Cet ouvrage appartient à la collection nouveaux continents lancée en 2006 par Nathan, une série de livres clairement destinés à l’enseignement supérieur (premier cycle universitaire et classes préparatoires, littéraires ou commerciales.)
Parue simultanément avec celle consacrée à la mondialisation chez le même éditeur et dans la même collection, cette étude sur les mutations de l’économie mondiale qui précèdent les tendances actuelles de la globalisation, en constitue le complément naturel.
Les auteurs ont réussi le tour de force de rendre accessible l’histoire économique, souvent redoutée des étudiants du premier cycle universitaire. Certes, pour reprendre une formule utilisée par un inspecteur général lors des rendez vous de l’histoire de Blois, édition 2006, l’histoire économique est rarement sexy. Pourtant sa connaissance est particulièrement éclairante sur les grandes tendances du monde actuel.
Classiquement décliné en trois parties, respectivement consacrées l’économie mondiale au début du XXe siècle, à l’entre deux guerres et à l’économie mondiale de 1945 à 1974, cet ouvrage n’a rien dans sa problématique qui puisse dérouter un étudiant. Il est clair en effet, dès les premiers chapitres de ce livre, que les auteurs ont voulu montrer comment on est passé de l’économie prise sous un angle international à la mondialisation actuelle. Le développement consacré à la première mondialisation montre en effet les bases de l’expansion du commerce international, le développement des premières firmes multinationales contradictoire avec l’aspiration générale à un quasi protectionnisme qui explique les tensions commerciales avant la première guerre mondiale.
La mondialisation des flux financiers avec des pays exportateurs et receveurs de capitaux, commence également à cette époque. Pour les Etats-Unis par exemple, un impérialisme financier se met en place, avec le président Théodore Roosevelt qui invente le corollaire financier de la doctrine de Monroë permettant aux Etats-Unis d’intervenir sur tout le continent partout où les intérêts financiers de l’Europe seraient menacés. Au wilsonisme botté dont ont pare l’actuel locataire de la Maison blanche, on pourrait opposer alors ce wilsonisme du dollar.
L’intervention étasunienne dans la première guerre mondiale doit peu finalement aux victimes des torpillages allemands dans l’Atlantique et à la guerre sous marine à outrance.
La partie concernant le poids économique des colonies doit aussi beaucoup aux travaux de Jacques Marseille dont on oublie parfois, qu’avant d’être le chantre du libéralisme sauvage et l’impitoyable critique du modèle social français, il a été un historien majeur de l’économie. On rappelle d’ailleurs dans l’ouvrage que les bénéfices de la colonisation et de l’exploitation des colonies allaient aux actionnaires des sociétés comme Suez ou autres compagnies des phosphates du Maroc tandis que la charge de cette présence outre mer était répartie sur l’ensemble des citoyens.
Les études de l’industrialisation des Etats-Unis, puissance dominante dès la fin du XIXe siècle, de la Russie sont de facture très classique, de même que les travaux consacrés au retards de la France à la belle époque ou le réveil du Japon. On s’étonnera par contre de l’absence de l’Allemagne dans cette liste, alors que cette dernière, par son expansionnisme économique et sa volonté de le concrétiser au niveau colonial a été un élément de déstabilisation de l’Europe avec les conséquences que l’on sait.
On retrouve dans la seconde partie consacrée à l’entre deux guerres des faits largement connus sur la France des années vingt par exemple et sur les fruits amers de la victoire. L’intervention forte de l’Etat non seulement comme régulateur protecteur, on pense ici aux lois Méline, mais comme acteur du développement prend sa source à cette époque. On retrouvera cela aux lendemains de la Libération dès l’élaboration du programme du Conseil national de la Résistance en fait.
La crise des années trente aurait pu, avec un autre découpage, être traitée en opposition à celle des années soixante dix. Sans doute qu’une telle approche aurait été plus stimulante intellectuellement. Toutefois la nature de l’ouvrage et sa destination rendaient un tel choix difficile. On aurait pu par exemple envisager une quatrième partie sur les crises, évoquant les aspects conjoncturels et structurels, les cycles, peu abordés ici, ou les remèdes anti crise oscillant entre politiques de relances, déflation, pour aboutir enfin au cloisonnement monétaire avant guerre et au flottement généralisé des monnaies en 1970.
Au final, cette approche reste tout de même sécurisante. L’ouvrage est ainsi plus accessible, et en même temps parfaitement documenté. Certes, certaines questions sont survolées en quelques lignes mais l’ampleur du sujet et l’importance de la bibliographie rendent au contraire cette production particulièrement pertinente.
On recommandera cet ouvrage aux professeurs de sciences économiques et sociales et d’histoire et géographie des lycées en série ES. Certaines parties, notamment celles consacrées aux solutions anti-crise sont largement accessibles à des élèves de lycée dès lors qu’ils échappent à la consultation de sources numériques très dispersées et non construites. Ces thèmes d’histoire économique sont particulièrement adaptés à la structuration de la réflexion, à l’étude de cas, et à la formation à la logique, preuve s’il en est que les pédagogies les plus novatrices ne peuvent se passer du support préalable de la connaissance et des savoirs.
Bruno Modica