Deux rencontres initiales pour l’enquête D’un loup à l’autre d’un journalisme exigeant qui ne veut prendre parti dans un conflit vif entre défenseurs du loup et éleveurs, chasseurs… qui souhaitent sa disparition.

« Des bêtes sauvages ? Du bétail mort. De la colère. Une ministre écologiste confrontée à la realpolitik. Des fusils. De la désobéissance civile. De l’indignation. Du vrai journalisme de terrain. C’était excitant. » (p.6)

L’autrice Camille Krafft, journaliste suisse, nous propose le récit de ses rencontres.

Printemps 2023, deux ans après les premières attaques sur jeunes bovins dans le Jura du pays de Vaud ; l’autrice nous propose d’assister, à la rencontre de bergers, ceux que l’on questionne rarement et d’un biologiste, éthologue Jean-Marc Landry, spécialiste de la problématique du loup pour qui les tirs déstabilisent les meutes et contribuent, alors, à une augmentation de la prédation.

Sur les alpages

Suivant un militant plutôt radical, Fabrice Monnet, l’autrice fait le point sur la présence du loup dans le secteur du MarchairuzDans le canton de Vaud, sur les flancs sud-est du Jura suisse et les opérations de tirs autorisés par la Direction générale de l’environnement du canton de Vaud. Première rencontre avec des militants radicaux de l’association Defend the wolf, l’opposition va croissant entre pro et anti loup, une opposition parfois violente comme le montrent les heurts rapportés.

« C’est une guerre de territoire et d’idées, une affaire de fantasmes personnels et d’orgueils blessés, un mélange de quête d’absolu et de vanité humaine. L’histoire du retour du loup est celle des militants, des chasseurs, des éleveurs, des bergers, des scientifiques, des naturalistes, du fascinant ballet de ces hommes qui se toisent sur les alpages à la lueur des phares, et dont les conceptions du monde se heurtent dans une sorte de mouvement perpétuel ». (p. 25)

Point de vue d’un éleveur en colère après une attaque : cet éleveur, fromager en alpage est hostile à l’action de l’OPPAL, une association qui aide les bergers pour la surveillance nocturne des troupeaux, car cela ne fait que déplacer le risque chez les voisins. L’éleveur évoque ses nuits agitées et la pression mentale d’autant plus forte que les normes sur l’agriculture ne cessent de croître.

L’autrice relate l’histoire récente du retour du loup dans le Jura suisse et les affrontements entre pro et anti loup. Elle note que selon les chercheurs l’explication des attaques récentes sur bovins est à mettre en relation avec l’élevage extensif sans surveillance du bétail et la rareté du gibier forestier. Les veaux deviennent des proies faciles.

Lui et nous

Les éthologues Jean-Marc Landry et Pierre Jouventin, émettent des hypothèses sur les rapports loups/hommes dès le paléolithique et sa domestication dont le chien est issu. L’autrice revient sur la longue histoire des relations homme/bête de Romulus et Remus à la bête du Gévaudan. Le statut du loup s’est petit à petit dégradé.

Au XIXe siècle, il a disparu de l’Europe, sauf quelques poches résiduelles (Italie, Europe de l’Est). Ce fut une guerre menée par les paysans, les chasseurs, mais aussi les autorités, une guerre sans merci.

Disparu, l’image du loup s’était adoucie, en particulier pour les urbains. Le retour du loup dans les Alpes, depuis l’Italie, entraîne des mesures de protection : convention de BerneLe 6 décembre 2024, sur proposition de l’UE, le Comité permanent de la Convention de Berne du Conseil de l’Europe a adopté la modification du statut de protection du loup (Canis lupus) de « espèces de faune strictement protégées » (Annexe II) à « espèces de faune protégées » déplacer le loup (Canis lupus) de l’Annexe II à l’Annexe III de la Convention de Berne, c’est-à-dire de « faune strictement protégée » à « faune protégée », abaissant ainsi le niveau de protection..

Le loup une affaire aussi politique, l’autrice montre l’accord, en Suisse, entre les chrétiens traditionalistes, les conservateurs et les chasseursAu sein de l’Association pour la protection des territoires contre l’administration et pour l’éradication du loup « ce migrant indésirable » (p.74). La politique de régulation préventive est aussi critiquée par les associations de défense de l’environnement d’autant que la législation suisse sur la chasse prévoit une régulation accrue.

L’autrice se fait l’écho des travaux de Jean-Marc Landry sur l’histoire et la biologie de canis lupus, ses relations sociales eu sein de la meute. Tout ce qu’il faut savoir sur le loup.

Partie à la rencontre de l’animal, rencontre auditive avec les hurlements, mais aussi visuelle, l’autrice ne ressent pas l’émotion décrite par ses défenseurs. Elle évoque les travaux du photographe animalier Julien Regamey et les propos de Sylvain Tesson sur la panthère des neigesRecensions sur la Cliothèque : La panthère des neiges, Sylvain Tesson, Gallimard, 2019 et aussi L’énergie vagabonde, Sylvain Tesson, Robert Laffont, Bouquins, 2020 et la BD Dans les forêts de Sibérie, Virgile Dureuil, Sylvain Tesson, Casterman, 2019. Le loup exerce sur certains une véritable fascination.

Dans la société urbaine d’aujourd’hui quelle est la place du sauvage ? C’est une vraie question.

Avec Sébastien Beuchat, directeur des ressources et du patrimoine naturels, on découvre que le loup peut aussi être une solution à un problème environnemental comme les dégâts occasionnés par les cerfs sur les forêts. Cet apport du canidé à la gestion de la biodiversité a été étudié lors de sa réintroduction dans le parc de Yellowstone, sans être une solution miracle.

Avec le bétail

Des paysans désarmés, quand on leur donne la parole, on se rend compte que la gestion du loup est, en fait, révélatrice d’un mécontentement face aux réglementations.

Si en Suisse, il n’y a pas de PAC, l’État verse des subventions pour l’entretien de l’environnement.

C’est aussi l’expression d’un stress face aux attaques. La position des agriculteurs n’est, cependant, pas homogène de la fureur et la revendication de l’élimination du loup à des positions plus conciliantes et une recherche de solutions de protection du troupeau dont on a vu l’efficacité pour les ovins. Tous évoquent une fracture entre le monde agricole et le reste du monde, un manque de respect pour leur travail.

Les attaques meurtrières sur le bétail atteignent profondément le moral des éleveurs, proches de leurs bêtes, un sentiment d’impuissance. La seule présence du loup est perçue comme une menaceSur ce sujet voir le film Loup la charge mentale : https://vimeo.com/739660460.

Des exemples de cohabitation existent, l’entraide entre éleveurs et défenseurs du loup comme les tirs d’effarouchement par la Fondation Jean-Marc Landry.

Croire et savoir

Entre vérités alternatives et retour de la peur.

Si certains chasseurs préfèrent « manger ce que l’on tue et chasser ce que l’on mange » (p.143), d’autres sont favorables à une éradication totale du loup et du lynx vus comme des concurrents de prédation du gibier. Ils vont même, sur les réseaux sociaux, jusqu’à la désinformation : attaques contre des hommes, loups réintroduits par hélicoptère.

Le loup devient un « animal politique », comme le résume Jean-Marc Moriceau pour la France (p.148).

La présence possible du loup modifie la perception de l’environnement, d’autant que le fond culturel de contes et légendes le met en scène, provoquant un sentiment entre fascination et répulsion. L’autrice rapporte deux études : en Norvège pour la période 1950-2021 et en France du XV au XXe siècleJean-Marc Moriceau, L’homme contre le loup, une guerre de 2000 ans, Fayard, 2011 et Histoire du méchant loup, 3000 attaques sur l’homme en France XVe – XXe siècle. , sur les attaques contre des humains. Loups charognards en temps de guerre, loups enragés, le risque demeure très faible. Le suivi, par des scientifiques, de loups au comportement anormal permettra d’en savoir plus et de s’en protégerAvril 2022 : Conférence internationale en Val d’Aoste à propos de Lupi confidenti (loups hardis) qui n’ont pas peur de l’homme, un résumé..

Gérer le loup

Protéger le loup et s’en protéger, mais les mesures de protections (chiens, clôtures, emploi d’un berger) et d’indemnisation coûtent cher. La protection est donc une histoire d’argent. Si l’autrice évoque les différentes attitudes des autorités en Suisse, État fédéral, les interrogations sont les mêmes en France, comme le montre le chapitre consacré au Jura français, ou en Italie.

La solution passe par un dialogue apaisé entre bergers, éleveurs, chasseurs et défenseurs du loup.

Une enquête bien documentée, vivante qui donne la parole à tous les acteurs.