Un auteur, un angle
Un auteur choisit un angle, une grille d’analyse et entraine le lecteur à la rencontre de ceux qui vivent dans le pays concerné. Edgar Dasor, correspondant pour de nombreux magazines, a vécu en Chine pendant dix ans environ. Arrivé en 2003, il a sillonné le pays, en a étudié la langue et a donc étoffé sa connaissance du pays au fur et à mesure. Il ne cherche pas à envisager la totalité du pays, mais se consacre aux jeunes Chinois ce qui représente tout de même 200 millions de personnes ! Le livre alterne les récits et interviews.
Une collection humaniste
Chaque livre de la collection est clairement identifiable par sa couverture où l’on voit une main et par un sous-titre attaché au peuple. Les Anglais sont « dans le doute », les Allemands « décomplexés » et les Polonais « audacieux ». Il ne faudrait pas pour autant croire que la collection cherche à résumer la diversité d’un peuple autour d’une formule simplificatrice. Une des volontés clairement affichée de cette collection est de « briser la tentation du repli sur soi » en faisant découvrir identité et vitalité d’un peuple dans sa diversité. L’ouvrage est organisé en cinq chapitres et offre un sommaire détaillé qui permet de s’y repérer facilement. Les dix sept personnes interviewées sont identifiées brièvement. Les thèmes abordés concernent la « folie urbaine », « l’angoisse environnementale », « l’atelier du monde en mutation », « le monde intellectuel » et « à l’intérieur et à l’extérieur des frontières ».
La folie urbaine
Dès ce premier chapitre, on apprécie la précision du propos. L’auteur commence par évoquer la notion cruciale de « hukou ». C’est un système d’enregistrement qui distingue les citadins et les ruraux au détriment de ces derniers qui ne bénéficient pas des mêmes avantages s’ils choisissent de résider en ville. Cette division a créé le phénomène des « mingong », c’est-à-dire ces ruraux qui travaillent en ville. Ce début du livre est révélateur car il pose des jalons essentiels pour comprendre la société chinoise d’aujourd’hui. Edgar Dasor propose une interview avec une professeure d’urbanisme afin qu’elle analyse cette particularité chinoise. Celle-ci souligne que quatre-cents nouvelles villes ont vu le jour depuis 1978. Elle se montre aussi critique sur la notion d’écoville, souvent promue, mais peu réalisée.
Des anecdotes sur la vie quotidienne
Le livre offre de nombreuses anecdotes et tranches de vie qui pourront servir dans nos cours sur la Chine. Il révèle souvent des réalités cruelles comme avec l’histoire de Yan Haiqing qui raconte son parcours pour faire soigner son fils malentendant. La description des hôpitaux bondés et des arnaques sont à cet égard assez effrayantes. L’auteur revient aussi sur les déséquilibres générés par la politique de l’enfant unique. Mais, au-delà des décisions officielles, plusieurs remarques donnent à voir une société qui change et qui n’accepte plus forcément de se soumettre automatiquement au pouvoir.
L’angoisse environnementale
Le thème s’impose de plus en plus fortement. En 2007, la Chine publiait le premier rapport national sur le changement climatique. Une professeure de sciences politiques évoque le problème des lois et de leur interprétation. La société chinoise se mobilise de plus en plus et peut obtenir des résultats, comme le fait de différer la construction d’une usine d’incinération proche d’habitations. Des applications comme China Quality air index se développent.
L’atelier du monde en mutation
La croissance chinoise est évidemment impressionnante sur un quart de siècle. L’auteur rappelle qu’entre 1991 et 2010 le PIB a augmenté de 577 %. Mais la Chine change avec à présent une baisse du nombre de personnes en âge de travailler. En 2004, 1 % des Chinois avaient une carte de crédit. En mai 2010 il y a eu la première grève générale de l’histoire contemporaine de la Chine à Foshan dans le sud du pays dans une usine Honda. La Chine connait en tout cas une mutation accélérée et à propos d’Internet, l’auteur dit que « la Chine se jette dans le tout Internet. Cinquante ans d’histoire occidentale compressée, ici, en dix ans. »
Le monde intellectuel entre effervescence et hibernation
Ce chapitre permet d’aborder une dimension importante de la Chine actuellement à savoir le soft power. On voit également comment les films s’adaptent de plus en plus pour « ne pas froisser la censure chinoise ». Skyfall a ainsi gommé toute allusion à la corruption et à la prostitution en Chine. Ensuite, l’auteur aborde à travers quelques interviews la question de l’éducation en Chine. Les plus riches investissent dans la formation de leur enfant. Il faut se méfier du classement Pisa car certes Shanghai se classe en tête, mais le niveau des écoles rurales est bien différent.
A l’intérieur et à l’extérieur des frontières
Cette dernière partie commence par une interview de Zhao Suisheng, professeur à l’université de Denver et rédacteur de la revue interdisciplinaire « Journal of contemporary China ». Il explique la place du nationalisme chinois et ses caractéristiques. « Le régime a voulu et veut renouveler sa légitimité et moderniser le pays en se servant des humiliations passées comme force motrice ». Le livre évoque enfin les « haigui », les « tortues de mer », formule qui désigne les jeunes Chinois ayant fait des études à l’étranger : en 2014, 450 000 étudiants sont allés étudier à l’étranger
La lecture qui mêle interviews et textes de synthèse est très agréable. Alternant le particulier et le général, le livre d’Edgar Dasor offre donc un panorama de la jeunesse chinoise d’aujourd’hui. Il la montre dans sa diversité et dans sa vigueur et rend compte aussi de ses interrogations et de ses doutes.
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes