France, Gauches, 1762-2012, Révolution française, radicalisme, socialisme, communisme, Parti radical, SFIO, PS, SFIC, PCF

Jacques Julliard : un intellectuel de gauche de 82 ans

Jacques Julliard, historien, ancien directeur délégué de la rédaction du Nouvel Observateur, éditorialiste à Marianne, est l’auteur de nombreux ouvrages de référence, sur le syndicalisme révolutionnaire et les cultures politiques. Pour la collection Café Voltaire, il a signé Le Malheur français et La Reine du monde, essai sur la démocratie d’opinion (Prix du livre politique 2008), deux ouvrages publiés en format de poche dans la collection Champs aux éditions Flammarion.

Ce livre est la première synthèse sur les gauches françaises, du XVIIIe siècle à nos jours, des philosophes des Lumières à François Hollande. Jacques Julliard montre ce que la gauche a retenu de chaque période historique : l’idée de progrès du XVIIIe siècle finissant, les droits de l’Homme de la Révolution française, le parlementarisme de la monarchie censitaire, le suffrage universel de 1848, la laïcité de la IIIe République, la civilisation du travail du Front populaire, la patience du pouvoir de François Mitterrand. Pour finir, il distingue quatre gauches : libérale, jacobine, collectiviste, libertaire.
Ceci est l’édition au format de poche de l’œuvre de Jacques Julliard, Les Gauches française, 1762-2012 : Histoire, politique et imaginaire, couronnée de plusieurs prix, parmi lesquels le prix Jean Zay, le prix de l’Œuvre politique de l’année 2012 et le grand prix Gobert 2013 de l’Académie française.
On trouvera ici la reproduction intégrale de l’édition originale (2012). Seuls en ont été extraits les portraits croisés des principaux hommes politiques, qui scandent le récit, et qui font l’objet dans le tome 2, d’une édition à part, augmentée de nouveaux portraits, ainsi que du texte intégral de l’anthologie parue conjointement, La Gauche par les textes, 1762¬-2012, par Jacques Julliard et Grégoire Franconie.
Les deux volumes de l’édition de poche ont paru donc sous le titre unique : Les Gauches françaises, 1762-2012 :
1— Histoire et politique
2— Figures et paroles.

Les Gauches françaises (1762-2012) : Tome 1 : Histoire et politique

Cet ouvrage de 908 pages comprend une introduction conséquente (p. 9-30), une page avec des remerciements (p. 31), 10 chapitres (distribués dans 3 parties d’inégales épaisseurs soit p. 33-812), une conclusion (p. 813-850), une sélection bibliographique copieuse mais composée des « livres incontournables » (p. 851-880), un index (p. 881-904) et une table des matières (p. 904-907). Un fait à noter, cependant : en effet, nous constatons qu’il existe un certain nombre de notes infrapaginales dans le corps du texte, mais sans excès.
Dans sa longue introduction, Jacques Julliard problématise son sujet « Gauche et droite, le problème » (p. 9-10). Puis, il décline sous forme de quatre questions, une définition et une méthodologie son thème : « Des catégories universelles ? » (p. 10-12), « D’où viennent les opinions ? » (p. 12-16), « Un anachronisme ? » (p. 16-18), « Une illusion ? » (p. 18-23), « Trois définitions » (p. 23-27) et « Questions de méthode » (p. 27-30).

Première partie : Les gauches dans l’histoire contemporaine

Cette première partie est chronologique (p. 33-496). Elle se compose de six chapitres que Jacques Julliard a nommé « moment ». Ce sont le XVIIIe siècle (moment philosophique : p. 35-130) ; la Révolution française (moment fondateur : p. 131-218) ; la monarchie censitaire (moment libéral soit la première et seconde Restaurations puis la monarchie de Juillet : p. 219-288) ; le moment républicain (1848-1898 : p. 289-384), le moment radical (1898-1914 : p. 385-452) et, enfin, le grand schisme de la gauche française entre la SFIO et la SFIC qui prit plus tard le nom de PCF (1920-1939 : p. 453-495).
Le XVIIIe siècle est décliné par l’auteur en héritage : « L’héritage intellectuel » (p. 35-59), « L’héritage politique et social » (p. 59-83), « L’héritage spirituel : les origines religieuse de la gauche » (p. 83-123) pour terminer sur une conclusion au titre original « Gauche jésuite et gauche janséniste » (p. 123-130).
Quant au XIXe siècle, il est dominé par quatre moments où sont exclus les Premier et Second Empire : « Le moment fondateur : (la Révolution française) » (p. 131-218) où la gauche se définit comme le parti de la révolution ; « Le moment libéral : (la monarchie censitaire) » (p. 219-288) où le peuple est à nouveau présent comme acteur politique majeur ; « Le moment républicain (1848-1898) » (p. 289-384) où l’historien affirme : « On ne le dira jamais assez : parmi les républicains, ce furent les plus modérés, et non les plus radicaux, qui fondèrent la République » (p. 330).
Enfin, le XXe siècle est dominé par « Le moment radical (1898-1914) » (p. 385-452) et « Le moment du schisme (1920-1939) » (p. 453-495). « Le moment radical » est parcouru par « L’offrande des intellectuels à la gauche : l’affaire Dreyfus (1894-1899) » (p. 385-401), « Une religion française : la laïcité » (p. 401-420), « Une particularité française : le radicalisme » (p. 420-438) et « La dissidence socialiste et ouvrière » (p. 439-452). Quant à la période 1920-1939, elle est dominée par la scission de Tours « La nuit commence à Tours (décembre 1920) » (p. 453-462), « Le Cartel des gauches : une tentative mort-née » (p. 462-467), « Les enfants du divorce » (soit le PCF, la SFIO et le parti radical) (p. 467-483) et « Le Front populaire : déjeuner de soleil ou événement majeur » (p. 483-495).

Deuxième partie : La gauche dans le système français

En revanche, la deuxième partie est analytique (p. 497-700) avec deux chapitres intitulés respectivement : « le système culturel : les 4 gauches » (p. 499-663) puis « le système parlementaire et gouvernemental » (p. 664-700).
En introduction, Jacques Julliard définit ce que sont les partis, les familles et les cultures (politiques) des gauches françaises (p. 499-512). Il en distingue 4 puis, ensuite, les passe en revue : la gauche libérale (p. 512-546), la gauche jacobine (p. 546-578), la gauche collectiviste (p. 578-613) et la gauche libertaire (p. 613-653). Enfin, dans une conclusion à la forme originale (l’auteur y insère un triangle où se trouve regroupés les 8 familles politiques de la France (droite et gauche réunies), Jacques Julliard assemble ces dernières autour de trois « agrégats » idéologiques : le premier rassemble le collectivisme, le traditionalisme et le fascisme ; le deuxième agrège le jacobinisme et le bonapartisme puis, enfin, le troisième associe le libéralisme de gauche, l’orléanisme, le libertarisme ainsi que la démocratie chrétienne (p. 653-663).
Ensuite, l’auteur aborde le système parlementaire et gouvernemental (p. 664-700) à travers « L’union des gauches ou le Front populaire » (p. 671-681), « La gauche tranquille » (p. 682-688) et, enfin, « La conjonction des centres ou la concentration » (p. 688-700). En considérant l’ensemble de la période (1871-2011), soit 140 ans, l’historien comptabilise, pour chaque formule gouvernementale distinguée ici, les durées suivantes : « gauche unie » (16 ans et 1 mois), « gauche tranquille » (29 ans et 1 mois) soit au total 45 ans et 2 mois puis « Concentration » à majorité de gauche et de droite soit un total de 45 ans et 6 mois, sans oublier un total pour les droites de 45 ans et 3 mois. « Ainsi, sur l’ensemble des trois dernières républiques (IIIe, IVe et Ve du nom), il existe au bout de 135 ans un équilibre parfait entre les périodes dominées par la gauche (45 ans et 2 mois), par la droite (45 ans et 3 mois) et par l’union des centres (45 ans et 6 mois) » (p. 699).

Troisième partie : Décomposition et recomposition

Cette troisième et dernière partie (p. 701-812) reprend l’histoire chronologique des gauches françaises de la IVe République jusqu’à 2012, sous forme de deux chapitres intitulés : « Fin de la synthèse jaurésienne » (p. 703-766) et « Mérites et limites de la formule mitterrandienne » (p. 767-812).
Pour l’historien, la « fin de la synthèse jaurésienne » est l’éclatement du schéma intellectuel qui faisait tenir ensemble les tendances réformistes et les tendances révolutionnaires au sein de la gauche tout entière et qui correspond à une phase de décomposition de gauches françaises. Comme en témoigne l’histoire de ces dernières avec « La IVe République et la descente aux enfers (1944-1958) » (p. 703-725), « Fin de l’agenda révolutionnaire (1958-1968) » (p. 726-757) où l’auteur aborde les questions institutionnelle, religieuse et sociale puis, enfin, avec « La gauche s’émancipe de ses partis (1968) » (p. 758-766).
Naturellement, le second chapitre correspond à une période de recomposition des gauches françaises au profit du seul PS et au détriment des autres familles de la gauche, en particulier, du PCF. En effet, avec « Mitterrand fait du PS un parti de gouvernement (1971-1995) » (p. 767-791), « La cure post-mitterrandienne du Parti socialiste » (p. 791-798), « Une social-démocratie à contretemps : la tentative Jospin (1997-2002) » (p. 798-807), l’historien montre les étapes de cette recomposition centré sur le parti pivot qu’est devenu le PS. Enfin, Jacques Julliard termine cette troisième et dernière partie avec un « Épilogue : François Hollande, une social-démocratie de troisième type ? » (p. 807-812).

Enfin, dans une longue conclusion (p. 813-850), Jacques Julliard fait une synthèse constituée d’arguments forts tels que « L’affaiblissement du clivage gauche-droite », « La crise de l’idée de progrès », « La perte d’un agent historique » (c’est-à-dire le peuple), « Vers un nouveau logiciel » (où l’auteur dégage quatre thèmes : « Le libéralisme moral », « Un nouveau droit international : l’ingérence », « Un nouveau défi : l’environnement », « Contre le retour du capitalisme prédateur) et « La gauche des individus ». L’auteur termine son ouvrage par ces mots : « Mais la démocratie, c’est-à-dire le gouvernement du peuple par le peuple, a sa propre logique ; chaque progrès qui est fait dans ce sens rend le statu quo insupportable et une nouvelle avancée inéluctable. C’est un moment comme celui-ci que nous vivons. Le perfectionnement technique de la communication tend à rendre archaïques les procédures traditionnelles de la démocratie ; la pression pour une démocratie permanente est chaque jour plus forte. Sous la forme de la participation et de l’opinion. (…) Désormais, pour être à la hauteur de son passé, elle (la gauche) a besoin d’hommes nouveaux, qui n’aient pas peur du peuple ni des idées qui lui ont permis, pendant deux siècles, de faire l’histoire. » (p. 850).

En guise de conclusion concernant l’ouvrage de Jacques Julliard Les Gauches françaises (1762-2012), tome 1- Histoire et politique publié dans la collection de poche « Champs histoire » aux éditions Flammarion, nous pouvons dire qu’il a constitué un événement historiographique sur le thème des gauches françaises dans la mesure où il fut le dernier paru sur la question. De plus, ce livre a l’immense mérite d’étudier les Gauches françaises des origines à nos jours et d’être écrit par un seul et même auteur. Contrairement à l’ouvrage en deux volumes également Histoire des gauches en France, dirigés par Jean-Jacques Becker et Gilles Candar, paru en 2004 aux éditions de La Découverte, ces deux auteurs avaient fait contribuer les meilleurs spécialistes universitaires sur la question, soit 8 ans auparavant.
Néanmoins, il est regrettable que l’éditeur n’ait pas créé une table des schémas qui émaillent l’œuvre de l’auteur dans le corps du texte et qui permet de visualiser de manière pédagogique le raisonnement de l’historien. Nous espérons que cet oubli sera réparé dans une édition ultérieure et corrigée de l’ouvrage de Jacques Julliard.

© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour La Cliothèque)