Les Jeux Olympiques de 2012 de Londres peuvent constituer une pertinente étude de cas pour travailler en géographie l’impact d’un grand évènement sur les territoires. C’est dans cette perspective que l’on peut puiser dans l’ouvrage coordonné par Jean Marc Holz qui explore à différentes échelles les effets de “l’onde olympique”, de la concurrence entre les villes pour l’accueil des JO, au processus de transformation selon le cycle « production/gestion/promotion/patrimonialisation ».
L’ouvrage se décompose en trois parties : après avoir présenté le cadre planétaire des JO, il s’attache à décrire, au travers de nombreux exemples pris dans le passé, les mutations territoriales consécutives à la tenue de cet évènement, avant d’analyser des exemples récents – les JO de Londres – ou des échecs – Annecy 2018.
Le cadrage à l’échelle planétaire renvoie à une lecture déséquilibrée du monde :
– Selon un découpage Nord-Sud marqué par le poids des Etats-Unis et de l’Europe : ils sont les principaux fournisseurs de CIO (Comité International Olympique, pivot de l’organisation des JO).
– Selon l’héritage historique : les villes d’accueil des JO sont d’abord européennes, et le programme repose sur des sports nés en Europe.
On observe cependant une dynamique de mondialisation des JO correspondant à l’émergence de nouveaux Etats capables de supporter une politique de développement du sport de haut niveau et la mise en place de structures solides aptes à fédérer la diffusion d’un sport. Une autre dynamique est soulignée : celle de la féminisation des Jeux, notable à partir des années soixante sous l’impulsion des pays communistes, non achevée car marquée par une sous-représentation des femmes dans les pays pauvres et les pays musulmans.
La mondialisation des JO est incontestable au vu du nombre de CNO (Comité National Olympique) qui se sont agrégés, mais elle est marquée par une polarisation forte autour de quelques pays (Etats-Unis, URSS, Allemagne, Royaume Uni, France), qu’il s’agisse du nombre des athlètes ou des succès remportés. Une façon de contrer ce déséquilibre réside dans la stratégie de spécialisation dans un sport. L’auteur élabore alors une typologie des puissances sportives selon des critères de richesse économique et de performances sportives.
L’exemple de l’Inde, nain olympique est questionné : alors que les pays émergents récupèrent dans la période récente un nombre croissant de trophées, l’Inde reste en retrait. L’analyse énumère plusieurs facteurs : la faible élite sportive indienne, le niveau de pauvreté du pays, la culture indienne qui exclue la notion de record et de performance… (très discutable à mon avis si l’on considère les aspirations des élites et la classe émergente indiennes) sauf pour le cricket, exception indienne.
La deuxième partie intéresse le géographe de l’aménagement.
Après une incontournable présentation des villes olympiques alpines, on lira avec intérêt les articles concernant Athènes et Barcelone.
Les transformations de la ville d’Athènes lors des JO de 2004 sont largement décrites. « Les JO ont été un véritable catalyseur des mutations urbaines qu’ils provoquent ou accélèrent (…) un outil d’organisation, d’aménagement, d’équipement ».
La participation aux JO nécessite l’élaboration d’un projet urbain, d’un programme global de rénovation urbaine : dans la mise en valeur du patrimoine, l’amélioration du cadre de vie (voirie, places), le réaménagement du front de mer (requalification à partir de l’existant, notamment les friches industrielles). Par ailleurs, si les JO nécessitent des aménagements spécifiques, ils sont aussi pensés pour « l’après-JO » : c’est le cas du volet transport (extension du métro, mise en place d’un tramway, d’un périphérique), ou de l’hébergement (les 24 villages olympiques s’inscrivent au sein du programme de planification urbaine). L’impact des JO est immédiatement mesurable : les sites JO sont la base d’un nouvel équilibre urbain, d’une nouvelle image de la ville ; Athènes a su communiquer cette nouvelle image et bénéficier ainsi de retombées touristiques.
1992, Barcelone est ville d’accueil des JO. L’exemple du quartier olympique (village et port) est décrit comme un exemple d’urbanisme durable. Construit sur le périmètre d’un espace littoral et central, marqué par les bidonvilles et les friches industrielles, le projet a profité de l’impulsion des JO pour voir le jour… en évitant les contestations sociales. Comme pour de nombreuses villes portuaires, l’idée était d’ouvrir la ville à la mer par une reconquête de ce quartier barrière de Poblenou. Cette opération de requalification urbaine a transformé complètement cette portion d’espace littoral tout en engendrant un processus de gentrification.
L’impact des JO organisés à Londres en 2012 traverse la Manche. On lira avec attention deux textes sur les JO… du Nord-Pas-de-Calais ! Ils peuvent être des supports pertinents pour une comparaison de fond et de forme avec les élèves. Le premier texte écrit par un journaliste insiste sur le rôle des acteurs régionaux (villes, département, région et euro-région du Channel District) qui ont mis en œuvre une série de mesures d’équipement, les JO jouant le rôle de booster de projets. Le deuxième écrit par un géographe, J.M. Holz en l’occurrence, présente surtout les effets spatiaux à l’échelle locale et régionale de ce Mega-Event. La région ne manque pas d’atouts : une région polynucléaire avec un réseau urbain dense, bien organisée autour de métropoles internationales (Lille, Bruxelles) et proche de villes globales (Paris, Londres) ; l’opération associant la Flandre belge devient alors un laboratoire européen de coopération transfrontalière.
L’ouvrage s’achève sur une analyse de la défaite d’Annecy pour sa candidature aux JO 2018. Les raisons de cet échec résident dans une gouvernance chaotique marquée à la fois par une multitude d’acteurs et l’absence de l’Etat, une attitude “localiste” privilégiant une vision à court terme et étriquée, une logique de développement territorial répondant aux besoins des élus et industriels locaux, au détriment d’une conception globale correspondant à l’esprit olympique. La Corée du Sud a compris les enjeux de la mondialisation des JO et a proposé un produit fini et ambitieux, associant volontarisme étatique et participation des grandes firmes, à la mesure des dynamiques qui touchent l’Asie, la « nouvelle frontière du sport mondial ».
L’ouvrage s’appuie sur de nombreux chiffres, très fouillés, des cartes (d’une qualité de lecture très moyenne cependant), de schémas modélisant, mais n’intègre qu’une seule photographie. L’alternance d’articles rédigés soit par des journalistes, soit par des géographes donnent un rythme agréable à la lecture, même si l’on note quelques redondances. L’enseignant y trouvera matière à développer une étude de cas sur l’aménagement d’un territoire, affinera son approche du développement régional en l’intégrant aux différentes échelles spatiales ; il pourra aussi entrer par les JO dans une lecture de l’espace mondialisé, découpé et hiérarchisé selon une logique et des dynamiques qui tiennent plus de la compétition économique que sportive.
Brigitte Manoukian Les Clionautes