L’éditeur Bamboo lance dans son appellation Grand Angle une nouvelle collection autour des Justes. Le titre de  « Juste parmi les Nations » a été crée en 1953 par Israël et est remis par le mémorial Yad Vashem. Il est lié évidemment à la Shoah et plus particulièrement au procès Eichmann de 1963, les témoins signalant de manière massive durant ce procès le rôle de femmes et d’hommes dans la protection des juifs d’Europe face à la politique nazie d’extermination. Plus de 28 000 personnes sont aujourd’hui récipiendaires de cette distinction.

Pour reprendre les termes du site Yad Vashem :  » L’attitude envers les Juifs durant la Shoah oscille principalement entre indifférence et hostilité. La majorité des gens demeurent passifs alors que leurs voisins de toujours sont arrêtés, déportés ou tués ; certains collaborent avec les meurtriers ; nombreux sont ceux qui bénéficient de l’expropriation des biens juifs. Dans un monde en proie à un total effondrement moral, une petite minorité, les Justes parmi les Nations, fait preuve d’un courage extraordinaire pour défendre les valeurs fondamentales de l’humanité, se démarquant radicalement du courant dominant d’indifférence et d’hostilité qui prévalut durant la Shoah. Contrairement à la tendance générale, ceux-ci considèrent les Juifs comme des frères humains envers lesquels ils ont des obligations morales. »

Le 2e tome de départ de cette collection est consacré aux époux Schindler. Les auteurs de la BD insistent bien sur le fait que les époux Schindler qui sont mis côte à côte dans cette opération de sauvetage qui a permis à plusieurs centaines de juifs d’échapper aux centres de mise à mort. Longtemps oubliée, à la différence de son mari Oskar, Emilie Schindler est la narratrice de cette BD. Le dossier final de la BD lui est aussi consacré intégralement.

A travers le parcours de 2 reporters qui veulent faire un documentaire sur elle, la narratrice nous fait revivre les étapes importantes de sa vie. Allemande de Moravie, exilée en Argentine et abandonnée par Oskar après la guerre, déterminée à épouser son mari sans le consentement de sa famille, au coeur des projets de sauvetage, c’est le portrait d’une femme digne, obstinée, caractérielle (au sens positif du terme), vivante qui nous ait présenté.

Oskar Schindler a cette particularité d’avoir été membre du parti nazi et plus spécifiquement de l’Abwehr, le service de renseignement de l’armée allemande. Joueur voire flambeur, ambitionnant (et pratiquant) un train de vie largement supérieur à ses revenus, amateur de femmes, le portrait dressé d’Oskar Schindler n’occulte aucune part d’ombre.

Envoyé en Pologne, il rachète une entreprise d’émail à proximité du futur ghetto de Cracovie. Il la rachète alors à des juifs polonais qui ne peuvent plus posséder d’entreprises. Jouant de ses relations militaires et de son pouvoir de séduction, il en transforme une partie en ligne de fabrication de munitions, contractant avec l’armée allemande, ce qui lui assure de très hauts revenus. L’usine embauche dès lors de plus en plus de juifs polonais pour plusieurs raisons: Oskar les paie moins cher ; ses associés juifs embauchent des juifs pour les protéger du ghetto et leur permettre d’en sortir; mais surtout, Oskar est au courant de ce qui se trame à l’Est et va s’engager personnellement dans une lutte contre la mort.

Pour cela, il n’hésite pas à se rapprocher et à graisser la patte d’Amon Göth, le « boucher d’Hitler », commandant du camp de concentration de Plaszow, liquidateur des ghettos de Cracovie et de Szebnie. Ainsi, il arrive à protéger, en partie, les travailleurs juifs de son entreprise, créant même un dortoir au sein de l’usine. Mais dans ce petit jeu, Oskar et Emilie ne sortent pas toujours gagnants.

Ils créent néanmoins une nouvelle usine d’armement, employant jusqu’à 1200 personnes, à Brünnlitz, en République tchèque, près du camp de concentration de Gross-Rosen. Oskar y sauve la vie de plusieurs femmes envoyées à Auschwitz-Birkenau en allant lui-même, et à grand coup de diamant, sur place.

Le quotidien d’Emilie et d’Oskar est aussi marqué par la recherche constante de nourriture. S’occuper d’autant d’employés, à la charge unique des époux Schindler, est une entreprise éprouvante, la situation s’aggravant fin 1944 avec l’avancée de l’Armée rouge. L’Europe de l’Est libérée par l’Armée rouge, c’est désormais la fuite qui préoccupait les époux Schindler, après un ultime adieu à ses ouvriers.

Au final, une BD magnifiquement scénarisée qui relate une aventure humaine unique et met en scène un couple haut en couleurs. La grande intelligence de cette oeuvre est notamment de présenter des humains dans leur complexité intellectuelle, émotionnelle, sans autre parti pris que d’essayer d’être fidèle à la réalité. Nous ne sommes pas ici dans une hagiographie, mais dans un travail d’historien. Le tout est servi par un graphisme impeccable, les auteurs ayant fait le choix d’alterner entre couleurs et noir et blanc, entre présent et passé, à l’image du film de Spielberg auquel il est fait référence à plusieurs reprises.