Comment bâtir une enquête journalistique et historique honnête, sous forme de roman graphique, lorsque l’on s’attelle à réaliser la biographie d’un monument de la politique contemporaine, celle de Pepe Mujica ? Quel point de vue adopter : être dans ou hors du propos, faire montre de ses questionnements au lecteur ou les induire dans la trame et les dialogues ? Doit-on accepter de laisser des blancs dans le puzzle du récit d’une vie ?
Toutes ces interrogations sont celles de Lorenzo et Léo Trinidad dans Les fleurs de la guérilla, superbe récit en images des « mille vies » de Pepe Mujica.
José Mujica Cordano, surnommé « Pepe Mujica », a été président de l’Uruguay entre 2010 et 2015.
Il est né en 1935 à Montevideo dans une famille pauvre. Sa mère Lucy l’élève seule. Elle l’initie à la culture des fleurs mais également à la politique via Enrique Erro, homme politique atypique et longtemps mentor de Mujica.
Favorable à l’action directe, Mujica organise un certain nombre de coup de force (notamment des hold-up) afin de reverser de l’argent aux ouvriers pauvres de la canne à sucre. Il intègre les Tupamaros, mouvement de guérilla d’Uruguay et est fait prisonnier par la dictature qui sévit alors dans son pays entre 1973 et 1985.
Réifié (il n’est plus appelé par ses bourreaux que « numéro 815 »), torturé, il sera enfermé dans un puits durant deux années (l’une des séquences dessinées les plus fortes de cet album) .
Si Mujica est devenu un véritable objet de fascination internationale durant sa mandature en tant que président (il avait, entre autres, refusé de résider dans le palais présidentiel), les deux auteurs ne cèdent jamais à la tentation de l’hagiographie même si le personnage au centre de leur œuvre a clairement un parcours de vie hors du commun.
Lorenzo et Léo Trinidad évoquent même le bilan de l’ action politique de Mujica, reconnaissant l’importance des lois progressistes qui ont été adoptées et la réussite du plan de réduction des inégalités qu’il a mené mais également l’existence de polémiques liées à son action.
L’album se conclue sur l’interview que l’ancien président a finalement accepté de donner aux deux auteurs.
Au cours de cet entretien, voici ce que Pepe Mujica déclare : « l’homme est un animal utopique car, partout et à toutes les époques, il finit par croire en un au-delà qu’il ne voit pas et dont il ne peut pas prouver l’existence, prêt à aller se faire tuer pour ça. C’est une constante dans toutes les cultures. C’est un besoin humain. Et quand tu vois ça, tu commences à comprendre certaines choses telles que les symboles, les drapeaux. C’est quoi un drapeau, à part un chiffon de merde ? C’est une chose qui n’a rien à voir avec la rationalité et qui a servi à rassembler les foules ! »
Les fleurs de la guérilla, tant par la teneur et l’intelligence du propos que par la qualité graphique des dessins, sont une authentique réussite.
Grégoire Masson