Dans une collection baptisée « Lignes de vie d’un peuple », les Ateliers Henry Dougier nous proposent une mise au point sur un peuple à partir d’une série de courtes enquêtes et d’interviews.

A la découverte des Thaïlandais

Ce petit livre est écrit par la politiste et juriste Eugénie Mérieau qui enseigne à Science-Po Paris. Passé par des universités thaïlandaises, l’auteur s’y rend fréquemment et a publié deux livres consacrés à la politique thaïlandaise (en français et en anglais).

Elle y livre une profonde réflexion sur l’identité thaïe autour du concept de kwampenthai  que l’on traduit en français comme la « thaïtude ». Ce sentiment repose à la fois sur la monarchie et sur le bouddhisme. Le concept est « tout aussi clivant que ses formes sont floues » (page 15). Oscillant entre autoritarisme et démocratisation, entre le poids de la religion et une volonté séculariste, le pays offre des facettes spécifiques en fonction des acteurs (religieux, civils, touristes, expatriés).

Le géohistorien Thongchai Winichakul enseigne l’histoire à l’Université du Wisconsin, aux États-Unis. Il insiste sur les traditions historiographiques (notamment la supposée absence de colonisation du royaume de Siam puis de la Thaïlande qui permet de renforcer la légitimité de la famille royale autour des grandes valeurs thaïes). Selon lui, la transition politique du Royaume de Siam à la Thaïlande est rythmée par de nombreux soubresauts politiques. La monarchie absolue est abolie en 1932 à la suite d’une révolution. Ce sentiment de thaïtude est né précisément à ce moment-là. La géographie a également son importance dans la construction du concept.

[Eugénie Mérieau] Comment la science géographique a-t-elle été mobilisée dans la construction discursive du Siam en tant que nation ?

[Le géohistorien Thongchai Winichakul] La géographie constitue l’un des éléments fondateurs de la nationalité : il s’agit d’un construit qui marque l’existence d’une nation thaïlandaise sur la terre. L’instrumentalisation de cette science a service de fondement au nationalisme le plus brut, à l’idée d’un État unitaire et homogène, soudé par la douleur de la perte historique de territoires.

Eugénie Mérieau, Les Thaïlandais, Ateliers Henry Dougier, p. 24.

Le géohistorien insiste également sur le phénomène social qu’il nomme « hyper-royalisme » pour désigner la radicalisation de la monarchie thaïlandaise. Le crime de lèse-majesté est puni de 3 à 15 ans d’emprisonnement pour des insultes ou menaces envers le roi, la reine, le régent ou l’héritier.

Le procès des auteurs présumés du meurtre d’un avocat et militant des droits de l’homme en 2004 est sur le point de se terminer dans le portrait suivant. Sa femme réclame un verdict après 12 années de batailles judiciaires. Son mari défendait la communauté malaise du Sud de la Thaïlande.

Dans les années 1960-1970, la croissance économique du pays est l’une des plus rapides d’Asie selon l’économiste Pasuk Phonphaichit qui enseigne à l’université Chulalonkorn à Bangkok. Elle a néanmoins créé des inégalités entre le centre et les périphéries notamment entre Bangkok et l’Isan (la région du Nord-Est).

A plus de 80 ans, le militant de la démocratie Sulak Sivaraksa dénonce le règne de l’argent chez les représentants politiques et religieux (avec l’exemple du temple Dhammakaya qui est l’un des plus puissants de la capitale). Le poids de la corruption reste important.

Quatre grandes familles exercent une influence politique nationale depuis leur bastion régional. La majorité est sino-thaïe : la famille Shinawatra dans le Nord, Chidchob dans le Nord-Est, autour de Buriram, Silpa-archa, dans le centre, et la famille Thueaksuban dans le Sud. Ces logiques locales se retrouvent également dans les investissements. Anucha Chaiyated, un businessman installé à Bangkok monte une équipe de football avec des joueurs de sa région d’origine, l’Isan. Un documentaire nommé « Exil Football Club » et diffusé sur Public Sénat est disponible pour prolonger la présentation de son projet sportif.

Le chapitre sur la ville de Bangkok se caractérise par la description d’une ville où les espaces publics sont quasi-absents. Le centre-ville est peu habité et les logements sont majoritairement en périphérie. On y apprend les raisons expliquant la forte politisation des chauffeurs de taxi dans le pays ou encore les débats autour de l’omniprésence de l’accent de la capitale dans la langue thaïe.

Qui connait Plaek Phibunsongkhram, le dirigeant et admirateur de l’Italie fasciste de Benito Mussolini au pouvoir en Thaïlande dans les années 1930-1940 ?

Ce petit livre permet une lecture sociale et historique originale à travers des chapitres synthétiques donnant la parole à de nombreux acteurs de ce pays émergent d’Asie du Sud-Est.

Pour aller plus loin :

Présentation de l’éditeur

Antoine BARONNET @ Clionautes