La guerre du Vietnam fait un retour en force dans l’enseignement avec les nouveaux programmes d’histoire de Première. C’est désormais un passage obligé du thème sur la guerre froide. Il y a cependant peu d’ouvrages américains récents disponibles en français. L’ouvrage des éditions Perrin tombe donc à pic, il se veut une histoire complète des guerres du Vietnam, traitant aussi bien des aspects militaires que diplomatiques. Une histoire qui s’inscrit dans la vision orthodoxe de la guerre du Vietnam.

Son auteur, John Prados de l’Université Georges Washington est un spécialiste des questions militaires et diplomatiques. Il a publié de nombreux ouvrages sur le Vietnam, mais aussi la campagne de Normandie ou la CIA. Accessoirement il est aussi créateur de wargame.

Mais ici autant que l’historien, c’est l’homme qui s’exprime à travers un ouvrage dont le titre original est Vietnam, l’histoire d’une guerre ingagnable. Un titre qui correspond mieux à la nature même de cet essai qui est écrit par un homme qui était étudiant dans les années 60. L’auteur envisageait alors de se consacrer à la carrière militaire. La guerre du Vietnam modifia profondément sa vie et ses sentiments sur la période viennent donner un aspect engagé à un ouvrage fort documenté.

Il faut cependant nuancer la quatrième de couverture, l’ouvrage ne s’intéresse vraiment qu’à l’engagement américain dans le conflit. La partie consacrée à la guerre d’Indochine n’est là que dans cette perspective. L’ouvrage suit un plan chronologique des débuts de l’implication américaine en Indochine jusqu’à la prise de Saïgon en 1975.

Une guerre ingagnable ?

Telle est la démonstration de Prado. L’auteur utilise pour son ouvrage de nombreux documents déclassifiés qui permettent de reconstituer les réunions qui se sont tenus à propos du conflit au sein de l’exécutif américain. L’on comprend rapidement que c’est le contexte de guerre froide qui amène les Américains à reconsidérer leur attitude par rapport aux Français la guerre d’Indochine. Et l’on découvre que la plupart de ceux qui seront aux commandes dans les années 60 ont été impliqués à des degrés divers dans les discussions sur la guerre d’Indochine.

L’engagement américain proprement dit découle d’une théorie des dominos dont la validité resterait à prouver. On est cependant surpris de voir que le mécanisme d’envoi de troupes semble répondre à une seule logique, empêcher l’effondrement du Sud-Vietnam. La question de ce que serait une victoire américaine n’est pas clairement posée par l’exécutif. Il ne semble pas y avoir eu de tentatives de mise au point de stratégie réelle pour sortir victorieux du conflit avant la deuxième moitié des années 60. C’est surtout sous Nixon que se pose vraiment la question d’aboutir à un retrait victorieux des troupes américaines. Mais il est déjà trop tard, le coût du conflit est trop élevé pour l’Amérique.

Une défaite militaire ?

Si la victoire militaire de 1975 du Nord-Vietnam sur le Sud ne fait aucun doute. La question d’une victoire purement militaire des Américains fait débat. L’auteur s’attache le long de son ouvrage à démonter la théorie comme quoi une telle victoire aurait été possible et aurait seulement été empêchée par les hésitations du pouvoir politique. Il le fait sans que le récit des combats ne constitue la part la plus importante de l’ouvrage.

L’armée américaine apparait avec ses qualités et ses défauts. Une armée puissante, taillée pour une guerre conventionnelle, ce que n’est pas le Vietnam. Ses soldats sont peu préparés à ce qui les attend. On connait la suite : bavure, drogue…. Ce n’est que lorsqu’après 1968 elle sut s’adapter à la pacification que les résultats progressèrent véritablement.

La montée en puissance des forces américaines se heurte à la nécessité de créer de toute pièce les infrastructures logistiques nécessaires à son emploi. Ce qui prendra de longues années. Cette armée moderne souffre d’une pénurie de combattants au sol, la majeure partie des soldats présents servant dans les services et les troupes d’appui. Un manque que seule une mobilisation massive aurait pu combler, or la décision politique de le faire ne sera jamais prise.

Il en est de même des restrictions liées à l’emploi des forces, notamment lors des bombardements du Nord ou au Cambodge et au Laos, elles limitent leur efficacité. Seul Nixon les lèvera en partie, mais à un moment où les moyens américains sont de plus en plus limités et donc incapable de faire la décision. De plus, il le paiera au prix fort en politique intérieure.

Ces arguments sont repris par certains historiens américains pour démontrer qu’une victoire américaine était possible si la volonté politique d’y mettre les moyens avait été là. Arguments réfutés par Prados qui rappelle que nous sommes dans un contexte de guerre froide et que toute escalade (invasion du Nord-Vietnam par exemple) n’aurait pas manqué d’entraîner une réaction soviétique ou chinoise, et donc un conflit généralisé. Ce qui rendait donc la prise de telles mesures impossibles. Des mesures qui n’auraient pas été acceptées par l’opinion publique américaine, et donc par les électeurs. Lorsque Nixon dépasse les limites, il doit vite reculer car le Congrès lui est hostile. Et même au sein de son armée les refus d’obéissance se multiplient.

Un régime sud-vietnamien incapable

Tout au long de son récit, Prados nous fait découvrir les problèmes qui rongent le régime sud-vietnamien. Un régime qui se révèle incapable de mobiliser correctement ses ressources et sa population. Et ce malgré l’abondante aide militaire et financière américaine. Des dirigeants incapables de faire de véritables choix politiques ou diplomatiques et qui ne perçurent que trop tard que le retrait américain était définitif.

Le régime souffre d’une absence de démocratie qui provoque l’élimination parfois brutale de certains dirigeants. Et qui oblige ceux qui restent en place à des compromis qui ne satisfont personne. Bouddhistes, catholiques, montagnards etc. Les différentes composantes de la société vietnamienne peinent à s’entendre. Tandis que la corruption généralisée de la base au sommet détourne tout ce qui lui passe devant : argent, carburant, produits des PX..

La principale victime en est le peuple sud-vietnamien lui-même. Parfois déplacé de force dans le cadre de mesures de pacification, le plus souvent ignoré et abandonné par les puissants qui le dirige.

Le régime nord-vietnamien apparait peu. Uniquement dans les parties consacrées aux échanges diplomatiques ou à la définition d’une stratégie militaire. Ou plutôt d’une stratégie politico-militaire, les nord-vietnamiens ont rapidement saisi que si le conflit avait lieu en Asie, la décision se ferait dans l’arène politique américaine.
On peut regretter également que l’ouvrage laisse largement de côté le contexte international, en particulier le rôle de l’Union soviétique et de la Chine.

Une guerre contre son peuple

Une formule volontairement provocatrice qui désigne les mesures prises par l’exécutif américain pour combattre les divers mouvements anti-guerre. Tout au long de l’ouvrage, Prados accorde une large place à l’histoire des mouvements hostiles à l’engagement américain au Vietnam.

Des mouvements qui sont très divers, Prados nous fait part de son engagement en tant qu’étudiant dans cette lutte. Les mieux traités sont ceux du mouvement des vétérans du Vietnam contre la guerre dont il relate la création et la montée en puissance. C’est indéniablement un sujet qui lui tient à cœur, les détails sont nombreux, parfois autobiographiques, mais au final cela déséquilibre l’ouvrage.

Mais c’est aussi l’occasion de présenter comment les présidents américains ont utilisé les différentes services de renseignements, civils ou militaires, pour espionner, provoquer, perturber tous ces mouvements. Le lecteur ne sera pas surpris de voir que Nixon emploie là les mêmes procédés, et parfois les mêmes hommes, que pour le Watergate. Bien sûr l’auteur a ici un parti pris. On n’en est pas moins surpris par le fonctionnement de l’administration américaine qui semble rappeler les pires années du maccarthysme. On est bien ici dans un récit à charge.

En conclusion

Un ouvrage dense qui comprend près de 200 pages de notes et de bibliographie. Le style est cependant ardu, et la cartographie pas à la hauteur.

Le contenu privilégie la politique américaine (échanges diplomatiques, discussion de l’exécutif américain, mouvements anti-guerre) sur le déroulement des opérations militaires et le contexte international. On voit tout le travail fait par l’auteur pour exploiter les archives déclassifiées et c’est ce qui fait son intérêt par rapport aux récits classiques de la guerre du Vietnam. A lire donc, mais pas comme une première approche du conflit.

© François Trebosc