Dans l’introduction de l’ouvrage, les auteurs expliquent qu’il a été «conçu au départ comme un manuel destiné aux étudiants préparant les concours d’enseignement» mais que diverses raisons les ont conduites à rédiger un essai plus réflexif, conçu comme un complément de tels manuels : cette précision est importante pour comprendre l’utilisation que l’on peut en faire.

« Il n’y a pas de pouvoir qui ne vienne de Dieu » (Rom 13,1)

Le premier chapitre résume certes les grandes évolutions de la période, mais la première moitié est consacrée à une analyse des formes qu’a prises le pouvoir durant ces siècles et à la question de sa légitimité, fondamentalement religieuse puisque tout pouvoir provient de Dieu. Le pouvoir de ban et l’encadrement des hommes dans le cadre de la paroisse, qui s’affirme moins dans le cadre de frontières bien établies qu’autour des pôles que sont l’église et le cimetière, ou dans la seigneurie, dont la définition territoriale ne s’impose qu’à la fin de la période, sont ainsi décrits en relation avec les transformations de la conception du rôle de l’Église dans la société (développement de la tripartition fonctionnelle dans un contexte d’affrontement entre les moines et les clercs) et avec les évolutions socio-politiques (question de la « mutation de l’an mil », affirmation du lignage au détriment de la famille étendue…).

Faire son Salut

La seconde partie du livre est plus exclusivement consacrée à l’histoire religieuse et à l’organisation de l’Église avec un chapitre sur les clercs et en particulier les évêques ; ces derniers reparaissent ensuite, par le biais d’une interrogation sur leur recrutement, dans le chapitre traitant des aspirations religieuses de l’aristocratie. Si les grands ont fondé des monastères, y ont placé leurs enfants et ont demandé à être intégrés à la communauté monastique au moment de leur mort, c’est que les monastères se sont affirmés depuis l’époque carolingienne comme les intermédiaires nécessaires entre les vivants et les morts. L’efficacité de leurs prières pour les défunts est la raison première de leur essor, en particulier de celui de Cluny qui s’est très tôt spécialisée dans cette intercession et a ainsi prospéré sous la protection de la papauté, en se soustrayant progressivement au contrôle épiscopal.
La vigueur de la réflexion théologique, mais aussi la volonté de l’Eglise de mieux contrôler les fidèles, sont attestées au début du XIe siècle par l’apparition et la répression de plusieurs hérésies remettant en cause le rôle de médiateur que tenait le clergé entre les humains et Dieu. Les communautés fondées au cours de ce siècle, comme celles de Robert d’Arbrissel, ont également contesté l’autorité ecclésiastique établie, trop étroitement associée au pouvoir seigneurial, au nom de l’idéal de pauvreté évangélique. Le dernier chapitre revient à l’ordre chronologique pour analyser la mise en place de la réforme « grégorienne », qui vient précisément dénouer ces liens et tenter de rendre à l’Église son indépendance.

Manuel or not manuel?

Outre les raisons invoquées plus haut, un deuxième argument incite à penser qu’il ne s’agit pas vraiment d’un manuel pour candidats aux concours de l’enseignement : l’espace couvert n’est pas celui du programme. Les exemples sont essentiellement tirés de l’Aquitaine et de l’Ouest de la France – les A. enseignant à l’université de Poitiers – et les régions germaniques sont largement absentes, à l’exception de quelques rapides passages dans le résumé du premier chapitre et dans le dernier, consacré à la réforme grégorienne : rien sur le « système d’Église d’Empire » (Reichskirchensystem), pourtant au cœur du programme. Un troisième auteur pressenti, spécialiste d’histoire germanique, n’a pas pu contribuer à la rédaction, et son absence est sans doute à l’origine de cette lacune. La première partie conserve toutefois la trace de ce programme par sa volonté d’aborder tous les aspects qui y sont liés, en donnant parfois l’impression que les passages consacrés spécifiquement au pouvoir laïc ont été pour les A. des « figures imposées » – dont elles se toutefois très bien en dressant un bilan informé et nuancé des différents débats historiographiques. Seulement, le candidat ayant déjà lu un manuel n’en aura pas réellement besoin.
En revanche, le programme des concours leur a fourni l’occasion d’écrire, dans certains passages de la première partie mais surtout dans la seconde, un très bon livre sur l’histoire religieuse de la France de l’époque carolingienne à la réforme grégorienne. Il permettra à toute personne intéressée par la période de comprendre le rôle des prêtres, évêques et moines dans la société médiévale. La part restreinte de l’histoire évènementielle permet de bien faire ressortir les éléments fondamentaux de la civilisation médiévale et rappelle ainsi que, si le développement de Cluny fut un phénomène majeur de la période et si le monachisme en général exerça un attrait très fort sur les laïcs et en particulier l’aristocratie, c’est bel et bien le clergé séculier qui encadrait la masse des fidèles au jour le jour.
Livre pour candidats aux concours? Sans doute pas, ou pas prioritairement. Livre pour étudiants et grand public lettré? Assurément, bien que son titre abscons ait peu de chance d’attirer les foules, d’autant que la qualité de l’écriture (ainsi, soulignons-le, que celle de la typographie, les PUR faisant en la matière un travail remarquable), la lucidité de l’exposition et l’abondance des exemples en rendent la lecture très agréable pour un prix modique.

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