduite devant le tribunal révolutionnaire et dans un simulacre de procès, condamnée à l’échafaud le jour même. L’auteur résume ainsi la fin de sa vie en quelques mots : ultime étape de son calvaire, elle est décapitée la dernière (24 personnes). Le comte de Provence témoigna de « sa juste et profonde douleur » face à la « cruelle et irréparable perte » de sa soeur. Contrairement à la perte de sa soeur, il ne versa pas de larme à l’annonce de la mort du roi et de la reine, tout comme à celle de son neveu Louis XVII. Enfin, pour lui, le jour tant attendu était arrivé : il était roi (en exil) et chef de la maison des Bourbons.
Ses soeurs mortes, il décida d’en faire des martyres pour appuyer sa politique de restauration de la monarchie.
L’épouse. Marie-Joséphine de Savoie, une anti-Marie-Antoinette ?
Ayant peu d’écrits sur sa femme, ce chapitre a été particulièrement intéressant à lire. Nous y apprenons beaucoup de choses sur sa triste vie et sa personnalité qui évolua assez négativement vers la fin de sa vie.
Cette jeune femme venue de la Cour de Turin fut jetée dans la fosse aux lions qu’est la Cour de Versailles. Elle fut allègrement critiquée sur son physique peu avantageux mais elle sut se relever avec grâce en montrant sa vivacité d’esprit. Cependant, elle fut une anti-Marie-Antoinette dans le sens où Madame était plus réservée et discrète que sa belle-soeur, moins dépensière et moins extravertie. Par son alliance matrimoniale avec le frère du roi, elle fut scrutée quant à une possible grossesse d’autant que Marie-Antoinette n’avait toujours pas enfanté durant les 7 premières années de son mariage. Pour ces deux femmes, la pression était importante pour donner un héritier à la couronne. Louis-Stanislas était destiné au trône si son frère mourrait sans héritier, il maniganca souvent contre le couple royal et n’hésita pas à colporter des pamphlets pour raviver le feu des moqueries alors que lui-même n’avait, dit-on, toujours pas effectué sa nuit de noces. De nombreux doutent planent sur ce couple resté stérile : est-ce que Louis-Stanislas accomplissait son devoir d’époux ? Avait-il une malformation qui l’en empêchait comme ce fut le cas pour son frère le roi ? Est-ce que la princesse eut des fausses couches ?
Le temps passa et le couple n’eut aucun descendant ; il fit de sa nièce son héritière après la Révolution.
Il est important de souligner que des doutes planent également sur la sexualité de Marie-Joséphine de Savoie. Elle serait tombée follement amoureuse de sa lectrice, Mme de Goubillon, qui aurait usé et abusé de ce rôle en lui faisant du chantage affectif et en lui soutirant des sommes d’argent jusqu’à la fin de sa vie. Son entourage la soupçonnèrent d’avoir plongé la princesse dans l’alcoolisme et insistèrent pour l’éloigner de Madame. A plusieurs reprises, également durant l’exil lors de la Révolution, cette femme fut interdite de séjourner auprès de la princesse, qui rusa tant bien que mal pour la faire accepter. Je vous laisse découvrir les différentes péripéties à la lecture de l’ouvrage.
Ayant été une reine sans territoire et sans couronne, elle reçut cependant des hommages à sa mort en qualité de reine de France et eut droit à des funérailles royales à Londres (en contrepartie d’une somme astronomique que régla Louis XVIII). Le roi fut proche de sa femme les derniers jours de son existence et il se montra particulièrement sensible à sa disparition. Mais stratégiquement encore, il s’appuya sur son sort afin de montrer aux monarchies européennes que la dynastie des Bourbons était toujours présente et respectée en tant qu’héritiers légitimes de la couronne de France une fois la Révolution terminée et les Bonaparte renversés.
La favorite. Anne Nompar de Caumont-La Force, comtesse de Balbi
Cette jeune femme entra à la cour de Versailles en étant au service de la comtesse de Provence, elle fut sa dame d’atours. Elle souhaita gravir les échelons et se rapprocha du couple princier, en particulier du prince. Cependant il s’avère qu’elle n’était pas une favorite « traditionnelle », le comte de Provence a été attiré par son intelligence et son aisance ; là encore il n’y aurait pas eu de relation charnelle avec Anne Nompar. D’après le médecin légiste qui réalisa l’autopsie de Louis XVIII, révéla plusieurs années après que le souverain était atteint d’un phimosis naturel et qu’il avait certainement eu très peu d’actes sexuels dans sa vie.
Louis XVIII chercha donc avant tout une compagnie féminine pour stimuler son intellect.
La nièce. Marie-Thérèse Charlotte de France, l’impérieuse presque reine
Louis XVIII, sans descendance (union stérile avec son épouse et sans bâtard avec ses maîtresses), porta tous ses espoirs dans l’orpheline du Temple en en faisant une martyre. Sans que cette dernière soit au courant des pourparlers, Louis XVIII organisa son union avec son cousin (fils du futur Charles X) le duc d’Angoulême. La relation entre la nièce et l’oncle ne sont pas pour autant au beau fixe : il semblerait que la princesse n’oublie pas le tort que son oncle a causé à ses parents. Ils se supportent plus qu’ils s’affectionnent. Madame Royale est considérée comme une « presque reine » car son oncle veut lui donner une image royale réservée en principe à la reine ou à la dauphine. Il apparaît partout en sa compagnie lors des représentations d’habitude réservées à la reine. Elle a donc un statut plus élevé que son époux. Cependant, il n’arrive pas à corriger chez l’Orpheline son caractère acerbe, sa tristesse et son conservatisme prononcé pour la monarchie telle que ses parents l’ont connue ; contrairement à Louis XVIII qui partage des idées libérales avec le duc d’Angoulême. Cependant, l’auteur précise qu’il avait bien compris qu’il était important d’avoir une femme en politique auprès de lui, sans qu’elle ne soit un accessoire. Elle fut un pouvoir d’influence politique et assura au roi une forme d’équilibre.
La dernière compagne. Zoé Victoire Talon, comtesse du Cayla
Cette femme issue de la noblesse d’Ancien Régime fut l’amie et compagne d’un roi devenu infirme à cause de son obésité et de la goute. L’auteur revient sur sa jeunesse et comment elle sollicita directement l’écoute du roi pour qu’elle puisse se séparer (le divorce étant interdit) d’un mari violent. Il n’y a aucune preuve de relation charnelle, peut-être que cette relation fut plus intellectuelle et spirituelle que sexuelle. Les rumeurs quant à des jeux érotiques circulent, laissant alors penser que pour la société, il est impossible d’établir pour un souverain une relation avec une femme autrement que d’un prisme sexué. Il l’appelle d’ailleurs « sa troisième fille » et suscite la crainte dans le camp des Bourbons quant à l’influence que Mme du Cayla aurait sur le souverain. Mais ce dernier garde tout son jugement malgré la vieillesse. Mais après la mort du duc de Berry dont Decazes est accusé d’être responsable par les « ultras », il réclame de Zoé des relations intimes quotidiennes. Ce qui lui confère le rôle de favorite au public est le cadeau que lui fait le roi : le château de Saint-Ouen ; mais aussi des bijoux et objets précieux. Beaucoup lui écrivent afin qu’elle interfère auprès du souverain, cependant elle n’aime pas se mêler des affaires politiques et ne répond pas à la plupart des demandes bien qu’elle essaya d’obtenir certaines faveurs royales pour ses proches.