C’est avec beaucoup de plaisir et d’intérêt que la Cliothèque présente en avant-première le nouveau numéro de la documentation photographique, cette indispensable revue qui a été reprise par les éditions du CNRS avec lesquelles le mouvement des Clionautes entretient depuis au moins 15 ans des relations de confiance et de coopération.
Ce premier numéro vient à point nommé, au moment où l’on aborde, dans des conditions assez polémiques le 25e anniversaire du dernier génocide du XXe siècle qui s’est déroulé au Rwanda.
C’est avec beaucoup de plaisir et d’intérêt que la Cliothèque présente en avant-première le nouveau numéro de la documentation photographique, cette indispensable revue qui a été reprise par les éditions du CNRS avec lesquelles le mouvement des Clionautes entretient depuis au moins 15 ans des relations de confiance et de coopération.
Ce premier numéro vient à point nommé, au moment où l’on aborde, dans des conditions assez polémiques le 25e anniversaire du dernier génocide du XXe siècle qui s’est déroulé au Rwanda.
Cette parution est dirigée par l’inspecteur général Vincent Duclert qui avait été chargé par la ministre de l’éducation nationale de la publication d’un rapport sur la mission génocide, paru en 2018.
Cette publication est directement destinée aux professeurs d’histoire et de géographie du second degré qui sont confrontés, davantage que leurs collègues qui les ont précédés au problème de la disparition, à terme, des derniers témoins de la Shoah. La multiplication des sources et des travaux sur ce sujet ne rend pas la tâche plus facile pour expliquer aux jeunes générations ces événements qui se sont produits pendant le XXe siècle. Et comme pour construire une séquence de cours, il convient dans un premier temps de problématiser et de poser un certain nombre de définitions.
Dans le tourbillon des flux d’information que l’on peut recevoir, les risques de confusion sont en effet multiples. Crimes de guerre, crimes de masse, génocides, doivent être distingués à l’aune du droit international et de la jurisprudence en la matière.
Dans l’ouverture de ce numéro, Vincent Duclert remet en perspective les différentes définitions, et notamment leur histoire. Ce que l’on convient d’appeler le premier génocide du XXe siècle, celui des Hereros et des Namas n’a été connu en tant que tel que tardivement. Il a pourtant été organisé à partir du 2 octobre 1904, à partir d’un « ordre d’anéantissement » signé par l’empereur lui-même. En réalité, dès 1917 l’historien Arnold Toynbee avait qualifié le génocide des Arméniens de « meurtre d’une nation ». Et comme le rappelle Vincent Duclert l’histoire des génocides a commencé avant même sa caractérisation sur le plan juridique.
On s’accordera à différencier les génocides qui visent à la disparition complète d’un groupe clairement désigné, des crimes de masse qui s’inscrive dans une volonté de répression politique ou sociale massive.
Après le procès de Nuremberg, le concept a été adopté, après 40 ans de travaux, conduits par Raphaël Lemkin https://www.cairn.info/revue-revue-d-histoire-de-la-shoah-2008-2-page-511.htm
Lemkin forgea le mot « génocide » dans un volume intitulé Axis Rule in Occupied Europe (« Le régime de l’Axe dans l’Europe occupée ») achevé en novembre 1943 et publié un an plus tard. Axis Rule consacre un chapitre entier à la nécessité de trouver un nouveau terme pour désigner le meurtre de masse :
De nouvelles conceptions supposent l’adoption de nouveaux termes. Par « génocide », nous entendons la destruction d’une nation ou d’un groupe ethnique. Ce nouveau mot, forgé par l’auteur pour signifier une vieille pratique dans son évolution moderne, est composé du mot grec genos (race, tribu), et du mot latin cide (tuer), s’apparentant ainsi par sa formation à des mots comme tyrannicide, homicide, infanticide, etc. En règle générale, le génocide ne signifie pas nécessairement la destruction immédiate d’une nation, sauf lorsqu’il est réalisé par des meurtres en masse de tous les membres d’une nation. Il entend plutôt signifier un plan coordonné de différentes actions visant à la destruction de fondements essentiels de la vie de groupes nationaux, dans le but d’exterminer les groupes eux-mêmes. Un tel plan aurait pour objectifs la désintégration des institutions politiques et sociales, de la culture, de la langue, des sentiments nationaux, de la religion et de la vie économique de groupes nationaux, ainsi que la suppression de la sécurité personnelle, de la liberté, de la santé, de la dignité, voire de la vie des personnes appartenant à ces groupes. Le génocide vise le groupe national en tant qu’entité, et les actions en question sont dirigées contre des individus, non pas ès qualité, mais en tant que membre du groupe national.
Raphael Lemkin, Axis rule in occupied Europe : laws of occupation, analysis of government, proposals for redress, Washington, Carnegie Endowment for International Peace, Division of International Law, 1944, p. 79.
En remontant dans l’histoire de ce concept, on se rend compte que des 1915, le terme de crime contre l’humanité est déjà utilisé. Et Raphaël Lemkin fait reposer son élaboration du crime de génocide sur l’étude de la destruction des Arméniens durant la première guerre mondiale dans l’empire ottoman. On remarquera au passage que l’actuel gouvernement turc récuse clairement ce terme, encore aujourd’hui, et que les professeurs d’histoire qui abordent cette question peuvent être l’objet de pressions directement organisées par les services de certains consulats de Turquie, particulièrement sur le territoire français.
On lira avec attention cette partie de l’introduction, qui représente 15 pages, pour comprendre comment le concept a pu être forgé. On soulignera la lucidité, hélas prémonitoire, d’hommes comme Simon Dubnow, juif de Biélorussie, exilé en Lettonie, et assassiné en décembre 41, avec des milliers de ses compagnons qui avaient été regroupés dans le ghetto de Riga.
Cet historien constatait dès 1939 comment les démocraties pouvaient être paralysées par les initiatives audacieuses des dictateurs qui pratiquaient, depuis le milieu des années 30, la politique du coup de force et du fait accompli. Contrairement à Simon Dubnow, Raphaël Lemkin parvient à s’échapper de Pologne occupée, avant d’obtenir à Vilnius un passeport suédois. Parvenu aux États-Unis en 1941, dans une Amérique résolument isolationniste, il se lance dans son travail d’écriture d’ « Axis rule » et publie un éditorial dans le Washington Post le 3 décembre 1944 intitulé « génocide ». Il insiste directement sur la spécificité de ce qui va au-delà du crime.
Le texte de Vincent Duclert permet de comprendre comment cette caractérisation de génocide a pu être concurrencée, notamment avec l’ouverture du procès de Nuremberg, parcelle de « crime contre l’humanité ». Cette notion, catégorie juridique internationale, recouvre « l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout acte inhumain commis contre toutes les populations civiles avant pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux ».
Le crime de génocide est donc absent des procès de Nuremberg et de Tokyo à l’exception d’une mention dans le réquisitoire initial du procureur et de son apparition dans certains procès connexes qui suivent.
Il faut attendre de résolution de la nouvelle organisation des Nations unies, notamment celle du 11 décembre 1946, pour que « le génocide et crimes au regard du droit des gens ». Cela est ensuite complété par « le crime de génocide est un crime international qui comporte des responsabilités d’ordre national et international pour les individus et pour les états.
Pour autant, et même si le traité du 9 décembre 1948 avec l’adoption de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, a été adopté à l’unanimité des nations représentées, la communauté internationale ne se dote pas dans la foulée de tribunaux pénaux internationaux ni même d’une cour permanente. La convention est même contestée par des états négationnistes comme la Turquie en 1984.
Les conséquences de ce flou en matière d’application d’une norme juridique se retrouvent au cœur de l’Europe pendant la guerre civile en ex-Yougoslavie. Cela se traduit dès 1993 par la création du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, et le 8 novembre 1994, quelques mois après les faits, par la mise en place du tribunal pénal international pour le Rwanda.
On notera au propos du Rwanda que l’on aborde la volte-face du conseil de sécurité du 22 juin 1994 autorisant la France intervenir avec autorisation d’engager le combat, « officiellement pour arrêter un génocide en cours, officieusement pour protéger ses alliés rwandais génocidaires en déroute face à l’offensive des troupes rebelles Tutsi du front patriotique rwandais. »
D’après l’auteur, cette faillite internationale d’une Convention qui avait été adoptée en 1948, aboutit à la création d’une cour pénale internationale permanente, définie par le statut de Rome en juillet 1998 qui entre en vigueur en juillet 2002. La notion de diplomatie préventive prend alors tout son sens. Toutefois on notera que cela n’empêche en aucune façon certaines impuissances internationales fassent des guerres d’extermination menée contre les populations en Syrie ou en Birmanie.
La qualification de génocide a donc été un long combat, et même si la question de la Shoah, en dehors des négationnistes qui affichent de façon de plus en plus ouverte leur antisémitisme obsessionnel, ne fait plus vraiment débat, il n’en va pas de même pour ce qui relève d’actions plus récentes, comme celles conduites par les Khmers rouges à partir de 1975.
On sort forcément ébranlé par le constat qui est opéré à propos de la négation même par leurs auteurs, non seulement des crimes commis, mais également de leurs victimes. On notera au passage que le régime issu de l’effondrement de l’empire ottoman organise aussitôt la négation du crime et de la présence des Arméniens, tandis que le traité de Lausanne en 1923 fait disparaître, « dans les sables du désert de Syrie » ce qui est bel et bien un génocide organisé. Pourtant, la déclaration franco–Anglo–russe du 24 mai 1915 avait rendu responsable le gouvernement de l’empire ottoman du massacre généralisé de la minorité arménienne qualifié de « crime contre l’humanité et la civilisation ».
Avant de passer aux études de cas, Vincent Duclert s’interroge sur les trois énigmes qui pèsent sur la connaissance des génocides. Le crime était « sans nom », comme le qualifie Winston Churchill en août 1943, mais il était pourtant largement connu. Pourtant, et on notera les références au Rwanda, et aux décisions du gouvernement français de l’époque, la volonté d’agir de façon préventive n’est pas toujours présente. La volonté de défendre des intérêts a pu prévaloir avant même l’affirmation de ces principes qui avaient pourtant été ratifiés par la communauté internationale. Il s’agit bien d’une énigme qui reste entière, à propos de la passivité des puissances occidentales.
On notera toutefois, que le 8 décembre 2013, en prévention de ce qui aurait pu se terminer par un génocide en Centrafrique, le gouvernement français de l’époque est intervenu directement, à l’appel du gouvernement du pays, et avec le soutien de l’organisation des Nations unies. Deux jeunes soldats français du huitième RPIMa ont payé de leur vie cet engagement dans les premiers jours de l’intervention.
La deuxième énigme porte sur l’action génocidaire elle-même, sur sa conception comme sur sa réalisation, conduite avec des moyens industriels, des états modernes, pensée par des élites. L’organisation du génocide n’est pas un accident mais s’inscrit dans une idéologie spécifique, celle des états totalitaires, mais pas forcément. Le gouvernement unioniste des jeunes Turcs n’avait pas une idéologie que l’on peut qualifier de totalitaire, mais exprimait un nationalisme exacerbé.
La troisième énigme, pour reprendre la formulation de l’auteur « sonne comme une défaite des génocidaires ».
Ils ont au final, malgré l’ampleur des massacres commis, échoué à dissimuler leurs crimes. Les victimes des génocides ont pu pour certaines survivre, se révolter de façon désespérée, trouver Les ressources pour revenir, et parfois dans l’indifférence, témoigner.
L’importance de cet enseignement des génocides, crimes de guerre et crimes de masse, pour reprendre l’intitulé du rapport de Vincent Duclert va très au-delà des études académiques que l’on peut en faire.
C’est bien parce que les génocides ont eu lieu, qu’ils ont été révélés, qu’ils peuvent éventuellement se répéter. Encore une fois, ce qui s’est produit en République Centrafricaine, et qui a été heureusement interrompu par une intervention militaire, aurait pu devenir le premier génocide du XXIe siècle. Peut-être que les leçons du Rwanda ont pu être tirées également, même s’il appartient aux historiens d’une commission constituée dernièrement de se positionner au-dessus des polémiques sur sa composition, de faire la lumière de l’enchaînement qui a pu conduire à un aveuglement tragique.
Le premier génocide du XXe siècle, longtemps ignoré, celui des Herero et des Namas puisque le seul rapport sur l’extermination, celui du juge britannique O’Reilly, a été détruit en 1926, a pu servir de source d’inspiration aux génocidaires du nazisme. De la même façon, le silence qui a pu peser sur le génocide des Arméniens, alors que les événements avaient été largement présentés au moment où ils se déroulaient a pu ancrer dans la pensée des nazis, l’idée que la solution finale serait définitive, y compris en termes de nombre de victimes.
Si la définition du génocide concerne spécifiquement un groupe particulier, la culture de mort qui l’entoure, la sensation d’impunité des bourreaux, peut conduire à des massacres collatéraux. Parallèlement à la mise en place de l’extermination des juifs d’Europe, des massacres de masse à l’encontre des prisonniers russes, des opposants politiques, les soldats indigènes des troupes françaises, sont également commis.
Les Hutus modérés sont aussi la cible des génocidaires en 1994, et jusqu’en 1946 des pogroms ont lieu en Pologne à l’encontre des juifs survivants.
Cette mise au point se termine par une réflexion sur les différents chantiers ouverts par la recherche, qui n’est pas simplement historique mais qui fait appel à d’autres sciences sociales. Plusieurs équipes pluridisciplinaires se mettent en place, faisant même appel aux neurosciences pour étudier la perte de sens humain des bourreaux. L’étude des génocides doit être également contextualisée et prendre en compte ce qui précède. Sans doute Pourra-t-on ainsi appréhender les signes avant-coureurs pour mieux les prévenir.
La deuxième partie de ce numéro de la Doc photo prend en compte les différentes déclinaisons de ces génocides du XXe siècle. On y trouve quatre parties, largement complètes et documentées.
Les génocides du XXe siècle où sont abordés successivement le génocide des Héréro et des Namas , celui des Arméniens, la Shoah et le génocide des Tutsi.
Spontanément, un lecteur inattentif pourrait s’interroger sur l’absence de certains faits directement génocidaires, mais ceux-ci sont traités dans la troisième partie, les héritages. On y aborde la famine organisée en Ukraine par l’URSS de Staline, que les ukrainiens appellent Holodomor, curieusement associée au massacre de Srebrenica en Bosnie en 1995. La photographie de la page 49 hé d’ailleurs terrible puisque l’on n’y voit le général Mladic aux côtés d’un casque bleu procéder à la séparation des femmes et des enfants d’avec les hommes avant l’assassinat de ces derniers par les troupes serbes.
On retrouve également un autre héritage de ce dispositif hérité du stalinisme, avec cette partie consacrée à la Grande famine en Chine que l’on associe à l’action des Khmers rouges. On peut se demander si les grandes famines en Chine dont il est question concerne les conséquences du grand bond en avant en 1960, où la révolution culturelle en 1966. L’illustration fait référence à une séance de dénonciation pendant la révolution culturelle, mais il semblerait que les familles les plus importantes en Chine aient eu lieu pendant le grand bond en avant entre 1958 1960. L’estimation du nombre de victimes serait de 36 millions. Pour ce qui concerne les Khmers rouges, pendant la période 1975–1979, il y aurait eu 1,7 millions de morts, soit 20 % de la population.
Les deuxième et quatrième parties de ce numéro traitent des mécanismes génocidaires, en abordant au passage la faillite des puissances internationales, ainsi que des savoirs et des engagements.
Pour ce qui concerne la faillite des puissances internationales on apprendra que le génocide des Héreros et des Namas eu a été volontairement dissimulé en 1926 par la volonté commune des Anglais et des Allemands soucieux de cacher les atrocités commises dans les colonies.
De la même façon, le sauvetage de 4000 Arméniens par des troupes françaises en septembre 1915 est resté une initiative spontanée du vice-amiral Dartige du Fournet.
Dès 1941 les alliés avaient pourtant connaissance des moyens mis en œuvre par l’Allemagne nazie pour exterminer les juifs d’Europe. Des révélations publiques à la BBC ont été diffusées avec des témoignages accablants, mais il semblerait qu’une étrange conviction ait voulu que les faits démontrés ne peuvent être vrais quand ils sont inimaginables.
La mise au point scientifique sous un format très accessible permettra incontestablement au professeur d’histoire de prendre du recul sur ces différents sujets, dont certains, et c’est le cas pour le génocide des Arméniens comme des Tutsis au Rwanda sont encore largement polémiques.
Peut-être aurait-il fallu développer davantage le combat contre le négationnisme, car on a pu voir récemment s’exprimer à la faveur de ce que l’on peut qualifier de mouvements sociaux, un certain antisémitisme qui semble se réactiver étrangement. Cela amène également à s’interroger sur les responsabilités de la communauté internationale face à des situations qui peuvent dans certains pays, – on pense encore une fois au Centrafrique –, très rapidement conduire à des situations extrêmes.
Sur un tel sujet, sur lequel de très nombreux travaux ont été publiés, réaliser une « doc photo » en 62 pages n’était pas évident. Il conviendrait sans doute d’évaluer également la dimension numérique, ainsi que l’accompagnement pédagogique pour avoir une vision claire de ce qui peut être fait pour la suite.
Les numéros à paraître semblent prometteurs, avec une reprise de la question d’histoire contemporaine pour les programmes du concours, « culture, médias, pouvoirs aux États-Unis et en Europe occidentale, 1945–1991 », et pour le suivant un sujet tristement d’actualité « migrants et réfugiés ».
Cette publication est directement destinée aux professeurs d’histoire et de géographie du second degré qui sont confrontés, davantage que leurs collègues qui les ont précédés au problème de la disparition, à terme, des derniers témoins de la Shoah. La multiplication des sources et des travaux sur ce sujet ne rend pas la tâche plus facile pour expliquer aux jeunes générations ces événements qui se sont produits pendant le XXe siècle. Et comme pour construire une séquence de cours, il convient dans un premier temps de problématiser et de poser un certain nombre de définitions.
Dans le tourbillon des flux d’information que l’on peut recevoir, les risques de confusion sont en effet multiples. Crimes de guerre, crimes de masse, génocides, doivent être distingués à l’aune du droit international et de la jurisprudence en la matière.
Dans l’ouverture de ce numéro, Vincent Duclert remet en perspective les différentes définitions, et notamment leur histoire. Ce que l’on convient d’appeler le premier génocide du XXe siècle, celui des Hereros et des Namas n’a été connu en tant que tel que tardivement. Il a pourtant été organisé à partir du 2 octobre 1904, à partir d’un « ordre d’anéantissement » signé par l’empereur lui-même. En réalité, dès 1917 l’historien Arnold Toynbee avait qualifié le génocide des Arméniens de « meurtre d’une nation ». Et comme le rappelle Vincent Duclert l’histoire des génocides a commencé avant même sa caractérisation sur le plan juridique.
On s’accordera à différencier les génocides qui visent à la disparition complète d’un groupe clairement désigné, des crimes de masse qui s’inscrive dans une volonté de répression politique ou sociale massive.
Après le procès de Nuremberg, le concept a été adopté, après 40 ans de travaux, conduits par Raphaël Lemkin https://www.cairn.info/revue-revue-d-histoire-de-la-shoah-2008-2-page-511.htm
Lemkin forgea le mot « génocide » dans un volume intitulé Axis Rule in Occupied Europe (« Le régime de l’Axe dans l’Europe occupée ») achevé en novembre 1943 et publié un an plus tard.
Axis Rule consacre un chapitre entier à la nécessité de trouver un nouveau terme pour désigner le meurtre de masse :
De nouvelles conceptions supposent l’adoption de nouveaux termes. Par « génocide », nous entendons la destruction d’une nation ou d’un groupe ethnique. Ce nouveau mot, forgé par l’auteur pour signifier une vieille pratique dans son évolution moderne, est composé du mot grec genos (race, tribu), et du mot latin cide (tuer), s’apparentant ainsi par sa formation à des mots comme tyrannicide, homicide, infanticide, etc. En règle générale, le génocide ne signifie pas nécessairement la destruction immédiate d’une nation, sauf lorsqu’il est réalisé par des meurtres en masse de tous les membres d’une nation. Il entend plutôt signifier un plan coordonné de différentes actions visant à la destruction de fondements essentiels de la vie de groupes nationaux, dans le but d’exterminer les groupes eux-mêmes. Un tel plan aurait pour objectifs la désintégration des institutions politiques et sociales, de la culture, de la langue, des sentiments nationaux, de la religion et de la vie économique de groupes nationaux, ainsi que la suppression de la sécurité personnelle, de la liberté, de la santé, de la dignité, voire de la vie des personnes appartenant à ces groupes. Le génocide vise le groupe national en tant qu’entité, et les actions en question sont dirigées contre des individus, non pas ès qualité, mais en tant que membre du groupe national.
Raphael Lemkin, Axis rule in occupied Europe : laws of occupation, analysis of government, proposals for redress, Washington, Carnegie Endowment for International Peace, Division of International Law, 1944, p. 79.
En remontant dans l’histoire de ce concept, on se rend compte que des 1915, le terme de crime contre l’humanité est déjà utilisé. Et Raphaël Lemkin fait reposer son élaboration du crime de génocide sur l’étude de la destruction des Arméniens durant la première guerre mondiale dans l’empire ottoman. On remarquera au passage que l’actuel gouvernement turc récuse clairement ce terme, encore aujourd’hui, et que les professeurs d’histoire qui abordent cette question peuvent être l’objet de pressions directement organisées par les services de certains consulats de Turquie, particulièrement sur le territoire français.
On lira avec attention cette partie de l’introduction, qui représente 15 pages, pour comprendre comment le concept a pu être forgé. On soulignera la lucidité, hélas prémonitoire, d’hommes comme Simon Dubnow, juif de Biélorussie, exilé en Lettonie, et assassiné en décembre 41, avec des milliers de ses compagnons qui avaient été regroupés dans le ghetto de Riga.
Cet historien constatait dès 1939 comment les démocraties pouvaient être paralysées par les initiatives audacieuses des dictateurs qui pratiquaient, depuis le milieu des années 30, la politique du coup de force et du fait accompli. Contrairement à Simon Dubnow, Raphaël Lemkin parvient à s’échapper de Pologne occupée, avant d’obtenir à Vilnius un passeport suédois. Parvenu aux États-Unis en 1941, dans une Amérique résolument isolationniste, il se lance dans son travail d’écriture d’ « Axis rule » et publie un éditorial dans le Washington Post le 3 décembre 1944 intitulé « génocide ». Il insiste directement sur la spécificité de ce qui va au-delà du crime.
Le texte de Vincent Duclert permet de comprendre comment cette caractérisation de génocide a pu être concurrencée, notamment avec l’ouverture du procès de Nuremberg, parcelle de « crime contre l’humanité ». Cette notion, catégorie juridique internationale, recouvre « l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout acte inhumain commis contre toutes les populations civiles avant pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux ».
Le crime de génocide est donc absent des procès de Nuremberg et de Tokyo à l’exception d’une mention dans le réquisitoire initial du procureur et de son apparition dans certains procès connexes qui suivent.
Il faut attendre de résolution de la nouvelle organisation des Nations unies, notamment celle du 11 décembre 1946, pour que « le génocide et crimes au regard du droit des gens ». Cela est ensuite complété par « le crime de génocide est un crime international qui comporte des responsabilités d’ordre national et international pour les individus et pour les états.
Pour autant, et même si le traité du 9 décembre 1948 avec l’adoption de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, a été adopté à l’unanimité des nations représentées, la communauté internationale ne se dote pas dans la foulée de tribunaux pénaux internationaux ni même d’une cour permanente. La convention est même contestée par des états négationnistes comme la Turquie en 1984.
Les conséquences de ce flou en matière d’application d’une norme juridique se retrouvent au cœur de l’Europe pendant la guerre civile en ex-Yougoslavie. Cela se traduit dès 1993 par la création du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, et le 8 novembre 1994, quelques mois après les faits, par la mise en place du tribunal pénal international pour le Rwanda.
On notera au propos du Rwanda que l’on aborde la volte-face du conseil de sécurité du 22 juin 1994 autorisant la France intervenir avec autorisation d’engager le combat, « officiellement pour arrêter un génocide en cours, officieusement pour protéger ses alliés rwandais génocidaires en déroute face à l’offensive des troupes rebelles Tutsi du front patriotique rwandais. »
D’après l’auteur, cette faillite internationale d’une Convention qui avait été adoptée en 1948, aboutit à la création d’une cour pénale internationale permanente, définie par le statut de Rome en juillet 1998 qui entre en vigueur en juillet 2002. La notion de diplomatie préventive prend alors tout son sens. Toutefois on notera que cela n’empêche en aucune façon certaines impuissances internationales fassent des guerres d’extermination menée contre les populations en Syrie ou en Birmanie.
La qualification de génocide a donc été un long combat, et même si la question de la Shoah, en dehors des négationnistes qui affichent de façon de plus en plus ouverte leur antisémitisme obsessionnel, ne fait plus vraiment débat, il n’en va pas de même pour ce qui relève d’actions plus récentes, comme celles conduites par les Khmers rouges à partir de 1975.
On sort forcément ébranlé par le constat qui est opéré à propos de la négation même par leurs auteurs, non seulement des crimes commis, mais également de leurs victimes. On notera au passage que le régime issu de l’effondrement de l’empire ottoman organise aussitôt la négation du crime et de la présence des Arméniens, tandis que le traité de Lausanne en 1923 fait disparaître, « dans les sables du désert de Syrie » ce qui est bel et bien un génocide organisé. Pourtant, la déclaration franco–Anglo–russe du 24 mai 1915 avait rendu responsable le gouvernement de l’empire ottoman du massacre généralisé de la minorité arménienne qualifié de « crime contre l’humanité et la civilisation ».
Avant de passer aux études de cas, Vincent Duclert s’interroge sur les trois énigmes qui pèsent sur la connaissance des génocides.
La première énigme aborde ce crime qui était « sans nom », comme le qualifie Winston Churchill en août 1943, mais qui était pourtant largement connu. Pourtant, et on notera les références au Rwanda, et aux décisions du gouvernement français de l’époque, la volonté d’agir de façon préventive n’est pas toujours présente. La volonté de défendre des intérêts a pu prévaloir avant même l’affirmation de ces principes qui avaient pourtant été ratifiés par la communauté internationale. Il s’agit bien d’une énigme qui reste entière, à propos de la passivité des puissances occidentales.
On notera toutefois, que le 8 décembre 2013, en prévention de ce qui aurait pu se terminer par un génocide en Centrafrique, le gouvernement français de l’époque est intervenu directement, à l’appel du gouvernement du pays, et avec le soutien de l’organisation des Nations unies. Deux jeunes soldats français du huitième RPIMa ont payé de leur vie cet engagement dans les premiers jours de l’intervention.
La deuxième énigme porte sur l’action génocidaire elle-même, sur sa conception comme sur sa réalisation, conduite avec des moyens industriels, des états modernes, pensée par des élites. L’organisation du génocide n’est pas un accident mais s’inscrit dans une idéologie spécifique, celle des états totalitaires, mais pas forcément. Le gouvernement unioniste des jeunes Turcs n’avait pas une idéologie que l’on peut qualifier de totalitaire, mais exprimait un nationalisme exacerbé.
La troisième énigme, pour reprendre la formulation de l’auteur « sonne comme une défaite des génocidaires ».
Ils ont au final, malgré l’ampleur des massacres commis, échoué à dissimuler leurs crimes. Les victimes des génocides ont pu pour certaines survivre, se révolter de façon désespérée, trouver Les ressources pour revenir, et parfois dans l’indifférence, témoigner.
L’importance de cet enseignement des génocides, crimes de guerre et crimes de masse, pour reprendre l’intitulé du rapport de Vincent Duclert va très au-delà des études académiques que l’on peut en faire.
C’est bien parce que les génocides ont eu lieu, qu’ils ont été révélés, qu’ils peuvent éventuellement se répéter. Encore une fois, ce qui s’est produit en République Centrafricaine, et qui a été heureusement interrompu par une intervention militaire, aurait pu devenir le premier génocide du XXIe siècle. Peut-être que les leçons du Rwanda ont pu être tirées également, même s’il appartient aux historiens d’une commission constituée dernièrement de se positionner au-dessus des polémiques sur sa composition, de faire la lumière de l’enchaînement qui a pu conduire à un aveuglement tragique.
Le premier génocide du XXe siècle, longtemps ignoré, celui des Herero et des Namas puisque le seul rapport sur l’extermination, celui du juge britannique O’Reilly, a été détruit en 1926, a pu servir de source d’inspiration aux génocidaires du nazisme. De la même façon, le silence qui a pu peser sur le génocide des Arméniens, alors que les événements avaient été largement présentés au moment où ils se déroulaient a pu ancrer dans la pensée des nazis, l’idée que la solution finale serait définitive, y compris en termes de nombre de victimes.
Si la définition du génocide concerne spécifiquement un groupe particulier, la culture de mort qui l’entoure, la sensation d’impunité des bourreaux, peut conduire à des massacres collatéraux. Parallèlement à la mise en place de l’extermination des juifs d’Europe, des massacres de masse à l’encontre des prisonniers russes, des opposants politiques, les soldats indigènes des troupes françaises, sont également commis de façon collatérale pourrait-on dire. Les Hutus modérés sont aussi la cible des génocidaires en 1994, et jusqu’en 1946 des pogroms ont lieu en Pologne à l’encontre des juifs survivants.
Cette mise au point se termine par une réflexion sur les différents chantiers ouverts par la recherche, qui n’est pas simplement historique mais qui fait appel à d’autres sciences sociales. Plusieurs équipes pluridisciplinaires se mettent en place, faisant même appel aux neurosciences pour étudier la perte de sens humain des bourreaux. L’étude des génocides doit être également contextualisée et prendre en compte ce qui précède. Sans doute Pourra-t-on ainsi appréhender les signes avant-coureurs pour mieux les prévenir.
La deuxième partie de ce numéro de la Doc photo prend en compte les différentes déclinaisons de ces génocides du XXe siècle. On y trouve quatre parties, largement complètes et documentées.
Les génocides du XXe siècle où sont abordés successivement le génocide des Héréro et des Namas , celui des Arméniens, la Shoah et le génocide des Tutsi.
Spontanément, un lecteur inattentif pourrait s’interroger sur l’absence de certains faits directement génocidaires, mais ceux-ci sont traités dans la troisième partie, les héritages. On y aborde la famine organisée en Ukraine par l’URSS de Staline, que les ukrainiens appellent Holodomor, curieusement associée au massacre de Srebrenica en Bosnie en 1995. La photographie de la page 49 est d’ailleurs terrible puisque l’on n’y voit le général Mladic aux côtés d’un casque bleu procéder à la séparation des femmes et des enfants d’avec les hommes avant l’assassinat de ces derniers par les troupes serbes.
On retrouve également un autre héritage de ce dispositif hérité du stalinisme, avec cette partie consacrée à la Grande famine en Chine que l’on associe à l’action des Khmers rouges. On peut se demander si les grandes famines en Chine dont il est question concerne les conséquences du grand bond en avant en 1960, où la révolution culturelle en 1966. L’illustration fait référence à une séance de dénonciation pendant la révolution culturelle, mais il semblerait que les familles les plus importantes en Chine aient eu lieu pendant le grand bond en avant entre 1958 1960. L’estimation du nombre de victimes serait de 36 millions. Pour ce qui concerne les Khmers rouges, pendant la période 1975–1979, il y aurait eu 1,7 millions de morts, soit 20 % de la population.
Les deuxième et quatrième parties de ce numéro traitent des mécanismes génocidaires, en abordant au passage la faillite des puissances internationales, ainsi que des savoirs et des engagements.
Pour ce qui concerne la faillite des puissances internationales on apprendra que le génocide des Héreros et des Namas eu a été volontairement dissimulé en 1926 par la volonté commune des Anglais et des Allemands soucieux de cacher les atrocités commises dans les colonies.
De la même façon, le sauvetage de 4000 Arméniens par des troupes françaises en septembre 1915 est resté une initiative spontanée du vice-amiral Dartige du Fournet.
Dès 1941 les alliés avaient pourtant connaissance des moyens mis en œuvre par l’Allemagne nazie pour exterminer les juifs d’Europe. Des révélations publiques à la BBC ont été diffusées avec des témoignages accablants, mais il semblerait qu’une étrange conviction ait voulu que les faits démontrés ne peuvent être vrais quand ils sont inimaginables.
La mise au point scientifique sous un format très accessible permettra incontestablement au professeur d’histoire de prendre du recul sur ces différents sujets, dont certains, et c’est le cas pour le génocide des Arméniens comme des Tutsis au Rwanda sont encore largement polémiques.
Peut-être aurait-il fallu développer davantage le combat contre le négationnisme, car on a pu voir récemment s’exprimer à la faveur de ce que l’on peut qualifier de mouvements sociaux, un certain antisémitisme qui semble se réactiver étrangement. Cela amène également à s’interroger sur les responsabilités de la communauté internationale face à des situations qui peuvent dans certains pays, – on pense encore une fois au Centrafrique –, très rapidement conduire à des situations extrêmes.
Sur un tel sujet, sur lequel de très nombreux travaux ont été publiés, réaliser une « doc photo » en 62 pages n’était pas évident. Il conviendrait sans doute d’évaluer également la dimension numérique, ainsi que l’accompagnement pédagogique pour avoir une vision claire de ce qui peut être fait pour la suite.
Les numéros à paraître semblent prometteurs, avec une reprise de la question d’histoire contemporaine pour les programmes du concours, « culture, médias, pouvoirs aux États-Unis et en Europe occidentale, 1945–1991 », et pour le suivant un sujet tristement d’actualité « migrants et réfugiés ».