Le jeu permet-il d’apprendre autrement ? Est-ce une activité réservée aux enfants ? Voici deux questions parmi d’autres qu’aborde ce nouvel opus de la très intéressante collection « Mythes et réalités ». D’autres titres de cette collection ont été chroniqués sur le site comme « Enseigner ça s’apprend » ou « Les neurosciences en éducation ». 

Le jeu comme objet d’étude

Le plan de l’ouvrage consiste à énoncer une opinion répandue en lien avec le jeu qui est ensuite examinée à la lumière de ce qu’en dit la recherche. Ensuite, les auteurs proposent quelques exemples d’études récentes et une conclusion. Neuf idées sont ainsi abordées. A la fin de l’ouvrage on trouve une rapide reprise sur chacune et, pour aller plus loin, on trouve dix pages de référence à la fin qui récapitulent les différentes recherches notamment citées tout au long de l’ouvrage. Eric Sanchez est professeur à l’Université de Fribourg en Suisse et responsable du Laboratoire d’Innovation Pédagogique. Margarida Romero est professeure à l’Université Côte d’Azur, directrice du laboratoire d’innovation et numérique pour l’éducation (LINE). Le jeu est encore souvent considéré comme une activité oisive ou comme une addiction. En même temps, le jeu semble ouvrir des pistes possibles pour les enseignants tout en sachant, par exemple, que les jeux numériques ne sont pas une « solution miracle à l’ensemble des défis éducatifs ». Eric Sanchez et Margarida Romero présentent alors brièvement les neuf idées qu’ils vont examiner.

Utiliser le jeu : une bonne nouvelle idée ? 

Le premier mythe décortiqué voudrait que le jeu soit une innovation pédagogique qui pourrait résoudre les problèmes de motivation des élèves. Il existe aujourd’hui plusieurs communautés de chercheurs qui réfléchissent en tout cas à cette idée mais qu’en disent finalement les travaux scientifiques ? Une première idée à retenir est qu’il faut s’intéresser davantage à l’expérience ressentie par le joueur qu’au principe même du jeu. C’est le joueur qui interprète une situation comme un jeu. Il faut aussi prendre garde à ce que le jeu soit bien émancipateur et ne se résume pas, pour reprendre cette formule imagée, à du « chocolat recouvrant des brocolis ». Les auteurs présentent ensuite quelques exemples comme « DragonBox ». Les auteurs se demandent ensuite si la ludicisation permet d’améliorer les apprentissages. Elle consiste davantage à « appliquer les principes de conception des jeux à des contextes non ludiques qu’à utiliser des jeux numériques en tant que tel ». Eric Sanchez et Margarida Romero soulignent qu’il n’existe pas d’éléments qui soient automatiquement ludiques. Ils détaillent ensuite des exemples comme « Classcraft », application dédiée à la gestion de classe, et qui encourage les comportements d’entraide comme l’expliquent les quelques lignes qui lui sont consacrées. 

Quel jeu, pour qui et pourquoi ? 

Un article inventorie différentes formes de jeux allant du jeu compétitif au jeu coopératif et les distingue des jeux qui peuvent conduire à des comportements addictifs. Le jeu permettrait de tromper l’élève et l’amènerait à s’engager dans l’apprentissage. La recherche insiste sur trois points fondamentaux à savoir que pour qu’il y ait situation d’apprentissage, il faut des conditions qui favorisent l’appropriation d’un problème par l’apprenant : il faut du choix, de la liberté et de la dédramatisation des erreurs. Les auteurs passent en revue quelques exemples dont « Geome » ou « Chronocoupe ». Dans ce dernier cas, c’est un jeu de puzzle qui consiste à reproduire des coupes géologiques « modèles ». « En reconstruisant les coupes géologiques les élèves sont amenés à s’interroger sur la chronologie des évènements. » Jouer est trop souvent vu comme un passe-temps qu’on oppose à une activité sérieuse. L’idée importante à retenir est qu’il s’agit en réalité de concevoir des activités d’apprentissage par le jeu. Des auteurs pointent la nécessité d’une phase de debriefing pour que le jeu porte tous ses fruits. Une autre question cruciale est le transfert possible ce compétences observables dans un jeu à d’autres situations. Ce que l’on sait en tout cas, c’est que les jeux d’entrainement cérébral n’ont pas fait leurs preuves et que tant qu’à jouer il vaut mieux le faire avec des amis. On peut poursuivre  et se demander si l’intelligence artificielle va permettre de remplacer les enseignants par des jeux. Cette idée relève du mythe car elles ne peuvent pas s’adapter à des situations d’apprentissage marquées par la diversité des élèves. La machine peut fournir une aide. 

Que peut-on attendre du jeu ? 

On pense parfois qu’on acquiert surtout des connaissances procédurales en jouant. Les auteurs s’emploient à montrer que ce n’est pas le cas, comme dans « Urban Science ». Le joueur se trouve en position d’expert et doit conduire des investigations « sur des questions d’aménagement urbain à proximité d’une zone humide écologiquement fragile ».  Il reste à envisager la question du transfert à d’autres situations comme évoqué précédemment. Eric Sanchez et Margarida Romero se demandent ensuite si le jeu ne pourrait pas servir à autre chose qu’apprendre ou enseigner. En effet, il peut aussi être utilisé pour une évaluation diagnostique, formative ou sommative. Dans ce dernier cas on peut évoquer un site comme « Learningapps » qui permet à un enseignant de créer des quiz sous plusieurs formes. En tout cas utiliser le jeu pour évaluer pose la question du traçage de ce que réalise l’élève pour offrir ensuite un retour. Le tableau de bord semble alors un dispositif pertinent. Un des autres mythes examinés voudrait qu’on apprenne mieux en jouant. Il faut d’abord déconstruire quelques idées comme celle qui voudrait que les jeunes soient des digital native ce qui est loin d’être le cas. De même, l’idée de la multitâche est à combattre car elle n’existe pas. Le jeu peut inciter à la découverte mais deux points sont à considérer : le jeu peut être porteur d’une idéologie et des études montrent que la conceptualisation passe par le langage. Il est toujours compliqué de mesurer les effets précis de tel ou tel dispositif. Comme le remarquent malicieusement les auteurs :  aucune étude n’a montré après un siècle et demi la suprématie du tableau noir sur les apprentissages … « tant il est évident que l’intérêt d’un tableau découle …de la manière dont il est utilisé par l’enseignant ». 

En 140 pages, on dispose donc ici d’un panorama efficace et informé sur la question du jeu qui est trop souvent l’occasion de discours péremptoires. Parmi les idées fortes, on retiendra celle de l’expérience de l’élève-joueur, l’importance de la construction de la situation et enfin la nécessité d’un débriefing qui peut permettre de passer de l’expérience à une certaine conceptualisation. 

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.