La guerre d’Algérie et la bande dessinée : c’est ce rapport qu’étudie Luc Révillon, ancien enseignant d’histoire passionné de bandes dessinées, appuyé sur un corpus de 106 albums publiés entre 1954 et 2021. 

Luc Révillon a précédemment publié une étude intitulée « La Grande Guerre dans la BD, un siècle d’histoires » ou un album de BD consacré à « Albert Londres au pays des Soviets ». Cet ouvrage comprend de nombreux extraits de planches, ce qui en facilite la lecture.. Le livre comprend également un certain nombre d’encarts développés. Le livre contient également un lexique, une chronologie, des cartes et une bibliographie. 

Un corpus longtemps réduit et considérablement étoffé depuis une quinzaine d’années

Pour beaucoup, évoquer le lien entre bande dessinée et guerre d’Algérie se réduit aux oeuvres de Jacques Ferrandez. Or, la production est beaucoup plus diversifiée. Luc Révillon insère aussi dans son étude des ouvrages qui ne consacrent que quelques pages au conflit. Il faut se souvenir que, pendant longtemps, la BD était uniquement associée à la jeunesse. L’auteur distingue ensuite différentes périodes et note, par exemple, une libération de la parole à partir de 1999-2005. L’intérêt des auteurs pour le conflit augmente, tout comme les thématiques traitées. Il note par ailleurs la montée en puissance de la thématique de la mémoire. L’auteur pointe également le fait que de nombreux albums sont accompagnés d’une préface ou d’une postface, ce qui montre que le thème reste sensible et demande à être accompagné.

Des récits entre réel et fiction

Quatre procédés sont très utilisés : la relation de certains faits historiques, la mise en scène de personnages réels côtoyant ceux de la fiction, l’utilisation de la presse écrite, radio, télévision comme médiateurs d’action et l’ancrage de l’action dans des lieux réels. L’auteur a recensé les évènements historiques les plus fréquemment montrés avec en tête le putsch des généraux de 1961. Quant à la presse, elle joue un double rôle : d’une part, elle participe au ressort scénaristique et, d’autre part, elle joue également le rôle de témoin de l’historicité des évènements présentés. Jacques Ferrandez est d’ailleurs un très grand consommateur de presse dans ses albums. La télévision monte aussi en puissance puisque l’on passe de 100 000 téléviseurs en 1954 à près de 3 millions en 1962. 

« Pacificateurs » contre « hors-la-loi »

La guerre d’Algérie est aussi une guerre des mots. Par le vocabulaire, les auteurs cherchent à coller le plus possible à l’ambiance de l’époque. Les mots choisis peuvent également servir à délivrer un message. Luc Révillon propose ensuite une approche par type d’action des différents protagonistes. Ainsi, il montre que les combattants du FLN sont montrés dans quatre situations : la pratique de la guérilla, les embuscades, le terrorisme urbain et la collecte de fonds. 

Des populations civiles impliquées

On voit qu’une bande dessinée peut dire beaucoup comme le montre cet exemple tiré             d’ « Azrayen ». En effet, en seulement une page sont évoquées les différentes catégories de populations présentes en Algérie et leur situation économique. L’auteur passe ensuite en revue la présence, ou non, de différents acteurs comme les femmes ou les pieds-noirs. L’OAS est également évoquée. 

Des encarts pour aller plus loin

Un premier encart s’intéresse au travail de Frank Giroud à propos d’ « Azrayen ». Un deuxième donne la parole à Jacques Ferrandez à propos du second cycle de « Carnets d’Orient ». Un troisième encart a lieu autour de Laurent Galandon et de sa bande dessinée « Tahya El-Djazaïr ». Le quatrième et dernier est consacré à Philippe Richelle à propos des «  Mystères de la République » et d’ « Algérie, une guerre française ». 

Une galerie de traitres ? 

La thématique du traitre ou du transfuge est très souvent présente. On trouve des déserteurs de l’armée française, d’ailleurs sur représentés dans les albums, par rapport à la réalité. Il y a également des transfuges de la Révolution algérienne, sans oublier les trahisons des politiques. 

De Gaulle et la politique algérienne de la France

De Gaulle est évidemment l’homme politique le plus cité dans les ouvrages. Il est montré et évoqué dans 40 % des albums du corpus. Luc Révillon relève que dans certaines bandes dessinées la thèse de l’indépendance programmée est celle qui est privilégiée. On distinguera donc dans cette production « L’histoire dessinée de la guerre d’Algérie » avec Benjamin Stora qui restitue la notion de doute.

Une guerre souvent associée à la torture

Un tiers des albums du corpus intègre des scènes de torture. Comme dans d’autres chapitres, on trouve une recension des albums qui montrent le phénomène avec un référencement précis des pages concernées. On peut constater que dire la torture n’est pas nouveau mais, en revanche, la montrer l’est davantage. Dans « Rue de la bombe », Jacques Ferrandez est le premier à montrer des militaires faisant usage de la torture par le courant électrique.

Des auteurs entre histoire et mémoire

« L’écriture factuelle, dépourvue de tout commentaire, n’existe pas en bande dessinée ».  Néanmoins, de nombreux auteurs croisent les points de vue, ce qui peut amener à une lecture plus distanciée et plus apaisée du conflit algérien. Proposer un récit sur cette période reste délicat d’autant que, comme le dit Frank Giroud, «  certains ne veulent pas parler ». On peut enfin retenir que la bande dessinée permet de porter le débat dans des lieux où les historiens parviennent rarement.

L’ouvrage de Luc Révillon est une analyse très précise, très informée et pour tout dire passionnante de la façon dont la bande dessinée a parlé et parle de la guerre d’Algérie. Grâce aux multiples éclairages et aux nombreux extraits, il donne en plus des idées pour utiliser ce support dans le cadre des cours. 

Jean-Pierre Costille