Même si le cap éditorial du centenaire de la Grande Guerre est révolu, de nouveaux témoignages inédits sur ce conflit dramatique continuent à émerger. Tel est le cas de ces carnets de guerre rédigés au jour le jour par Paul Foucard. Il prend en notes les péripéties de sa vie quotidienne depuis le jour de sa mobilisation jusqu’à quelques semaines avant sa mort au Front. Figé dans son jet originel avec toute la spontanéité de sa première intention, ce matériau historique constitue une source d’autant plus précieuse qu’il n’a subi aucune retouche rétrospective.
Rejeton de la petite bourgeoisie normande, Foucard est négociant en orfèvrerie et pierres précieuses. Son parcours professionnel est assez cosmopolite. Il a ainsi vécu à Hambourg, Londres et Singapour, avant de se fixer à Paris en 1911 ainsi que le rapporte sa fiche matricule. Né en 1880, il est mobilisé en août 1914 comme sergent de réserve au sein d’un régiment d’infanterie territoriale. Les lourdes pertes en cadres lui valent d’être promu sous-lieutenant en mai 1915, puis d’être transféré dans un régiment de l’active en février 1916. Il est tué en mai 1917 lors de l’offensive du Chemin des Dames.
La régularité et la prolixité des informations rapportées par Paul Foucard en font une somme d’un intérêt historique notable. Rien d’inédit assurément en cela. Il s’agrège à une cohorte de témoins déjà nombreuse. Mais l’apport de son ressenti élargit la palette des expériences de la guerre. D’un front à l’autre, en Belgique et dans la Somme lors de la guerre de mouvements, puis en Artois, en Champagne et à Verdun dans la guerre des tranchées, Foucard livre un témoignage minutieux et détaillé qui est remarquable par sa régularité sur la durée. Sa plume ne s’épuise jamais devant la banalité du quotidien. Son point de vue est celui d’un cadre de contact. Il en résulte de petits privilèges matériels et une certaine forme d’entre-soi, mais aussi des responsabilités et des contraintes. En outre, il sait faire preuve d’une certaine largeur de vue, tout en étant bien conscient de ne posséder qu’une perception très compartimentée des événements auxquels il participe.
En dépit de la répétitivité des jours, la variété du registre abordé est large. Même la routine de la guerre dans ses infimes variations fait sens. Les notations de confort et d’inconfort du quotidien trivial sont omniprésentes, reflet de leur caractère essentiel. Les passe-temps y occupent une place récurrente : lecture, correspondance et pratique intensive du bridge. Le point de vue de Foucard sur les choses n’est pas dénué d’une pointe d’humour épisodique mais exprime aussi les ressentiments typiques du poilu. Notre diariste critique les insuffisances de l’approvisionnement et les erreurs du commandement. Il cultive une évidente animosité à l’égard de son dernier colonel, dont il n’apprécie ni la personnalité, ni le comportement, ni le style de commandement. Ce Normand posé nourrit par ailleurs de solides préjugés envers les soldats méridionaux. Officier et patriote, il rapporte avec sévérité une mutinerie survenue dans un régiment voisin fin mai 1916 dans le secteur de Verdun. Son regard sur l’ennemi est sans faiblesse mais humain et parfois compatissant.
Son expérience en tant que cadre est diversifiée, et le place partiellement en position d’observateur. Il est employé à divers niveaux de responsabilité dans des unités de mitrailleuses, et sert temporairement comme officier d’ordonnance. Il devient pour finir chef d’un détachement de canons de 37, qui sont des pièces de petit calibre attachées aux formations d’infanterie. Son sens de l’observation est attentif aux détails. Il observe les ballets aériens, et apprécie l’esthétique visuelle des bombardements d’artillerie… dès lors qu’il les admire de loin et ne se trouve pas dessous ! Il rapporte les efforts et les peines de la vie au front, et souligne les effets physiques et psychiques des bombardements. Il dépeint avec une indéniable expressivité le spectacle et les dangers de la guerre. Enfin il note d’un ton blasé la banalisation routinière de l’insoutenable qui résulte de l’accoutumance aux horreurs des premières lignes.
Ce témoignage de qualité fait l’objet d’une édition scientifique assurée par Jean-Philippe Bras. Cet universitaire est un descendant de la famille de Paul Foucard, dépositaire des cinq carnets laissés par ce dernier. Manque seulement à l’appel celui que l’officier rédigeait au moment de sa mort, perdu au Front. Le résultat de ce travail d’édition est louable. La présentation d’ensemble et la synthèse descriptive de chacun des carnets mettent parfaitement en valeur leur contenu. Les qualités d’universitaire de M. Bras vont à l’essentiel avec la rigueur et la clarté du juriste. Mais cela ne va pas sans une légère inexpérience de méthode sur le plan historique. Le lecteur pointilleux remarquera de petits défauts qui auraient pu être facilement rectifiés. On regrette notamment des variations du déchiffrage de l’orthographe de plusieurs patronymes. De petites malfaçons de détail émergent ici et là (par exemple la coquille de la note 218 qui concerne le train régimentaire et non réglementaire, un capitaine adjoint major p.277 qui est certainement un adjudant-major, ou encore l’abréviation Gend pour gendarmerie p.281). En termes de mise en perspective, on aurait apprécié que les militaires les plus proches de Foucard, fréquemment cités dans ses notes, soient identifiés. De même, une bibliographie plus élargie (on songe notamment à Norton Cru) et les ressources des JMO (connus mais apparemment peu sollicités au profit des historiques régimentaires) auraient pu être davantage pris en compte.
Mais on n’aspire à l’exigence que lorsque la qualité est déjà présente. En définitive, les écrits de guerre de Paul Foucard sont mis en valeur de belle manière. Ainsi sortis de l’anonymat, ils rejoignent dignement et légitimement la cohorte des témoignages de valeur laissés par les protagonistes de la Grande Guerre. Le sous-lieutenant Foucard est mort il y a un siècle, mais sa voix porte encore.
© Guillaume Lévêque
La présentation de l’ouvrage sur le site de l’éditeur.