1740, le Royaume-Uni vient de déclarer la guerre au roi d’Espagne. L’officier de la Royal Navy George Anson se voit confier la mission de se rendre dans le Pacifique en passant par le cap Horn pour harceler les possessions espagnoles du Chili et du Pérou. Pour mener à bien ce projet, il est placé à la tête d’une escadre de huit bâtiments, dont le navire amiral HMS Centurion, un vaisseau de ligne de 60 pièces. Il a pour objectifs de capturer ou couler tous les bateaux espagnols et si cela est possible de prendre par surprise des villes du littoral sud-américain. À 42 ans, et après 25 années de service dont 16 au grade de capitaine, le Commodore Anson voit dans cette aventure la dernière occasion de pouvoir être comparé aux corsaires Francis Drake et Thomas Cavendish. Cette opportunité peut lui permettre de réaliser un fait de gloire lui ouvrant ainsi les portes des hautes sphères de l’Amirauté. N’est-il pas celui que la Royal Navy surnomme Anson-la-chance, celui qui a la réputation d’avoir « the good luck on his side » ?

Même si tout paraît réussir à Anson, les préparatifs ne se déroulent pas comme prévu. Le recrutement de l’équipage prend trop de temps, les hommes disponibles se font trop rares, 200 matelots manquent encore pour que la flotte soit au complet. De plus, sur les 500 fantassins qui lui étaient promis, Anson ne peut compter que sur 98 soldats, les autres étant engagés dans le conflit face à l’Espagne. La situation tourne même à la mascarade lorsqu’il est décidé d’adjoindre à l’équipage 500 vétérans de Chelsea. D’ailleurs, sur ce nombre, seuls 259 de ces invalides arrivent à Portsmouth, les plus valides ayant déserté en chemin. L’escadre ne fait voile que le 18 septembre 1740 alors qu’Anson souhaitait dépasser le cap Horn dans les meilleures conditions à l’été austral. Enfin, s’ajoutant aux difficultés du voyage, le Commodore apprend que sa mission secrète est déjà connue des Espagnols qui ont envoyé une flotte commandée par don Pizzaro avec l’objectif de détruire l’escadre britannique. Le rêve du Commodore Anson de capturer le célèbre galion de Manille s’éloigne.

Le voyage du Commodore Anson édité aux éditions Futuropolis et paru en février 2021 est issu de la dernière collaboration entre Christian Perrissin et Matthieu Blanchin. Les auteurs qui avaient déjà travaillé ensemble en réalisant la biographie de Martha Jane Cannary (Calamity Jane) réalisent avec cet ouvrage un travail richement documenté d’une très grande qualité. C. Perrissin et M. Blanchin ont puisé leur inspiration au sein de deux sources directes : A Voyage Round the World in the Years 1740-1744, rédigé par Richard Walter, le chapelain du HMS Centurion et paru en 1748 et Log of the Centurion, le journal de bord du lieutenant Philip Saumarez l’un des officiers du Centurion. Les auteurs ont également cherché à mieux connaître le Commodore en lisant son unique biographie, The Life of Gorge Anson de Sir John Barrow, publié en 1839. Le résultat est saisissant, les auteurs proposant aux lecteurs une véritable immersion : nous suivons les péripéties de l’escadre en étant au plus près des hommes qui ont vécu cette aventure.
L’album est divisé en neuf chapitres qui débutent toujours par une carte, un résumé de ce qui s’est déroulé entre deux chapitres ainsi que deux citations, l’une tirée du Siècle de Louis XV de Voltaire et l’autre de La Nouvelle Héloïse de Rousseau, les deux philosophes ayant écrit au sujet du voyage d’Anson. Le trait donne du rythme au récit et les aquarelles sont magnifiques. Les pages sont ponctuées de gravures et de cartes extraites d’un exemplaire original du Voyage autour du monde de George Anson de Richard Walter, tout comme le planisphère détachable présent en toute fin d’ouvrage sur lequel est tracé la circumnavigation du Commodore. On trouve également un petit dossier qui nous permet de comprendre les conséquences de cette aventure mais aussi de savoir ce que sont devenus les personnages de cette histoire.

Au final, cet album ne s’adresse pas seulement à ceux qui aiment les récits de voyage ou les aventures maritimes, mais plus largement à tous ceux qui apprécient les bandes dessinées historiques. C. Perrissin et M. Blanchin nous dressent le portrait d’un homme honnête qu’ils rendent humain tout au long de l’histoire. Le seul défaut de cet ouvrage est d’être trop court malgré ses 272 pages.