Compte-Rendu par Jean Philippe Raud Dugal, professeur au Lycée Edmond Perrier à Tulle.
Katia de Queiros Mattoso, historienne « brésilianiste » comme elle se définit, professeur émérite à la Sorbonne, fut la première à occuper la chaire d’Histoire du Brésil créée en 1988. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages dont l’important, Etre esclave au Brésil, publié aussi chez l’Harmattan.
Elle indique dès la préface que cet ouvrage est composé de mises au point critiques et pédagogiques issues d’articles publiés ou de textes de conférences. La cohérence de l’ensemble est, contrairement à de nombreux exercices du genre, plutôt réussie.L’ouvrage de onze chapitres peut être divisé en trois parties principales : les prémices de la colonisation, l’exploitation des colonies et le système esclavagiste mis en place et enfin ses résultats. L’approche d’abord comparatiste avec les autres espaces de la colonisation dans le monde et le mode de pensée des européens se réduit ensuite à une expertise historique très stimulante sur les inégalités socio-culturelles au Brésil au XX° siècle.Les chapitres qui inaugurent et closent l’ouvrage sont des témoignages de reconnaissance et d’admiration pour deux personnages clés dans l’itinéraire de l’auteur, Celso Furtado et Didi Alapini. Le premier, référence de nombreux historiens, géographes et d’économistes, est mondialement reconnu. Katia de Queiros Mattoso analyse les apports de son ouvrage majeur : ‘La formation économique du Brésil’ publié en 1959. L’auteur adopte une approche très intéressante en soulignant les hypothèses développées par Furtado et en les comparant avec les recherches historiques postérieures, et plus particulièrement en prenant l’exemple de l’essor de l’exploitation de la canne à sucre.
L’article consacré à son ‘maître’, Didi Alpani, est très emprunt de mysticisme. Moins institutionnel et plus personnel, elle rappelle ce qu’elle doit à cet homme, révélateur de l’africanité ancestrale du Brésil. Elle clôt son propos d’une manière qui peut surprendre celui qui n’a pas lu son ouvrage ‘Le religieux comme explication du monde n’est-il pas aussi vaste que toute expérience vécue ? » (p. 237).
Katia de Queiros Mattoso commence ensuite une série de chapitres qui retracent l’expansion européenne et ses causes profondes. ‘1492′ apparaît comme présage de modernité et permanences anciennes. Cette conquête est avant tout histoire de prestige, de richesses mais aussi des rapports que les savants entretiennent avec la réalité. Elle le précise d’ailleurs p. 34 : ‘L’Atlantique est un vide politique merveilleux pour qui a le courage de l’affronter. ». La conscience religieuse rivalise avec le désir de nouvelles conquêtes et de gloire. La conquête du Brésil en 1500 est l’objet de son second article, ‘Pêro Vaz de Caminha ou la rencontre des deux mondes’, qui est l’analyse, sociologiquement et ethnologiquement, d’un article littéraire sur le journal de bord de ce capitaine longeant le littoral brésilien, véritable lettre de découverte d’une vingtaine de pages de la ‘Terra de Vera Cruz’. L’humilité des portugais en mai 1500 tranche avec les clichés habituels liés à la prise de possession des terres rappelant ainsi la rencontre des indiens par Lewis et Clark en 1804 lors de la conquête de l’ouest américain. La religion chrétienne est là aussi omniprésente avec un esprit missionnaire qui l’emporte sur le domaine matériel.
Le dernier article relatant la conquête est une analyse de l’ouvrage de A. Dupront, ‘L’Europe et les pays en voie de développement’. La découverte du nouveau monde permet aux européens, confrontés à la menace turque, de se trouver une conscience européenne commune même si aucune valeur originale n’en est sortie. Il insiste ainsi sur l’importance extrême de la bourgeoisie dans ces conquêtes. Les propos de Montaigne à propos du Nouveau Monde, critiquant la colonisation forcée et la manière d’entreprendre ouvrent la voie aux critiques formulées dans la deuxième moitié du XX° siècle.
L’auteur s’attache ensuite à détailler l’importance, au cours de la colonisation et de l’Empire, du système esclavagiste. L’exploitation du Brésil fut longue et exigeante. Elle demanda plus d’inventivité et finalement fut plus constructive que toutes les autres conquêtes portugaises. Le déficit de la population indigène a abouti au recours à l’esclavage. Ce système a-t-il permis l’effacement du Portugal derrière un Brésil tout puissant ? C’est la problématique centrale de l’auteur. Elle retrace l’utilité de la traite, compare le cas brésilien avec les autres colonies portugaises mais aussi espagnoles sans oublier la pratique multiséculaire de l’esclavage musulman mais n’aboutit pas véritablement à une réponse très claire. L’article suivant, ‘Cent ans d’esclavage au Brésil’ poursuit la recension de ces nouvelles problématiques liées à l’Histoire du Brésil et aux conséquences de l’esclavage : Le Brésil métis a-t-il cherché à oublier l’esclavage ? Décrite par une majorité de la population (à 60% métis) comme « une misère à oublier », la célébration de héros noirs comme Zumbi, révolté contre ses maîtres ou encore des héros internationaux comme Martin Luther King ou Malcom X, n’en est pas moins une donnée importante pour comprendre la société brésilienne. Les militants de la mémoire noire sont principalement réunis autour des églises comme « l’église catholique de la libération » et quelques associations culturelles, dans le combat de l’éducation et de la politique. La mémoire est aussi appauvrie par le manque de profondeur historique de la majorité des ouvrages. L’auteur conclut en disant que « La douceur des rapports sociaux au Brésil devient un mythe sans fondements, il y a des facettes de violence cachées. ».
Cette volonté d’oubli est liée à la mise en place d’un véritable système de « castes » lié au blanchissement par le métissage. On retrouve ces constatations dans les trois articles suivants. Le poids des affranchis au Brésil, retracé dans sa profondeur historique par Katia de Queiros Mattoso était énorme. Leur assimilation ne fut pas faite facilement d’autant plus qu’un affranchi créole devenait citoyen brésilien et qu’un affranchi africain restait étranger. Les différences spatiales sont énormes entre un Sud où l’affranchi subit la concurrence des colons européens alors que dans le Nordeste ou dans le Minas Gérais, où la population est à dominante métisse, il trouvera plus de solidarités. Un statut global est donc impossible à faire.
Enfin, l’article «Les inégalités socio-culturelles au Brésil à la fin du XIX° siècle » conclut parfaitement toutes ces études en montrant que le pivot de la société brésilienne est la famille où rien n’est encore figé et immobile. La fin du dialogue entre les cultures européennes et africaines fin XIX° siècle, entre les élites et les héritiers des esclaves, est la marque que « la décolonisation des mentalités des élites ne s’est pas faite à temps » (p.188).
Au total, cet ouvrage, de lecture aisée, est passionnant à de nombreux points de vues : scientifique : il permet une approche renouvelée de l’étude historique et géographique du Brésil. Culturel tant la diversité est manifeste pour ce pays-continent. Les professeurs du secondaire y trouveront une grande utilité pour appréhender les racines de la colonisation européenne du XVI° siècle. Pour les étudiants, ce livre apparaît comme un recueil d’articles de base pour mieux appréhender cet espace.
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