Olivier Lazzarotti, géographe, professeur à l’Université de Picardie-Jules Verne, dont on connait l’intérêt tout particulier pour l’habiter et les pratiques spatiales des êtres humains, s’est associé avec sa fille Marie-Charlotte, avocate au barreau de Paris et spécialiste du droit de la famille, des personnes et de leur patrimoine, pour porter un regard de géographe à l’affaire « Hallyday ». Pour ceux qui auraient passé plusieurs mois dans une grotte au Kirghizstan, il faut rappeler les faits. Depuis le décès du chanteur Johnny Hallyday, ses héritiers, c’est-à-dire d’un côté sa dernière épouse Laëticia Smet et de l’autre ses premiers enfants, Laura et David Smet, se mènent une bataille judiciaire pour revendiquer l’héritage. Le débat porte sur le dernier testament que l’artiste a signé le 11 juillet 2014 à Los Angeles et dans lequel il ne laisse rien à ses deux aînés et tout à sa dernière épouse et à ses deux filles benjamines.

            Si la loi française garantit à chaque enfant sans distinction une part de la succession de son parent défunt, la loi californienne ignore cette notion française de « réserve héréditaire ». Au cœur des débats, une seule question : Johnny était-il plus résident français ou américain ? Plus légalement, quelle est l’autorité compétente pour juger de cette affaire : la juridiction française ou la juridiction californienne ? Pour répondre, les auteurs rappellent que le juge français saisi par Laura et David Smet doit appliquer les règles du droit international privé qui définit les critères à retenir pour répondre aux deux questions fondamentales de cette affaire (celle du juge compétent et celle de la loi applicable).

            La loi internationale introduit différentes notions qui questionnent à l’identité spatiale de l’artiste, Johnny Hallyday mais surtout de l’habitant Jean-Philippe Smet. Tout d’abord celle de « résidence habituelle » au moment du décès. En France cette notion se distingue de celle de « domicile ». Ces deux notions, « résidence habituelle », « domicile », sont des notions qui font loi et constituent des sujets éminemment géographiques. L’affaire Hallyday devient un cas d’école permettant d’interroger les pratiques spatiales d’un artiste international.

            Pour reprendre le raisonnement des Lazzarotti, le Code civil définit le « domicile » de tout Français comme « le lieu où il a son principal établissement ». La loi ajoute à l’adresse d’établissement, l’intention de s’y fixer (article 102). Le Code pénal donne une définition plus stricte encore des personnes domiciliées en France : « celles qui ont en France leur foyer ou le lieu de leur séjour principal ; celles qui exercent en France une activité professionnelle, salariée ou non, à moins qu’elles ne justifient que cette activité y est exercée à titre accessoire ; celles qui ont en France le centre de leurs intérêts économiques » (article 4B).

            Cependant, l’article 21 du Règlement européen vient apporter un grain de sable à cette mécanique juridique assez mal huilée. Il s’agit de la notion de « liens manifestement plus étroits et stables » qu’un individu entretiendrait avec un autre État que celui dans lequel il est  domicilié. Ces « liens manifestement plus étroits et stables » rendraient acceptable le dernier des 6 testaments et applicable la loi californienne. Pour Maître Ravanas[1], l’avocat de Laura Smet, Johnny Hallyday était avant tout un résident français même si l’artiste avait, dès 2013, établi sa résidence fiscale aux États-Unis. Ce qui compte pour lui, c’est l’origine des revenus du défunt. L’avocat a également ajouté un nouvel argument qui est celui de l’inscription aux listes électorales. Or Laëticia et Johnny étaient inscrits sur les listes de Marnes-la-Coquette, ville où Johnny est décédé le 5 décembre 2017. Ce dernier argument constituant une preuve de plus à la thèse de la résidence simple et de la domiciliation en France.

            L’argumentaire développé par les auteurs est alors de montrer que Jean-Philippe Smet n’est pas un habitant ordinaire, mais un habitant mobile, multiple résident. En effet, les divers témoignages à partir desquels les auteurs construisent leur réflexion, montrent que Johnny est de trois lieux : Marnes-la-Coquette, Pacific Palissades à Los Angeles et Saint-Barthélémy. Dans les trois maisons qu’il s’est fait construire ou qu’il a aménagées, l’artiste semble reporter la même manière d’habiter. Olivier Lazzarotti parle alors de  « signature géographique » ou encore de « syndrome de la tortue ». À travers ces trois lieux, c’est la même manière d’habiter qui constitue sa signature géographique.

« Que ce soit à Los Angeles, à Marnes-la-Coquette ou bien à Saint Barth, tout comme à Ramatuelle l’était La Lorada aussi bien qu’à Gstaad, le dispositif est répétitivement identique. […] Ses maisons sont installées dans une sorte de gated community où les barrières, à l’occasion invisibles, n’en seraient pas moins efficaces. Le choix résidentiel de Jean-Philippe Smet est celui d’un entre-soi si fort qu’il donne l’impression d’effacer, ne serait-ce qu’en partie, l’effet du lieu. » (p.84)

            À la page 103, les auteurs proposent un tableau récapitulatif mettant en relation le type d’habiter (simple, double ou multiple) et les divers critères juridiques de domiciliation (lieu de résidence, liens étroits et stables, intention de s’y fixer).

HABITER ARGUMENT RESIDENTIEL ARGUMENT RELATIONNEL ARGUMENT INTENTIONNEL
Simple

(une seule résidence)

++
Double

(résidence principale/résidence secondaire)

+ + +
Multiple

(Habitants du monde)

+ ++ ++

++ : argument très pertinent ; + : argument pertinent ; – : argument peu pertinent

Cet ouvrage très intéressant et très instructif sur le plan méthodologique puisqu’il s’appuie à la fois sur des interviews de l’artiste, des textes de loi mais également sur des articles de presse, souvent people, sont analysés géographiquement. À chacun, le géographe pose les questions conventionnelles du « où ? » du « pourquoi là et pas ailleurs ? », mais également du « comment ? ». Les résultats des analyses sont, comme très souvent chez Lazzarotti, traduits par des schémas très explicites qui permettent de poser la réflexion en cours et d’en élaborer de nouvelles.

[1] https://www.voici.fr/news-people/actu-people/proces-hallyday-ce-nouvel-element-qui-pourrait-donner-raison-a-david-et-laura-657872