Dans le cadre des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale, les éditions des Pays monts et barrages[1] proposent un ouvrage qui mérite d’être lu, connu et diffusé.

Intitulé « Peut-être demain ça sera notre tour, cinq Limousins dans la Grande Guerre », cet ouvrage épais regroupe les témoignages de cinq soldats originaires du Limousin qui, lors du conflit ont mis par écrit leurs impressions et leur vécu de ce moment, qu’ils ont tous compris et vécus comme étant exceptionnel.

Ces textes, présentés et annotés par Guillaume Martin[2], ont été collectés dans le cadre des commémorations liées au centenaire de la Grande guerre. En 2013, le Pays d’art et d’histoire de Monts et Barrages souhaite y participer à sa manière. Un appel est lancé et une large collecte de documents relatifs à cette période, issus d’archives familiales privées, débute. Parmi tous les documents qui leur ont été transmis et, après analyses et lectures attentives, il a été décidé de retenir ces cinq témoignages et de les réunir dans une publication soignée sur le fond et la forme. A la lecture de cet ouvrage, nous ne pouvons que saluer cette initiative.

« Ayant quelques instants de loisirs, je vais essayer, d’une façon bien maladroite, de récapituler les faits et passages principaux auxquels j’ai pu assister durant ces années tragiques qui firent couler tant de sang. » (Jean Lajat, Grande Guerre de 1914 – 1918, p. 295]

Ces cinq textes correspondent à cinq récits de soldats ayant participé à la Grande Guerre. Ces cinq combattants Limousins, Ernest Aymard, Jacques Biron, André Bousquet, Jean Lajat et Joseph Mayne ont le point commun, outre la région d’origine, de faire partie de milieux sociaux très modestes voire pauvres (Ernest Aymard est simple employé de la Compagnie des Chemins de fer d’Orléans, Jacques Biron et Joseph Mayne sont des cultivateurs modestes), engagés dans les rangs de l’artillerie pour deux d’entre eux et de l’infanterie pour les trois autres. Nous disposons ainsi de deux carnets d’artilleurs et des écrits de trois fantassins, ces derniers documents étant plus rares, les chances de survie de ces derniers étant minimes. Ils sont, à ce titre, à la fois exceptionnels et parfaitement représentatifs de cette chair à canon envoyée au front, qui est parfois passé de l’idéalisme à la révolte puis à la résignation, qui a survécu et a éprouvé le besoin de coucher par écrit leur vécu. Ils ont aussi ressenti le besoin de témoigner pour la postérité. Le témoignage de Jean Lajat s’inscrit dans cette démarche. Après avoir consigné durant le conflit son vécu, il débute la rédaction de son premier carnet en décembre 1918 pour le terminer au cours de l’année 1919. Soixante ans plus tard il le reprend et rédige à partir de 1974 un second carnet après une visite à Verdun. Ce nouveau récit, complété par ses impressions relativement absentes du premier jet, est consacré exclusivement à cette bataille montre d’ailleurs à quel point elle est devenue au fil du temps un mythe central dans sa mémoire d’ancien combattant.

«Nous regrettons beaucoup la Lorraine ; les gens nous ont offert l’hospitalité d’une façon touchante. Nous passons la journée à Blénod : l’ennemi bombarde violemment Pont-à-Mousson ; il y a une centaine de victimes. Blénod n’est pas épargné ; deux jeunes filles sont blessées une a un bras en moi et l’autre la jambe, un obus tombe dans une grange et tue 13 chevaux » [André Bousquet, Campagne 1914 – 1915Souvenirs p. 260]

L’écriture des cinq soldats frappe à la fois par son côté factuel, simple, parfois maladroit, mais par son aspect précis quant aux faits décrits. Ils témoignent également de la distance qu’ils entretiennent face aux événements et l’impact de ces derniers sur leur moral. Les cinq rédigent à des moments différents de la guerre mais ces textes, mis bout à bout, finissent par proposer des récits complémentaires les uns des autres. Jacques Biron nous permet ainsi d’appréhender le passage de la guerre de mouvement à la guerre de position, tandis que la bataille de Verdun devient le centre de la mémoire de Jean Lajat. La vie quotidienne, écrite en général au présent, dans ses joies, ses rituels, est très présente  aux côtés des manœuvres, les ordres et contre ordres de la hiérarchie, la vision du « boche », sans oublier les sentiments qui se développent et qui évoluent au cours du conflit dans le contexte de l’horreur factuelle de la guerre qui prend assez vite toute sa dimension, parfois au travers de quelques mots, preuve s’il en est qu’il n’est pas besoin parfois de longs développements littéraires pour la représenter.

« Quelle triste vie ! Quand et comment prendra-t-elle fin ? On mange comme des pourceaux, on ne se lève plus, on est plus qu’une bête. Que c’est affreux ! » [Témoignage d’Ernest Aymard, p. 21].

Les relations humaines tout comme les conditions d’hygiène sont décrites à la voix à la fois avec précision et simplicité, tandis que les auteurs n’hésitent pas à se livrer quant à leur moral qui, parfois, sombre dans une incompréhension résignée face à une guerre perçue comme étant finalement absurde tandis que Dieu se fait absent.

L’ouvrage n’oublie pas de rendre une certaine humanité à chacun des soldats. En effet, chaque écrit est précédé d’une notice biographique relativement détaillée présentant les origines et le parcours de ces cinq hommes qui deviennent témoins malgré eux de leur temps. Les photos de ses soldats (extra) ordinaires au front, en famille avant et après le conflit, viennent rappeler aussi avant tout que la guerre est faite par des hommes qui en ont payé le prix fort. Aux visages sont jointes les écritures puisque quelques visuels des pages manuscrites montrant un texte serré, parfois hésitant et maladroit. Des cartes viennent également expliciter le parcours géographique décrit dans leurs journaux et témoignages.

Le lecteur sera nécessairement sensible à la lecture de cet ouvrage majeur tandis que le professeur à la recherche de documents trouvera très largement son compte dans le cadre de la production de séquences pédagogiques renouvelées destinées à ses élèves.

 

Cécile DUNOUHAUD

L’ouvrage est disponible exclusivement via le site internet de référence : https://www.pahmontsetbarrages.fr/animations/publications/

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[1] Le pays monts et barrages est constitué de trois communautés de communes correspondante à 34 communes situées principalement entre Saint-Léonard-de-Noblat et Eymoutiers en Haute-Vienne. Depuis une vingtaine d’années cet ensemble est labélisé pays d’art et d’histoire, label attribué aux communes qui « s’engagent dans une démarche active de connaissances, de conservation, de médiation et de soutien à la qualité architecturale et du cadre de vie » (p.1). En 1999, les élus du pays monts et barrages ont mis en place un service animation chargé de faire vivre et de mettre en valeur le patrimoine du territoire.

[2] Guillaume Martin est animateur de l’architecture et du patrimoine au pays d’art et d’histoire de monts et barrages en Haute-Vienne