Le collège du Tréport porte le nom de Rachel Salmona, une petite fille de 9 ans déportée par le convoi no 37 et exterminée avec sa mère, sa sœur et sa grand-mère en février 1943, son père ayant été arrêté en 1941et déporté en 1942.
Bernard Charon montre avec rigueur comment la politique allemande, la législation antisémite et la collaboration des autorités de Vichy ont conduit au fichage, à la marginalisation économique et sociale et à la déportation et à l’extermination d’une partie des Juifs de France. Il replace la persécution dont a été victime la famille Salmona dans le contexte plus vaste de l’histoire de l’antisémitisme et de la politique antisémite de l’Allemagne nazie et de Vichy. Bernard Charon, ancien directeur d’école a milité au sein du mouvement Freinet. Il a consacré plusieurs ouvrages à l’histoire de la Seine-Maritime, en particulier durant la Seconde guerre mondiale. Il joue un rôle actif dans l’Association Caux-Val -de Seine. L’ouvrage est édité par les éditions du Scorpion brun qui publie des ouvrages sur l’histoire de la Normandie sur l’éducation ou la lutte contre les inégalités.

Joseph Mitrani est né en 1869 à Constantinople. Il épouse Colo Leon. Ce sont les descendants des Juifs espagnols expulsés d’Espagne en 1492 qui parlent parfois le judéo-espagnol ou ladino. Le couple a quatre enfants, parmi lesquels Victoria, la mère de Rachel. La famille s’installe en France en 1919. En 1930, Victoria, née en 1904, épouse Vitali Salmona qui est ferblantier, puis tient un magasin de confection. Les difficultés économiques des années 1930 conduisent le couple à s’installer au Tréport dans le département de la Seine-Inférieure (l’ancien nom de la Seine-Maritime). Ils ont trois enfants, dont l’un meurt dans les années 1930. Rachel naît le 5 novembre 1933. Sa sœur Colette naît en 1940. Joseph Mitrani meurt en 1939 et sa veuve s’installe chez sa fille et son gendre.
Les ordonnances allemandes et la législation antisémite de Vichy frappent durement la famille Salmona, comme les Juifs de la zone occupée. Le 27 septembre 1940 une ordonnance du commandement militaire allemand oblige les Juifs de la zone occupée à se déclarer. Ils sont inscrits sur un registre spécial. Persuadé qu’il mettra sa famille en sécurité, Vitali Salmona déclare tous les membres de sa famille au commissariat du Tréport le 26 octobre 1940.

Le 18 octobre 1940, une ordonnance définit ce qu’est une « entreprise juive » et le 6 décembre1940 une autre ordonnance impose la nomination d’administrateurs pour les commerces de détail juifs. Les « entreprises juives » doivent apposer sur leur devanture une marque bilingue. La législation antisémite de Vichy contribue au processus d’identification et d’exclusion. Le premier statut des Juifs d’octobre 1940 définit les juifs comme « toute personne issue de trois grands- parents de race juive ou de deux grands parents de la même race si son conjoint lui-même est juif ». Les juifs sont exclus de nombreux emplois de la fonction publique. C’est surtout le second statut des Juifs du 2 juin 1941 qui aggrave la situation de la famille Salmona. La religion et non plus seulement la « race » des grands-parents devient un critère d’appartenance à la « race juive ». Les Juifs ne peuvent plus exercer de profession libérale, commerciale industrielle ou artisanale. Ceux qui contreviendraient à la loi pourront être internés dans un camp d’internement ou emprisonnés. La législation française donne une apparence juridique légale aux mesures d’exclusion. Comme l’écrit Denis Peschanski « la légitimation juridique double la légitimité étatique ». De plus, comme on le sait l’objectif de Vichy est de contrôler le processus d’aryanisation des entreprises. Quelques semaines plus tôt, le 29 mars 1941, la création du Commissariat général aux questions juives avait pour objectif pour le gouvernement de Vichy de faire passer sous son contrôle l’aryanisation des biens juifs. Le CGQJ accroît le processus d’exclusion mis en place par les Allemands. Le second statut trouve son prolongement dans la loi du 22 juillet 1941qui étend aux deux zones le processus d’aryanisation économique. Vichy cherche à contrôler le processus d’aryanisation en cherchant à confier l’administration des entreprises à des administrateurs français.

Ces mesures touchent directement la famille Salmona. Le 7 août 1941 la Banque de France bloque les comptes des époux Salmona. Ils sont sans ressources. Victoria Salmona fait de la couture pour les voisins et Vitali tente de vendre des vêtements de sa confection. De plus, à la suite d’une demande des Allemands, Vichy crée, par la loi du 29 novembre 1941, l’Union générale des Israélites de France (UGIF). Tous les juifs de France sont tenus d’y adhérer, les autres associations ayant été dissoutes. L’UGIF devait selon Vichy « représenter les Juifs auprès des pouvoirs publics » et assurer des missions d’assistance (aide sociale, maisons d’enfants).
Comme on le sait, le rôle de l’UGIF est discuté, certains l’accusant d’être une association dirigée par des notables, d’avoir limité la résistance juive, et d’avoir fait des certaines maisons d’enfants des lieux facilitant l’arrestation, d’autres soulignant son rôle dans l’assistance et le
secours aux enfantsPour une intelligente synthèse on peut se référer à l’article de Michel Laffitte, cité par Bernard Charon Revue d’histoire de la Shoah 2006/2 n°185 pp. 45 à 64, disponible sur Cairn Info. Quoi qu’il en soit, une antenne de l’ UGIF est créée à Rouen au début de1942, malgré les réticences de nombreuses personnes pressenties. Au début de 1943, l’UGIF-Rouen est dissoute et ses dirigeants sont arrêtés. Il en est de même à l’échelle nationale où les dirigeants de l’UGOF et leurs familles sont arrêtés et exterminés.
En août 1941, Vitali Salmona se rend à Paris et il est arrêté lors de la rafle du 20 août 1941. Elle est menée à l’instigation du service des affaires juives de la Gestapo et menée par la police municipale contrôlée par les militaires allemands. 4232 Juifs, parmi lesquels 27 Turcs sont arrêtés et internés à Drancy. Vitali Salmona est déporté par le convoi N° 3 du 22 juin 1942. Tous les hommes sont sélectionnés pour les travaux forcés et Vitali Salmona meurt le 15 août 1942 à l’âge de 37ans.
Victoria Salmona et sa famille sont alors dans une situation critique. Il lui est interdit d’exercer une profession salariée. Elle écrit au Préfet pour demander une allocation qui lui est refusée, bien qu’elle reçoive l’appui du maire du Tréport. En juin1942, lorsque le port de l’étoile jaune est instauré, Rachel Salmona se rend au commissariat pour obtenir les étoiles jaunes. Dans le même temps, le 9 juin, elle fait baptiser ses enfants.
Le 2 janvier 1943, à Rouen, un officier de la Feldkommandantur est tué par un coup de feu. Le commandement militaire de Rouen décide de fusiller des otages. De plus, Rhötke, le chef de la section antijuive de Paris décide de « liquider le département de la Seine-Inférieure de ses juifs ». Les autorités allemandes peuvent compter sur le soutien du préfet AndréParmentier favorable à la Collaboration (son prédécesseur était réticent à utiliser la police pour arrêter des juifs) et de son chef de cabinet, Jean Spach, qui déploie beaucoup d’activité dans la mise en œuvre des mesures antisémites. C’est lui qui rédige les instructions concernant les arrestations. La police et la gendarmerie sont chargées de procéder aux arrestations. Les autorités peuvent s’appuyer sur certains policiers favorables à la Collaboration (l’un d’eux fut fusillé à la Libération). Les employés du bureau des affaires juives sont enfermés dans leur bureau pour qu’ils ne parlent pas. Les consignes d’arrestation concernent la quasi-totalité de la population juive.  Tous les juifs doivent être appréhendés : vieillards, femmes, enfants, même en bas âge. Seuls ceux qui sont intransportables et produisant un certificat médical sont exempts. Deux enfants cachés par des voisins échappent à la rafle, mais 146 personnes dont 31 enfants sont arrêtés dans le Grand–Rouen. Seuls deux déportés survécurent.

Au Tréport, le 16 janvier 1943 au matin, Rachel Salmona est arrêtée en pleine classe. Sa grand-mère, sa mère et sa sœur sont également arrêtées par les gendarmes. Le maire du Tréport, Léopold Testu, proteste contre cette arrestation : « la famille Salmona étant d’origine et de nationalité turque et les deux enfants français et baptisés
catholiques, j’avais lieu de penser que les mesures d’exception prises contre les Juifs leur auraient été évitées. Cette arrestation a produit une vive émotion dans la population tréportaise ». Les Juifs arrêtés sont transférés à Drancy. La famille Salmona est déportée par le convoi n° 37, le 11 février 1943. Le convoi compte 1000 déportés, dont 175 enfants. La grand-mère de Rachel meurt sans doute pendant le transport. Rachel, sa mère et sa sœur sont gazées immédiatement.