« Population & Avenir, revue indépendante alliant rigueur et pédagogie, vous présente une analyse originale des enjeux actuels. Vous y trouverez une source d’informations, de réflexions et d’argumentaires amplement illustrés par des cartes, des graphiques, des tableaux, des schémas… »
Éditorial par Gérard-François Dumont
Le basculement du monde : une réalité démographique multiscalaire
Nombre d’analyses insistent sur un basculement géopolitique du monde, sous l’effet de la montée de ce que l’on appelle le « Sud global » et d’une puissance moindre de l’Occident. En termes de population, ce basculement est incontestable.
En 1950, l’Amérique du Nord était encore légèrement plus peuplée que l’Amérique latine. Depuis, la population de l’Amérique du Nord est devenue nettement minoritaire en Amérique. C’est dans ce contexte que, par exemple, la politique diplomatique du pays le plus peuplé d’Amérique latine, le Brésil, pleinement impliqué dans les BRICS+, ne suit plus celle des Etats-Unis.
Un autre basculement, intercontinental celui-là, concerne l’Europe et l’Afrique. En 2050, le nombre d’habitants en Europe pourrait ne plus représenter que le quart de celui de l’Afrique ! Est-ce étonnant, dans ce contexte, que nombre de pays d’Afrique affirment de plus en plus leur indépendance vis-à-vis des anciennes puissances coloniales ? Aussi, en 2050, pour 10 habitants en Europe méditerranéenne, il pourrait y en avoir 16 sur la rive nord-africaine de la Méditerranée. De telles évolutions traduisent un basculement démographique inédit et durable.
Un dernier exemple : le basculement qui s’opère actuellement en Asie. Depuis 2022, l’Inde est dorénavant plus peuplée que la Chine. Dans ce contexte, la Chine n’a-t-elle pas intérêt à des partenariats avec l’Inde, comme avec les autres BRICS+, plutôt que de souffler sur les braises des aspects conflictuels de leurs relations ?
Tous ces basculements démographiques participent de la recomposition de la géopolitique mondiale : les alliances d’hier et d’aujourd’hui ont en effet toutes les chances d’évoluer, notamment en raison des nouveaux rapports de force démographiques qui s’affirment.
Dossier par André Louchet
Les littoraux français : quelle utilité ?
La France métropolitaine est riche de nombreux littoraux comptant 5500 km de linéaire. N’y a-t-il pas une hétérogénéité extrême dans leur morphologie comme dans leur utilité ou leur usage ?
Plusieurs liens, parfois paradoxaux, parfois contre-intuitifs, entre littoral et présence humaine sont d’abord à explorer :
- A l’échelle régionale, la présence des littoraux pourrait sembler aller de pair avec de fortes densités de population, impression accentuée par un réelle phénomène de « litturbanisation », portée ces dernières décennies par les seniors, par exemple en Armor Sud ou en Armor Nord ou le long des littoraux méditerranéens entre Marseille et Nice. En réalité, cette corrélation ne se répète guère le long des autres littoraux : dans le Languedoc et le Roussillon, seuls les territoires en arrière du littoral concentrent les densités humaines. On pourrait en dire autant du littoral du Pays de Caux ou du littoral camarguais.
- La silhouette globale du territoire français métropolitain n’est pas sans effet sur ses potentialités portuaires. La logique aurait voulu que les organismes littoraux les plus actifs se trouvassent au plus près des routes maritimes essentielles : Calais, Cherbourg, Brest, et pour la Méditerranée, Toulon et Port-Vendres. Paradoxalement ce sont les ports en « zones d’ombre » qui dominent. La cause de ce paradoxe est à rechercher dans la présence des estuaires qui assurent un hinterland aisé au trafic maritime. Seuls les ports militaires, hors des « zones d’ombre », profitent de cette situation avancée en mer.
- Il est commun de considérer le littoral comme une zone privilégiée, dont les bienfaits se résumeraient essentiellement à des avantages climatiques. La réalité est plus complexe et les rapports entre un littoral en tant que milieu physique et l’activité ou l’utilité qu’en tirent les sociétés humaines sont à examiner à l’aune de l’histoire de ce littoral lui-même. Le tracé du rivage résulte d’une évolution, parfois lente, parfois beaucoup plus rapide, qui a légué un héritage lourd et essentiel à analyser pour comprendre l’utilité que peut avoir un littoral.
- Aujourd’hui, la préoccupation concerne surtout le recul des lignes de rivage. Pourtant, l’avancée de la terre sur la mer est beaucoup plus visible, surtout en surface. Les polders sont des exemples très significatifs de l’utilité d’un littoral dont la seule fonction d’interface a été modifiée pour accueillir marais salants ou bassins ostréicoles, intégrant ainsi une portion de l’espace marin au domaine continental.
L’utilité des littoraux est variable dans l’espace et le temps et va bien au-delà de sa morphologie : elle est en réalité davantage une réponse à un certain développement économique, technologique ou social qu’à un avantage décisif de la nature. Par exemple, le littoral corse, avant la naissance du tourisme, peut être donné comme étant peu « utile » puisque la population de cette île est par tradition davantage tournée vers l’élevage que vers le monde marin. Autre exemple, l’envasement, parfois plus ou moins combattu ou jugulé comme à Bordeaux ou à Nantes, peut se révéler contraignant, pouvant engendrer la disparition de certains activités littorales. L’envasement et l’intégration au domaine terrien l’emportent ici sur l’utilité purement maritime.
Il n’est donc pas possible de graver dans le marbre l’utilité ou l’inutilité des littoraux selon leur seul aspect externe. Les littoraux découpés représentant à la fois une bénédiction et une servitude : excellent sites de ports de pêche ou rades militaires, ils deviennent obsolètes dès lors que l’évolution technologique les rend peu compétitifs. Les littoraux bas et sableux, autrefois dénués d’intérêt, trouvent dans le monde contemporain une double utilisation : sites touristiques, ou bassins à flot pour l’industrie lourde, la manutention LoLO ou RoRo.
Il faut enfin noter le renouveau d’intérêt pour les littoraux ou les familles de littoraux que l’on pourrait qualifier de quelconques. Posséder un littoral, quelle que soit sa valeur intrinsèque, revient à lui accorder une légitimité sur les zones maritimes adjacentes, depuis les eaux territoriales jusqu’aux zones économiques exclusives (ZEE). L’utilité des littoraux français ne correspond donc que très partiellement à leur morphologie, ni à leur simple attrait paysager.
Document pédagogique (libre de droits)
Les littoraux de France métropolitaine – Une extraordinaire diversité
Exercice pédagogique par Eric Gachet
L’Union Européenne, un nouveau territoire d’appartenance ?
Cette proposition s’insère dans le thème 2 du programme d’Histoire de 3ème intitulé « Le monde depuis 1945 ». Elle est l’occasion de questionner la notion de puissance.
La première étape permet de comprendre comment l’Union Européenne s’est construite à l’aide d’une chronologie et d’une carte des différents élargissements. La deuxième étape vise à analyser les atouts de l’UE dans les domaines économique et politique, ainsi que ses défis internes et externes par l’étude de 2 textes. En conclusion, les élèves sont invités à rédiger une réflexion critique et organisée sur l’avenir de l’UE.
Analyse par Jean-Philippe Atzenhoffer
Nobel d’économie : quelles implications pour la décentralisation en France ?
Pour expliquer les différences de développement, le prix Nobel 2024 met en lumière une explication fondamentale, à savoir la qualité des institutions et la répartition des pouvoirs qui en découle. Deux économistes récompensés estiment, par l’exemple des institutions coloniales, que, lorsqu’elles sont de nature « extractive », c’est-à-dire autoritaires et fortement centralisées, elles profitent au renforcement du pourvoir économique d’une petite élite au détriment du reste de la population. Au contraire, les pays qui partagent horizontalement les pouvoirs pour inclure et représenter la majeure partie de la population profitent d’une plus grande capacité à investir et à innover.
Le modèle français souffre d’une lacune jamais véritablement corrigée : un pouvoir certes démocratique, mais trop vertical et concentré couplé d’un système tatillon et infantilisant qui ne favorise pas la prise de risque et l’innovation. Pour Philippe Aghion, afin de relancer la croissance en France, une priorité est de mener une large réforme de décentralisation, conférant aux collectivités territoriales une autonomie fondée sur un vrai pouvoir fiscal local. A cet égard, les réformes territoriales menées au cours des années 2010 ont été un non-sens en affaiblissant les pouvoirs locaux de plusieurs manières. Les fusions des régions et des intercommunalités imposées d’en haut, et même celles de communes fortement favorisées, ont généré des collectivités territoriales de très grande taille, dites XXL, souvent déconnectées des espaces de vie.
Outre l’application de mesures uniformes inadaptées à la diversité des réalités locales, comme la loi climat et résilience, le centralisme français, fort rigide, présente l’inconvénient majeur de contrarier l’innovation des pouvoirs locaux dans l’application des politiques ou dans l’organisation même des institutions. La Suisse, au contraire, offre un exemple de flexibilité territoriale. Les institutions locales sont le fruit d’une longue maturation historique où les populations prennent une part active dans leur évolution, les rendant ainsi robustes face aux multiples défis à affronter. Afin que les institutions territoriales soient favorables au développement local, un renversement de méthode est nécessaire, laissant enfin une vraie place à l’expérimentation et la subsidiarité. Il faut partir de la connaissance du terrain (bottum up) pour faire émerger des formes de gouvernance nouvelles.
Le point sur… par Sébastien Borudin et Nicolas Jacquet
Déployer l’économie circulaire à l’échelle locale : obstacles et leviers
Avec l’augmentation projetée de la population dans le monde, la question des ressources naturelles et celle des changements climatiques, réinventer notre modèle économique est nécessaire. La mise en œuvre de l’économie circulaire (EC) à l’échelle local représente une opportunité de répondre à ces enjeux tout en créant des emplois et en renforçant la résilience des territoires.
Dans leur rôle de prescripteur, les collectivités territoriales peuvent orienter les marchés publics vers des pratiques circulaires en intégrant des clauses privilégiant l’utilisation de matières recyclées. La collaboration entre les communes, les régions et les acteurs privés est un autre facteur clé de la réussite des initiatives circulaires. Les projets de l’EC nécessitent souvent des synergies entre différentes entités territoriales pour atteindre des objectifs de réduction des déchets et d’optimisation des ressources. Les exemples de symbiose industrielle, où des entreprises locales échangent des matières premières secondaires et des sous-produits, démontrent également l’importance des collaborations locales pour le succès de l’EC. Ces initiatives permettent de réduire les coûts pour les entreprises tout en diminuant l’empreinte environnementale du territoire.
Les dispositifs de soutien financier jouent également un rôle majeur dans le déploiement de l’EC. Plusieurs collectivités territoriales ont bénéficié des subventions proposées par des institutions comme l’ADEME ou des financements européens pour développer leurs projets. Par ailleurs, la fiscalité peut également être utilisée comme un levier pour encourager les pratiques circulaires. Par exemple, certaines collectivités territoriales ont mis en place des dispositifs de taxation incitative pour les déchets afin d’encourager les citoyens et les entreprises à réduire leur production de déchets.
Malgré ces moteurs, la transition vers l’EC reste freinée par plusieurs obstacles. L’un des principaux est l’organisation interne des collectivités territoriales. Dans ne nombreux cas, les services municipaux fonctionnent en silos, sans réelle coordination entre eux. Se pose également la question des compétences pour gérer des projets complexes. La dépendance aux subventions publiques constitue aussi un frein majeur pour la pérennité des initiatives circulaires. Enfin, l’un des principaux freins à l’adoption de l’EC est la perception qu’en ont les citoyens et les entreprises. L’EC est souvent perçue comme un simple question de gestion des déchets, et peu comme un levier économique capable de générer des opportunités locales en termes de création d’emplois ou d’attractivité territoriale. Pour surmonter cet obstacle, les collectivités territoriales doivent intensifier leurs efforts de communication et de sensibilisation auprès des entreprises et des citoyens, en mettant l’accent sur les bénéfices économiques et environnementaux d’un modèle circulaire.
Trois grands rôles peuvent donc être assurés par les collectivités territoriales pour faciliter le déploiement de l’économie circulaire à l’échelle locale : de promotrices (en tant qu’exemples), de facilitatrices (en favorisant la collaboration entre acteurs publics, privés et associatifs) et de catalyseurs (en créant les conditions favorables à une gouvernance adaptée à l’économie circulaire).