Dans une collection baptisée « Lignes de vie d’un peuple », les Ateliers Henry Dougier nous proposent une mise au point sur un peuple à partir d’une série de courtes enquêtes et d’interviews.

A la découverte des Japonais

Ce court opus est écrit par le géographe Raphaël Languillon-Aussel, spécialiste des villes japonaises. Il a notamment enseigné à l’Université de Nantes et de Perpignan avant d’obtenir un poste de chercheur à l’Université de Genève en Suisse. Passé par des universités japonaises comme celles de Chuo et de Tokyo, l’auteur a publié un dossier consacré à l’archipel nippon pour le site Géoconfluences. Il est également intervenu de façon très convaincante lors du Festival International de Géographie 2018 à Saint-Dié-des-Vosges sur le thème du vieillissement en France (avec des comparaisons de nature prospective avec la démographie japonaise).

L’archipel est le terrain de prédilection de l’auteur, qui, à ce titre, nous emmène à la rencontre de sa population.

Pays du zen et du nô, de la cérémonie du thé ou des bains chauds, le Japon est aussi la terre du seppuku (le suicide rituel), du kamikaze, du karaoké, des mangas ou du kabuki. Au raffinement d’une culture du silence s’oppose celui, brutal, d’une culture du cri, du désordre organique et du chaos.

Raphaël Languillon-Aussel, Les Japonais, Ateliers Henry Dougier, p. 11.

L’homogénéité de la société japonaise : un mythe ?

C’est à partir de cette question que se construit la première partie de l’ouvrage. La population ne peut être réduite à son caractère unitaire : elle est nécessairement plurielle. Les îles, comme celle d’Aguni au sein de l’archipel des Ryūkyū, en sont un exemple : deux dialectes sont parlés sur cette île de 800 habitants.  Cette division crée des inégalités et entraîne des transformations sociales. L’exemple d’une île éloignée (rittô) permet donc d’aborder la diversité de la population japonaise. Cette situation se retrouve sur la grande île septentrionale d’Hokkaïdo avec la minorité aïnoue.

Descendant du peuple des Ryūkyū, M. Nakazato raconte son attachement à son territoire de proximité. Depuis la colonisation japonaise, les différences culturelles entre son archipel ultra-périphérique (Naha + les îles éloignées) vis-à-vis du reste du Japon sont fortes. La tendance actuelle est celle d’une uniformisation culturelle : les jeunes copient les modes de vie du reste du pays au détriment des coutumes locales. Le respect aux défunts est différent : les îliens d’Aguni pratiquent l’inhumation contrairement à l’île principale où la crémation est majoritaire.

L’ouvrage est parsemé de nombreuses anecdotes. Par exemple, le recrutement des employés pour les grandes entreprises a lieu sur une période très courte, en avril selon Kotaro Mori, un salaryman interviewé à la page 24. Il présente également le peu d’importance accordée aux filières lors des études. Ce qui compte est la formation interne délivrée par l’entreprise du nouvel employé : les formations académiques sont peu prises en compte par les recruteurs. Dans son cas, Kotaro Mori suit les cours dans une école privée chaque samedi pour compléter sa formation, et arrive plus tôt au travail pour étudier une demi-heure.

L’interview suivante présente un lieu singulier : tenu à Kyoto par Nana Suzuki, ce bar est dédié au chat-brun. L’organisation spatiale de ce lieu favorise les discussions au contraire du système cloisonné des auberges (de type izakaya).

Les lieux récréatifs comme le bar de Madame Suzuki ne sont pas fréquentés par toute la population. Certains quartiers concentrent des franges très pauvres, constituées de travailleurs précaires, de marginaux mais également d’évaporés (personnes qui choisit de disparaître volontairement). A Yokohama, le quartier de Kotobuki se situe à proximité du quartier chinois visité par les touristes (Chugakai). Kotobuki est un quartier où la gentrification est en cours : les sans-domiciles fixes et les travailleurs journaliers précaires sont peu à peu remplacés par des touristes ayant peu de moyens. Les problèmes sont moindres pour les tenanciers d’hôtels bas de gamme.

Le Japon se caractérise également par des conditions extrêmes concernant l’éloignement, la densité et les aléas. Les sharehouses sont des immeubles « où vivent ensemble une centaine de jeunes […]. C’est un produit immobilier novateur fondé sur un nouveau mode de vie : la communauté. Tout est partagé : la cuisine, la salle de bains, les toilettes, les services, les salles d’étude, de cinéma, de télévision… Seul réduit d’inimité, des chambres, sans eau, sans plaques chauffantes, sans rien, juste un lit, un mini-frigo, une table et une armoire. Impossible de vivre anonyme ici. (p. 45) ». Originaire de la préfecture de Tottori, la jeune femme qui fait la visite décrit son parcours depuis sa préfecture rurale célèbre pour ses dunes de sable jusqu’à la banlieue tokyoïte.

Abordé par Rémi Scoccimarro dans son atlas du Japon paru chez Autrement en 2018, le surdépeuplement (kaso) est illustré par l’interview du maire d’une commune de l’île de Kyushu, nommé Kobayashi. La commune faisait face à une perte massive des populations jeunes et perdait du dynamisme jusqu’à son élection. Ce petit chapitre est l’un des plus pertinents pour les enseignants afin de mieux comprendre les mécanismes permettant à un espace rural marginalisé de se réinsérer par des processus de redynamisation. Le développement à venir repose sur le tourisme culinaire en reprenant les produits du terroir dépendant de l’agriculture locale. Il faut savoir que les veaux donnant les bœufs de Kobe viennent traditionnellement des élevages de cette commune. Une montée en gamme a lieu concernant les fruits. Les prix atteints sont extrêmement élevés : jusqu’à 150 € pour une mangue de Kobayashi et jusqu’à 15 € pour une seule fraise blanche ! La redynamisation passe également par la production de caviar à partir d’esturgeon.

Le portrait de Kiyoshi Okuhara vivant sur l’île d’Aguni dans le Sud-Ouest des Ryukyu permet concrètement d’aborder de nombreuses problématiques : la gestion de l’eau, la place de la population active dans un espace rural insulaire marginalisé, la gouvernance local, la production de sel. Le nouvel arrivant a même eu l’idée d’une production de bière afin de faire connaître son île à la population japonaise (pour un développement reposant à la fois sur la production de bière, le tourisme et l’art). Une véritable géopolitique locale est visible sur cette île de 800 habitants. Le concept de sur-insularité, tel que défini par le géographe Philippe Pelletier, illustre bien les problématiques actuelles d’Aguni : cette île est « l’île de la périphérie d’une île » (p. 56). On retrouve ce concept lors du portrait de Madame Jitsuo, chrétienne vivant dans les îles Goto (extrême-ouest du Japon).

La culture du risque est abordée par la fatalité et l’optimisme de Monsieur et Madame Itou, vivant à Tonomachi dans la préfecture d’Oita à Kyushu. Un typhon les a contraints à se réfugier dans la ville voisine car le niveau de l’eau avait beaucoup monté.

L’influence des lobbys pro-nucléaires est joliment mis dans son contexte historique grâce aux œuvres de fiction. Dans les années 1950, Disney a produit un dessin animé « Our friend the Atom » pour convaincre les plus jeunes. Les mangas sont également mobilisés à ces fins avec des titres comme Astro Boy (dont la puissance repose sur l’atome) ou Doraemon (dont le fonctionnement est lié à l’énergie atomique).

Les portraits choisis illustrent de nombreuses composantes de la société pour en brosser un panorama : un nikkeijin (descendant de Japonais émigrés en Amérique du Sud, notamment en Colombie, au Brésil et en Argentine), un artisan d’instrument traditionnel. Par exemple, la mondialisation est au cœur des préoccupations de ce dernier. Le shamisen (instrument de musique à trois cordes) qu’il fabrique, nécessite du bois rouge importé d’Inde et des peaux de chiens/chats importées de Chine et de Corée du Sud pour en tapisser la caisse de résonance. Les prix sont donc devenus très élevés et les critiques des associations de défense des animaux nombreuses.

Parsemées de nombreuses références à la métropole lyonnaise au sein de laquelle a étudié l’auteur, et portée par un style d’écriture dynamique, cette synthèse permet de dresser un panorama de la société japonaise dans toutes ses dimensions.

A noter que les prochaines sorties dans cette collection, prévues en 2018-2019, s’intéresseront aux Belges, Marocains et Cambodgiens.

Pour aller plus loin :

Présentation de l’éditeur

Antoine BARONNET @ Clionautes