L’ouvrage que publie Olivier Poncet Mazarin. L’art de gouverner est le deuxième titre de la « Bibliothèque des Illustres », la nouvelle et déjà prestigieuse collection lancée en partenariat par Perrin et la BNF.

Professeur à l’École nationale des chartes, Olivier Poncet porte son enseignement sur toutes les manifestations de l’écrit documentaire dans les institutions et les sociétés de l’époque moderne, principalement en France.

Jules Mazarin (1602-1661), né dans les Abruzzes, fut éduqué dans la Rome pontificale. Il fait ensuite le choix, mûrement réfléchi et volontaire, de se mettre au service de la France dont il devient le principal ministre de la France de 1642 à 1661, après la mort de son mentor Richelieu (1585 – 1642) alors principal ministre de Louis XIII (1601 – 1643). Il s’agit par conséquent d’une période charnière puisqu’elle va déboucher juste avant le gouvernement personnel de Louis XIV (1638 – 1715).

Cardinal et principal ministre de la France de 1642 à 1661, Mazarin a accompagné l’avènement complexe d’un Etat qu’il a enrichi de son art du gouvernement en distinguant très amont des personnalités en devenir et exceptionnelles comme Colbert et Fouquet. Il incarna une modernité politique méconnue qui se déploie au service de son filleul Louis XIV, de la paix de Westphalie de 1648 au traité des Pyrénées en 1659, sans oublier la Fronde qui le prend pour cible durant cinq longues années. Mécène fastueux, devenu héros de roman sous la plume d’Alexandre Dumas laissa en mourant au futur Roi-Soleil un royaume agrandi, pacifié et propre à passer pour le premier de l’Europe.

Gouverner par gros temps

Après avoir passé le premier tiers de sa vie dans la Rome pontificale de la Réforme catholique, se dénoue alors en France une crise politique et sociale intérieure en germe bien avant son arrivée au pouvoir. La France comme l’Europe y trouvent l’aboutissement de conflits, de tensions, d’expériences politiques engagés depuis des décennies. La sortie de la Fronde, cette décennie gangrenée où l’Etat s’abîme dans des pactes mortifères avec des financiers toujours plus voraces, est aussi le moment où Mazarin construit patiemment mais sûrement les conditions de l’absolutisme pour le futur Louis XIV.

Il est intellectuellement armé pour comprendre les données territoriales, nationales et internationales de son temps. Il connaît la péninsule italienne dont il a parcourut le centre et le nord avant l’âge de trente ans. Il connaît aussi l’Espagne où il y a séjourné, cas unique sans doute dans l’histoire des grands hommes d’Etat de la France durant les deux siècles qu’aura duré l’affrontement avec les Habsbourg de Vienne et de Madrid. Plus surprenant encore, il connaît la plupart des provinces françaises de France : avant son décès en 1661, il y a peu de villes et de territoires qu’il n’aura pas traversés. En fait, l’acculturation européenne et française de cet italien lui a sans doute ouvert des horizons qui échappaient à certains de ses contemporains. Dans cette intense période où s’affrontent des groupes et des individus aux intérêts tantôt convergents, mais surtout contraires, la vie de cour semble parfois résumer les enjeux du gouvernement des hommes.

A sa table de travail

Qu’est-ce que gouverner ? Gouverner, de prime abord, pourrait paraître simple dans une monarchie où le principe unifiant du monarque réglerait tout. Pourtant, en période de guerre continentale ou en as de minorité du souverain, rien n’est simple surtout quand les deux se conjuguent comme Mazarin l’a éprouvé de 1643 à 1651. L’autorité de ceux qui gouvernent est défiée et minée par les rapports de force, les faiblesses des hommes, les revers de fortune, les défaites militaires, les mutations du corps social. Au quotidien, le gouvernement du royaume résulte de la combinaison entre l’action des instituons créées de façon ad hoc, dont certaines plongent dans la nuit des temps médiévaux (chancellerie, Parlement) et la part incontournable des procédures informelle.

Mazarin a incarné la figure moderne du favori, ministre de prédilection qui bénéficiait de liens personnels forts avec la famille royale, la mère et le fils. En Italie, le pape a son favori, son cardinal-neveu ; le roi d’Espagne son valido ; le roi d’Angleterre son duc de Buckingam. C’est donc ce choix librement consentit par le monarque et imposé par lui à son royaume qui a permis à un Italien de gouverner le royaume de France.

Depuis sa disparition, Mazarin est entré dans la légende noire, le cardinal du roman de cape et d’épée. Il est vrai qu’il a été entouré de figures remarquables qu’il a eus à son service, tel d’Artagnan. On lui a prêté tous les mots et tous les visages : comédien, voleur, parrain, amant, mécène, voleur…Tout cela est vrai mais à condition de bien replacer l’homme dans son temps et dans sa société. Certes, comme le précise Olivier Poncet, tout portrait à charge détient sa part de vérité. Prendre Mazarin au sérieux c’est le regarder travailler avec ses outils, ses hommes, ses rythmes et ses sources, particulièrement les manuscrits, les gravures, les médailles et les livres anciens conservés aujourd’hui au sein de son ancien palais, devenu le site Richelieu de la Bibliothèque nationale de France. Y reposent une partie de sa correspondance politique ainsi que ses carnets personnels, sans lesquels nul ne peut prétendre écrire l’histoire de sa vie.

Loin des exagérations de Dumas, ces documents renvoient l’image d’un cardinal bien différent et permettent d’évoquer en détail son quotidien au cœur du pouvoir. Sans jamais se lasser, Mazarin s’occupe des moindres affaires de l’Etat, qu’elles lui profitent directement ou indirectement, soit qu’elles importent à la grandeur du monarque qu’il sert.

Le voici comme jamais mis en lumière par la conjugaison d’un texte limpide et d’une iconographie rare. Un livre incontournable et d’une clarté remarquable.

Bertrand Lamon

Pour les Clionautes