Parution du premier trimestre 2009 de la Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine n° 56-1 –2009/1

Ce numéro, que coordonnent Catherine Omnès et Paul-André Rosenthal, interroge les maladies professionnelles comme une question sociale et non plus comme une question médicale ou interprofessionnelle.
La thématique de la santé au travail, relancée et formalisée par des historiens notamment lors d’un colloque au Creusot en septembre 2008, a été nourri par la judiciarisation d’un certain nombre d’affaires, par les prises de position des associations de victimes, mais également du point de vue institutionnel, par la régulation exigée par l’Union Européenne, par la réflexion de certains syndicats pour inclure les maladies au travail dans une réflexion rénovée sur les modalités de l’action ouvrière ou de la société civile.
Le recul face à la législation, les études de la médecine du travail, les statistiques et les parcours de vie au travail offre désormais aux historiens un matériel à exploiter afin d’examiner la dimension sociale de ce problème de santé.

Ce numéro offre neuf synthèses sur l’histoire des maladies professionnelles, montrant la longue et difficile naissance de la notion de risque professionnel pendant la seconde moitié du XIXe siècle, puis la laborieuse reconnaissance de la silicose en France, en Belgique et au Japon comme maladie professionnelle, avant d’ouvrir des chantiers actuels, afin de « prendre la mesure du mal » comme les dénis administratifs face au danger de l’amiante-ciment (Odette Hardy-Hémery) ou face aux troubles musculo-squelettiques (TMS) (Nicolas Hatzfeld), qui font actuellement (mai 2009) et pour la première fois à ma connaissance l’objet d’une campagne d’information sur les médias nationaux français (France Inter).

Catherine Moriceau montre qu’il a fallu modifier la perception de la notion de risques professionnels que minoraient autant les patrons pour des raisons évidentes que les ouvriers eux-mêmes. Ceux-ci sont complaisants à l’égard de la valeur monnayable de la peine de leur travail, de leur adresse personnelle et de la beauté du métier, complaisance qui allait jusqu’au dénigrement de la prise de risque, au refus de la perception du danger, voire au refus de la protection proposée par les médecins hygiénistes afin de ne pas baisser la cadence ou en raison de l’inadaptation de la protection. Cette modification de la sensibilité, de la représentation du risque est le résultat d’une loi, celle du 12 juin 1893 et la création en 1905 de la Commission d’Hygiène industrielle, qu’il faudra inscrire dans nos ouvrages d’Education civique dans la partie des droits du travail.
Julien Vincent nous fait découvrir les risques sanitaires de la fabrication des porcelaines anglaises dans le contexte de la culture matérielle de l’Empire britannique. Le parcours symbolique du tea pot anglais met en évidence de façon passionnante, la chaîne reliant les ouvrières, les manufacturiers, mais également les ligues d’émancipation des femmes, la classe charitable acheteuse de ces objets, en même temps que l’objet est identifié comme un élément de l’identité nationale. Ainsi changer le glaçage ou la composition, avant d’être une modification technique qui a un coût économique et de répercussions de santé professionnelle, est perçu comme une affaire nationale.
Paul-André Rosental expose le combat mené pour faire reconnaître la silicose comme maladie professionnelle au XXe siècle. Il parait encore difficile d’ailleurs de préciser le nombre de victimes par chiffrage statistique. Ce combat passe par la reconnaissance médico-légale et donc juridique de la notion de maladie professionnelle, souvent invisible en raison du temps de latence et donc fortement minorée face à l’indiscutable réalité de l’accident minier. Il passe par la définition d’un seuil légal d’exposition et en conséquence détermine la réparation financière sur laquelle s’opposent les experts médicaux et judiciaires dans des procès qui influent actuellement sur le cours des bourses.
Pour illustrer les propos, suivent alors trois études de cas sur la silicose en France (J-P Devinck et P-A Rosental), en Belgique (Eric Geerkens) et au Japon (Bernard Thomann). C’est essentiellement sur la pression internationale, notamment du Bureau International du Travail, que se sont mis en place des systèmes de protection. Notons que les experts ont semé le doute en instillant l’idée que les maladies s’installaient chez des sujets prédisposés par la biologie mais aussi par leur origine nationale, ces étrangers qui viennent travailler comme les polonais, malades en France car fragilisés par les mines allemandes… L’aspect nouveau est l’éclairage mis sur le compromis trouvé en 1945 par le GPRF conservant la médecine du travail instituée par Vichy, associé avec la direction des Assurances Sociales et la future nationalisation des Charbonnages de France. Cette reconnaissance résulte du long combat mené par des médecins français dès les années trente mais elle est soumise à la notion ambiguë de durée d’exposition, condition nouvelle d’indemnisation. En Belgique, les médecins justifiaient de ne pas reconnaître la silicose comme maladie professionnelle en raison de leur manque de connaissances. Pour autant, les malades bénéficiaient de retraite anticipée. Jusqu’en 1963, le patronat charbonnier contrôlait l’établissement des expertises et de la législation. Depuis, la législation a été modifiée mais il n’est pas fait mention de la notion de durée d’exposition pour faire reconnaître et indemniser la silicose comme maladie professionnelle.

Ces articles montrent la longue lutte pour faire reconnaître les maladies professionnelles comme invalidantes, traumatisantes, causes d’empoisonnement. Au fur et à mesure de la reconnaissance légale, les acteurs se multiplient, multipliant les interfaces, d’abord entre ouvriers et entrepreneurs, puis les pouvoirs publics, l’inspection du travail, la médecine du travail, les experts, les juges, et les assurances, autant d’acteurs qu’il faut analyser au niveau national et international.
Ce numéro s’achève par un acteur inopiné convoqué au prétoire, l’historien (selon David Rosner-Gerald Markowitz). Une expérience très intéressante relate que certains ont mis les multiples compétences enfin reconnues du métier d’historien au service de la justice afin de déterminer à partir de quel moment les entrepreneurs ont eu connaissance de la nocivité de leur produit. L’histoire serait en train de redevenir l’arbitre des parties dans notre société post-industrielle. Une telle conclusion serait réjouissante pour la reconnaissance de nos capacités à saisir la complexité sociale, temporelle, morale et technique des sociétés, si elle n’était inquiétante face aux risques énormes qui résultent de nos passé et présent industriels.
On ne peut que féliciter la revue RHMC de s’investir sur de tels sujets d’actualité.

Pascale MORMICHE Agrégée et docteur en histoire moderne. © Copyright Clionautes

« Les maladies professionnelles, genèse d’une question sociale (XIXe-XXe siècles) »
Les maladies professionnelles : genèse d’une question sociale –
Coordonné par Paul-André Rosental et Catherine Omnès

Paul-André Rosental, Catherine Omnès – L’histoire des maladies professionnelles, au fondement des politiques de « santé au travail

-Les risques au travail –

Caroline Moriceau – Les perceptions des risques au travail dans la seconde moitié du xixe siècle : entre connaissance, déni et prévention

Julien Vincent – La réforme sociale à l’heure du thé : la porcelaine anglaise, l’empire britannique et la santé des ouvrières dans le Staffordshire (1864-1914)

Catherine Omnès – De la perception du risque professionnel aux pratiques de prévention : la construction d’un risque acceptable

-La silicose, un cas exemplaire

Paul-André Rosental – De la silicose et des ambiguïtés de la notion de « maladie professionnelle »

Jean-Claude Devinck, Paul-André Rosental – « Une maladie sociale avec des aspects médicaux » : la difficile reconnaissance de la silicose comme maladie professionnelle dans la France du premier xxe siècle

Eric Geerkens – Quand la silicose n’était pas une maladie professionnelle. Le premier régime de réparation des pathologies respiratoires des mineurs en Belgique (1927-1940)

Bernard Thomann – L’hygiène nationale, la société civile et la reconnaissance de la silicose comme maladie professionnelle au Japon (1868-1960)

-La mesure du mal –

Nicolas Hatzfeld – Les malades du travail face au déni administratif : la longue bataille des affections périarticulaires (1919-1972)

Odette Hardy-Hémery – éternit et les dangers de l’amiante-ciment, 1922-2006

Gerald Markowitz, David Rosner – L’histoire au prétoire. Deux historiens dans les procès des maladies professionnelles et environnementales