Évoquer le système de la Cour sous l’Ancien Régime fait immanquablement surgir les images du palais de Versailles, son décorum, ses splendeurs et ses rites. La société aulique de la monarchie absolue qui se déploie dans ce cadre est une machinerie complexe. Parmi les multiples rouages qui y sont mis en œuvre, la Compagnie des gardes de la Porte du roi est l’un des plus méconnus. Petit appendice de la Maison militaire du Roi, cette formation totalement délaissée par l’historiographie (au point que la dernière étude qui lui ait été spécifiquement dédiée date de… 1721 !) a été éclipsée par la notoriété d’autres unités plus prestigieuses et plus visibles (Mousquetaires, Gardes du corps, Gardes françaises, Gardes suisses, etc.). C’est dire l’épais manteau d’oubli dont l’exhume aujourd’hui Maxime Blin.
L’existence organisée des gardes de la Porte est pourtant attestée depuis le XIIIe siècle, ce qui en fait un des plus anciens dispositifs de l’entourage du roi. Ce sont l’organisation, le recrutement, le fonctionnement et la mission de cette composante du personnel curial que l’auteur, spécialiste de Versailles et de l’histoire de la cour, fait découvrir. Il en dresse le tableau sous les trois derniers règnes de l’Ancien Régime, de Louis XIV jusqu’à la suppression des gardes de la Porte pour raisons d’économie en 1787. D’apparence militaire, ses membres étant en uniforme et en armes, la compagnie assure en fait une mission de représentation qui associe sécurité et apparat. Son effectif est restreint, et l’organisation de leur service par quartier (c’est à dire un trimestre par an) limite la présence simultanée de ses hommes à une poignée d’individus. Élite à la fois militaire et sociale, les gardes de la Porte recrutent leurs membres par des mécanismes de nomination, de cooptation et d’hérédité qui s’inscrivent dans le cadre du système des charges. La rétribution modique attachée à l’emploi motive un absentéisme récurrent des gardes provinciaux. Mais la fonction est anoblissante pour qui ne l’est pas, et assortie de privilèges fiscaux et honorifiques. Maxime Blin scrute soigneusement les modalités d’admission, d’avancement, de durée et de sortie du service. L’étude uniformologique minutieuse des tenues chatoyantes des gardes de la Porte ouvre aussi des pistes de réflexion sur la grammaire visuelle des codes de la cour et de la Maison militaire du roi ainsi que, plus trivialement, sur l’économie de l’apparence liée au coût de l’équipement.
L’intérêt de ces éléments d’histoire sociale et institutionnelle de l’Ancien Régime est accru par la description du service assigné aux gardes de la Porte, dont la dimension protocolaire et symbolique au sein de la « mécanique de la cour » est supérieure à l’utilité effective. Ni véritablement militaire, ni fondamentalement sécuritaire, ni même domestique, le rôle de garde statique et d’escorte qui leur est dévolu s’inscrit au cœur des rites auliques. Héritée de leur fonction originelle de surveillance des accès des appartements ou des quartiers du Roi, leur principale mission courante au XVIIIe siècle est d’assurer la garde, en journée, de la grille royale qui sépare la cour d’honneur de la cour royale du château de Versailles. Ils assurent le contrôle d’accès et la police de cet espace intérieur, et rendent les honneurs à la famille royale et aux grands qui ont le privilège de pouvoir y accéder en carrosse ou en chaise à porteur. Le savoir professionnel le plus essentiel aux gardes de la Porte est donc une solide culture héraldique, compétence requise pour filtrer le passage de la grille et rendre à bon escient « les Honneurs du Louvre », selon la splendide métaphore de topographie symbolique qui désigne sous ce nom la cour intérieure de toute demeure royale.
Solidement complété par d’abondantes illustrations, un dossier d’annexes documentaires reproduisant des pièces d’archives et un dictionnaire prosopographique répertoriant 907 gardes, le travail de Maxime Blin est une très intéressante immersion dans un microcosme inexplicablement négligé, à la jonction entre l’histoire militaire et l’histoire curiale. La sociographie qui s’en dégage enrichit le tableau de la société d’Ancien Régime et de l’univers de la Cour de Versailles.
© Guillaume Lévêque