L’État du Monde 2016 est publié aux éditions de La découverte, sous le titre Un Monde d’inégalités, ouvrage dirigé par Bertrand Badié, professeur à l’IEP de Paris et Dominique Vidal, journaliste et historien spécialiste des questions internationales. Comme son titre l’indique, l’analyse est centrée cette année sur la notion d’inégalités, un concept qui revient en force dans le débat international, depuis que la crise de 2008 et ses conséquences ininterrompues ont récréé les conditions d’un creusement des richesses entre ceux qui ont les moyens de se protéger et ceux qui ne l’ont pas.

La notion d’inégalités réémerge avec force

Cependant, la réémergence de la notion concerne davantage le monde de la recherche que celui des instances internationales et nationales : « les inégalités ont du mal à s’imposer comme thème d’étude et comme objet d’action publique ». Si les discours sur les inégalités au sein des Etats, notamment occidentaux, sont proactifs depuis longtemps, ceux sur les inégalités mondiales ont mis longtemps à émerger et sont encore peu suivis d’actions et d’effets, sinon symboliques.
Et pourtant, les inégalités ne cessent de grandir : si on peut constater une élévation globale du niveau de vie, celle-ci reste de l’ordre, pour beaucoup de terriens, d’une amélioration des conditions de survie, tandis que le développement de l’information et de la communication rendent les inégalités vécues de plus en plus insupportables. Les institutions internationales se fixent des objectifs qu’elles atteignent, partiellement, de décennies en décennies, mais par leur caractère minimaliste, ils sont peu efficients en termes de réductions des inégalités. Dans certaines régions du Monde d’ailleurs, en raison de conflits ou de la prédation économique au milieu d’états faillis, se posent la question d’une régression depuis les années 1990 ou 2000.

Architecture du livre

Pour peu qu’on commence à dresser une liste du problème, le « panorama des inégalités pourrait être infini. Chaque secteur de la vie sociale apporte sa pierre à l’édifice. Chacune [des] inégalités s’entrecroisent et [… se renforcent l’une l’autre ». L’Etat du Monde tente de dresser un panorama aussi complet que possible mais opère bien évidemment des choix. Trois parties rassemblent les différentes contributions : une première qui sous le titre « Décryptages » essaye de mesurer les origines matricielles des inégalités contemporaines ; une seconde intitulée « Etat des lieux » tente le bilan de la situation actuelle ; une troisième, enfin, « D’un continent à l’autre », analyse des situations locales ou nationales particulièrement emblématiques du problème des inégalités. Une dernière rubrique dresse une bibliographie commentée d’ouvrages importants parus au cours de l’année (Pierre Grosser). Les articles sont accompagnés d’un corpus cartographiques (Philippe Rekacewicz) en milieu d’ouvrage et d’un index statistique.

Décryptages

Dans la première partie, Aurélien Boutaud cherche à délimiter la notion d’inégalités ; celles-ci sont ensuite questionnées, dans leur élaboration, à la lumière de l’histoire de l’esclavage et de la colonisation (Elise Huillery), puis de la hiérarchisation forte de la société internationale (Frédéric Charillon) ; hiérarchisation dont les économistes ont fait le diagnostic, tout en essayant d’y proposer des remèdes (Gaël Giraud). La mondialisation libérale est un autre aspect de l’histoire de la construction des inégalités (Jacques Le Cacheux), qui peuvent sans doute être considérées comme le chaînon d’analyse manquant pour expliquer les violences politiques contemporaines (Laurent Gayer). Dans un dernier temps, les mobilisations mondiales en cours depuis 2008 montrent que les sociétés civiles essayent de s’emparer du sujet, mais avec difficulté face à des institutions nationales et internationales puissantes et jalouses de leur pouvoir (Nicolas Haeringer).

Etat des lieux

Dans une seconde partie, les auteurs tentent de poser un diagnostic des principales inégalités contemporaines : après avoir critiqué un bilan en demi-teinte des organisations internationales (Franck Petiteville) et s’être posé la question de la pérennité de la notion de développement (Gilbert Rist), sont discutées les inégalités devant l’alimentation (Bruno Parmentier), la santé (Auriane Guilbaud), entre hommes et femmes (Jules Falquet), en termes de migrations (Catherine Wihtol de Wenden), devant l’urbanisation (Laurent Fourchard), la dégradation de l’environnement (Lucile Maertens). Dans un dernier temps, la question de la formation d’un nouveau type de bourgeoisie, l’« hyper-bourgeoisie globalisée », est posée (Bruno Cousin et Sébastien Chauvin), ainsi que celles des nouvelles formes de domination mises en place pour perpétuer la prospérité de certains au détriment du plus grand nombre (Anne-Catherine Wagner).

D’un continent à l’autre

Une dernière partie territorialise, par des études de cas, le problème des inégalités : sont étudiées les difficultés de la gauche latino-américaine de ces dernières années à proposer un régime de développement vraiment durable (Sunniva Labarthe) ; la focale est ensuite mise sur les inégalités en Europe (Ettore Recchi), plus visible avec l’élargissement de l’UE. La question écossaise et l’avenir du Royaume-Uni (Stéphane Paquin), celle du Luxembourg comme paradis fiscal en voie de normalisation (Christian Chavagneux) complète l’étude européenne du sujet. Sont examinées les problématiques des deux géants démographiques que sont l’Inde (Jean-Luc Racine) et la Chine (Martine Bulard). Deux articles portent sur le Moyen-Orient, l’Irak au défi de l’Etat islamique (Pierre-Jean Luizard) et Israël, meilleur élève de la classe économique (Dominique Vidal). Ce tour d’horizon se termine par l’Afrique avec l’étude des enjeux politiques et sécuritaires au Sahel (Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou) et le scandale de l’exploitation de la République démocratique du Congo (Colette Braeckman).